Bon, il faut que je trouve la gare. Mais comme je n'ai aucune idée d'où nous sommes, la tâche va se révéler ardue. Ah, le malin, il veut que j'aille demander aux gens... ce qui explique pourquoi il ne voulait pas que je sache où je suis. Je me mets en route, autant pour être à l'heure que pour me réchauffer. Je déambule dans les rues désertes, et n'identifie pas la ville, ce qui me désole. Les noms de rues me sont inconnus, je me vois donc obligée d'adresser la parole à des gens. Mais il n'y a personnes. Je suis dans de beaux draps... Enfin, au bout d'environ un quart d'heure, je tombe sur un groupe d'hommes, ils sont quatre ou cinq. Je les entends avant de les voir, et réfléchis avant de me jeter dans la gueule du loup. Seule, en talon et mini-robe, face à quatre hommes, je n'ai pas l'ombre d'une chance de m'en sortir sans dommages, sans utiliser mes pouvoirs. Et Mentor est un malin, car maintenant que me voilà sur Terre, je ne peux plus utiliser que ma force toute relative, mon endurance, mon agilité, et les techniques de combat qu'il m'a enseigné. En fait, tout ce qui ne relève pas du surnaturel va me servir. C'est là que je prends conscience que j'ai vraiment bénéficié d'un entraînement de soldat. Il ne me manque plus que les armes. Bon, le plus important, les diviser. Je grelotte, le froid est affreux, je ne sens déjà plus mes doigts. Comment les diviser ? Pff, merci Mentor, tu parles d'un travail. J'enlève mes talons, les garde dans une main et de l'autre, commence à grimper sur un lampadaire pour avoir un accès privilégié aux rues. Je marche sur les toits gelés, et les aperçois. Ils sont quatre, ils discutent en fumant, je vois la fumée qui s'échappent de leur bouche qui forme un nuage autour d'eux. Je dois leur demander mon chemin, mais trouver d'abord un hangar encombré où les entraîner s'ils me suivent, où je pourrais les séparer. J'ai trouvé. Je descends, tourne dans la rue, et les aborde.
- Excusez-moi, vous savez où est la gare ? demandé-je d'une voix que je voudrais aguicheuse.
Aussitôt, les quatre hommes braquent leur regard sur moi. La lueur de convoitise qui éclaire leurs yeux me dégoûte, mais fait enfler la colère plutôt que la peur en moi.
- Bien sûr ! répond un homme en souriant. Vous prenez la première à droite, puis la deuxième à gauche et après c'est tout droit jusqu'à un rond-point où vous prenez la deuxième à droite. Mais on va vous accompagner...
- Inutile, merci beaucoup monsieur.
- J'insiste, susurre-t-il.
Gros porc. Les trois autres le suivent alors que je m'éloigne, en riant et sifflant. Je prends à droite comme il l'indique, bien que le hangar soit à gauche. Je prends ensuite la deuxième à gauche et commence à courir. Ils me suivent en riant, me sifflent, m'insultent en me traitant de « sale pute ». La peur commence à monter, et avec elle l'adrénaline dont j'ai besoin pour en venir à bout. J'entre tête la première dans le hangar, me cache derrière une porte, enlève mes talons que je balance à côté, et chope une barre en fer. Ils entrent avec fracas, et leurs rires gras me parviennent. Comme je l'espérais, ils se séparent. Je m'attaque au premier qui me tombe sous la main, je le frappe violemment dans le dos. Il tombe avec un cri, se retourne, se relève avec peine et se jette sur moi, les yeux flamboyants de rage. Ses mains dirigées vers ma gorge, il tombe presque sur moi, et je recule d'un pas pour l'esquiver. Mais il se rattrape et balance son poing sur mon visage. La peur s'évapore, ne laissant place qu'à une colère froide. Je sais ce que je fais, je sais que je peux le vaincre. Il a mal au dos, il n'est pas aussi bien entraîné que moi, et j'ai une bonne technique. Alors j'enchaîne les coups, précis, violents, j'y mets toute ma force, mais un autre tombe sur nous, et je me retrouve à deux contre un. Mais ils ne sont pas formés pour le combat, et j'ai donc facilement le dessus, gardant la tête froide. Je mets le premier KO, et le combat est plus acharné contre le deuxième, qui me donne quelques coups bien sentis. Je l'envoie valdinguer et il percute avec force un tas de ferraille, avant de s'effondrer sur des pneus abandonnés. Le bruit ameute les deux derniers, mais je me réfugie sous une table en bois, et ils sont plus occupés avec leurs acolytes qu'avec moi, je me faufile donc jusqu'à la sortie. Je tâche de retrouver mon chemin, et arrive saine et sauve, bien que frigorifiée, à la gare déserte. Je sens la peur monter en moi tout au long du chemine, peur qui atteint son paroxysme lorsque j'arrive dans une gare qui semble fantôme. Mais je sais que c'est juste l'heure et la nuit qui veulent ça, j'essaie tant bien que mal de me raisonner. Mais je frôle l'arrêt cardiaque et retiens un hurlement de terreur quand Lachlyn et Mentor apparaissent derrière moi. La jeune femme se précipite sur moi et m'emmitoufle dans une couverture en laine, ses lèvres effleurant brièvement les miennes en un geste réconfortant. J'accueille avec bienvenue cette couverture qui me réchauffe, et nous rentrons au gymnase. Par je ne sais quel miracle, j'ai pensé à récupérer les escarpins, que je balance à Mentor en un geste volontairement dégradant. Son regard vrille mon dos nus tandis que j'enfile de nouveau mon uniforme, mais il ne relève pas et ramasse les chaussures. J'hésite à faire de même pour la robe, mais son regard menaçant et cette pointe de douleur, infime mais discernable, dans ma hanche me dissuadent de pousser la provocation. Il faut vraiment que je redevienne au plus vite l'automate. J'ai envie d'aller me coucher, je suis frigorifiée, mon corps n'arrivant pas à retrouver une température corporelle normale après le programme de la nuit, mais l'entraînement n'est pas fini, j'en ai au moins pour deux heures encore.
- Bon, vu que nous avons encore quelques heures, nous allons travailler un peu tes pouvoirs, de manière simultanée, comme vendredi.
Il me tend un ruban en satin et m'ordonne de me couvrir les yeux. Je l'entends se déplacer dans la pièce, fermer les portes, et j'entends alors comme le bruit d'un ballon de baudruche qui se vide, une sorte de « pssssssiiiiiiiiiiiiii » insupportable, et des odeurs viennent alors envahir la pièce, chacune d'un côté, avant de se mélanger.
- Je vais te demander d'identifier toutes les odeurs, le plus vite possible. Vas-y.
Je renifle un grand coup, fronce les sourcils pour me concentrer et je me rends compte que... je suis incapable de mettre le doigt dessus. Je sais reconnaître les parfums de mes amis, des aliments, pour la plupart du moins, mais... en fait, saurais-je les identifier sans avoir les plats sous la main ? Je sens aux notes fruitées et délicates qu'il s'agit essentiellement de parfums floraux, il y a également des notes plus épicées, certaines plus fades. J'essaie de retarder l'échéance, mais je vais bien vite devoir avouer mon échec.
- Je ne sais pas, Mentor.
- C'est précisément le but de l'exercice.
- Quoi ?
- Te faire réaliser que tu te reposes complètement sur ta vue, et que tu dois être capable de te débrouiller sans. Tu sens toutes ces odeurs, tu les connais, tu sais que tu les as déjà senties, mais tu es incapable de les assimiler à quelque chose de concret car tu ne te concentres pas sur leur provenance, mais uniquement sur leur présence dans ton environnement. Si tu sens de la rose dans la rue, et que tu vois le rosier, tu ne vas pas assimiler cette odeur à la rose, mais plutôt te dire qu'il y a de la rose dans cette rue, et donc tu croiras connaître cette odeur, car tu la reconnaîtras quand tu passeras dans cette rue. Mais si je te mets une rose sous le nez et que tu ne le sais pas, ne la vois pas, tu seras incapable de me dire de quoi il s'agit.
Et il dit vrai. Une fois encore, il a totalement raison. Ce qui m'horripile, car il pourrait me le dire platement. Mais il insuffle une désapprobation qui ne fait que trop bien son effet. Je me sens tellement nulle !
- Bon, il y a ici de la rose, de la violette, de l'herbe coupée...
Cette dernière odeur me met hors de moi, car je sais très bien de quelle odeur il s'agit, je saurais très bien la reconnaître. Mais là, je n'ai pas su, car je n'avais pas l'herbe sous les yeux. Ça me met en rogne, à un point !
- ... du thym, du curry, et du lierre. Maintenant, avance jusqu'à la table, sans enlever ton bandeau.
Je respire un grand coup, et je sens l'ambiance de la pièce. C'est comme ça que je pourrai décrire l'ensemble des éléments que je recueille : l'agencement des meubles, les personnes présentes, les odeurs, les sons et leur provenance. Je ressens tout ça en une respiration, car l'air qui entre dans mes narines est porteur de toutes ces informations. J'avance avec confiance, ayant à peu près identifié la distance qui me sépare de la table, mais je la percute, me la prenant dans l'estomac, à ma plus grande surprise. Je grogne, et j'entends alors quelque chose tinter dessus. Mentor s'approche de moi et pose la main sur mon épaule. Je tressaille, détestant toute sorte de contact, surtout venant de cet homme. Il appuie sur mon épaule, me faisant me pencher au-dessus de la taille qui butte contre mon ventre. Je me penche, encore, longtemps, jusqu'à sentir une odeur prédominante.
- C'est ça, la rose.
Je comprends alors le but de l'exercice. Je renifle à fond, lentement, plusieurs fois, pour imprimer l'odeur dans mon esprit. Je répète l'exercice pour toutes les odeurs. Rose, violette, herbe coupée, thym, curry et lierre, je les sens toutes, plusieurs fois, dans l'ordre puis dans le désordre, pour qu'elles s'impriment de manière autonome au moi, et pas comme un train dont les wagons sont attachés ad vitam aeternam. Puis Mentor retire le bandeau, et m'ordonne de m'installer sur une chaise apparue comme par magie au centre de la pièce, située en principe sur la trajectoire directe entre l'endroit où j'étais et la table. Je fronce les sourcils, mais me concentre sur la suite.
- Thana, désormais, tu dois comprendre que l'entraînement n'est plus exclusif à ce gymnase. Il doit maintenant faire partie intégrante de ta vie, tu dois le mettre à profit à chaque instant de ton existence. Tout ce que tu as appris jusqu'à présent doit te servir, mais ce que tu vis doit également servir à l'entraînement. Tes heures de cours doivent être utilisées pour tes lectures et l'enrichissement de ta culture, les courses d'endurance doivent te maintenir en forme mais te permettre d'imprimer de nouvelles odeurs en toi, de développer ta mémoire en retenant des détails sur le chemin, il faut que tu te détaches de tes exercices pour les exécuter machinalement et utiliser ton esprit désormais libre pour réviser tes connaissances, habituer ton cerveau à la réflexion, à la méditation. Nous avons beaucoup travaillé sur le côté matériel de ton entraînement. Tu t'es musclée, tu as appris à développer tes pouvoirs, à faire plusieurs choses à la fois, à ne pas te concentrer uniquement sur un geste mais sur plusieurs en même temps, à développer ton agilité, ta vitesse, tes techniques de combat, ton endurance, ton équilibre, nous avons travaillés tout ça, mais maintenant, cela doit faire partie de toi. Donc ce ne doit plus être un travail mais quelque chose d'acquis, que tu dois conserver et entretenir. C'est compris ? Cependant, je n'ai pas dit que c'était terminé. Tu n'es pas au maximum de tes capacités, tu dois donc continuer à le travailler de ton côté, en plus de l'entraînement, qui ne servira plus qu'à maintenir ton niveau. C'est bien clair ?
Je hoche la tête, désespérée. Donc il faut que je travaille en plus. Mais quand ? Quand vais-je avoir l'occasion de travailler, quand je passe mes journées à lire et mes nuits en entraînement ? Je suis fatiguée. Je donne déjà tout ce que j'ai, je ne vois pas comment faire plus. Je réprime un soupir.
- Bon, il nous reste un peu de temps. Remets le bandeau.
VOUS LISEZ
Des ailes dans le dos - Mort
FantasyJe suis différente et ce, depuis toujours. Mais rien ne me préparait à cela... Si le monde que je connais depuis ma naissance est injuste et vil, celui que je découvre est cruel et dangereux. Mais je ferai tout pour y survivre. Tout. Même si la mort...