Chapitre 46

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Je baille à m'en décrocher la mâchoire, mes yeux se ferment au-dessus des lignes qui tanguent au-dessus de mes yeux. Maintenant que je dois lire en cours, le manque de sommeil s'accumule, mais je n'ai plus aucun moyen de trouver un moment pour dormir. Depuis la nuit de mardi à mercredi, je cours pendant ma pause du déjeuner, je fais des étirements et des exercices de musculation à la fin de ma course, je lis de plus en plus de livres, de plus en plus gros, et je suis de moins en moins productive vu que je peine à rester éveillée. Mes yeux parcourent la page sans que mon cerveau n'en retienne un mot, et il m'arrive de lire trois fois la même phrase sans être à même de dire un seul mot présent dedans. Nous sommes vendredi, j'aurais dû me reposer pendant la semaine pour être en forme pour le week-end tout aussi intensif que les autres qui m'attend, mais la fatigue s'est accumulée, et je me sens lessivée, incapable de faire face à ces deux jours et trois nuits qui m'attendent. Pour ajouter à cela, la nourriture est toujours mon pire ennemi, et je ne peux désormais plus me lever sans voir tout tanguer autour de moi. Mes yeux papillonnent, ils sont lourds, tellement lourds...
- Thana ? appelle une voix qui me ramène brutalement à la réalité.
Je me relève, la tête tombée sur mon livre ouvert, et réprime un énième soupir, faisant face à une Emilie à la mine soucieuse. Est-ce nouveau, ou depuis ce matin ? Je ne vois donc vraiment plus rien ? Je m'exaspère. Mélio ronfle doucement sur mes genoux, épuisé. Ça a été sa fête, cette nuit.
- Oui ? Qu'est-ce qu'il se passe ? J'ai manqué quelque chose ? demandé-je.
- Rien, je voulais juste te dire quelque chose...
- Je t'écoute.
Elle se tortille sur sa chaise, signe évident de sa gêne. Honte aussi peut-être ?
- Le procès a démarré.
Je reste interloquée une seconde, le temps que la phrase prenne sens pour moi.
- Attends... quoi ? Le procès ? De Laura ?
Je la regarde, et enfin l'information se révèle à mon esprit, comme baigné d'une lumière divine.
- Quoi ! Le procès ! Mais quand ? Où ? Comment tu le sais ? Aymeric a autorisé ça ? Qui a envoyé la date de l'audience ?
- Elle a reçu la lettre hier soir, et l'audience est aujourd'hui. C'est envoyé par le secrétaire général, c'est la procédure normale. Je ne sais pas qui va y assister, vu que c'est en train de commencer, à l'heure qu'il est, et je pense que oui, Aymeric l'a autorisé, vu qu'il a repris.
- Ca ne va certainement pas se passer comme ça !
Je ferme violemment mon bouquin, me lève, les doigts cramponnés à la table pour rester debout, réveillant en sursaut Mélio qui couine de surprise.
« Thana ! Fais gaffe ! Qu'est-ce qui se passe ? »
« Le procès a repris ! Et il a lieu en ce moment, alors on n'y va. »
Emilie me regarde, debout au milieu de la classe, puis sourit, sourit de toutes ses dents, comme un remerciement silencieux. Elle se lève à son tour, et maintenant que je vois le monde droit, nous sortons de la classe avec un bref regard pour le professeur muet de stupeur, et je prends mon fide pour envoyer un message à Lachlyn. Je sais qu'elle est occupée, mais je ne peux pas prendre le risque d'appeler Forte, si c'est pour qu'il aille cafter à Aymeric... elle répond dans la minute, nous attendant déjà à l'entrée du lycée désert. Nous courons jusqu'à la sortie, et j'accueille avec un soulagement immense le bras de mon amie qui nous transporte au palais en un souffle. Le choc est violent, je vois trouble un moment, et je m'agrippe avec l'énergie du désespoir à mon amie, qui me regarde en fronçant les sourcils. Mais je me détache et, après un bref baiser que je cache à Emilie, nous filons toutes les deux jusqu'à la salle d'audience, Mélio derrière nous. Je me recoiffe, vérifie l'heure, et laisse Emilie sur le banc près de la porte, vu qu'elle n'a pas le droit d'entrer, son don de persuasion lui interdisant cet accès. Je pousse les portes avec assurance, vaguement recoiffée pour paraître présentable, et me délecte de la surprise que je crée. Je ne sais qui de Levaque ou Laura s'attendait le moins à me voir débarquer. Une chose est sûre, je suscite le malaise chez l'un, la joie et le soulagement chez l'autre.
- Je vous en prie, continuez, ne tenez aucun compte de ma présence, dis-je de ma voix posée de princesse maîtresse de la situation en prenant place au fond de la salle.
J'envoie un message à Aymeric, ne le voyant pas dans la salle.
Comment ça se fait que le procès de Laura ait été maintenu ? Tu es au courant ?
Je relève les yeux et regarde Laura, qui fait bravement face à Levaque, ce sale vautour. Je guette la vibration qui me signalera que mon père m'a répondu. Il ne se fait pas attendre.
Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ?
Ca s'annonce mal...
Je suis en train d'assister au procès de Laura, dirigé par Levaque, certainement commandité par toi, officiellement tout du moins.
Je sais que sa réponse va être violente, et qu'il va arriver, furieux. Mais il faut garder la face, cacher tout ça. Je dois dissoudre cette assemblée avant qu'il n'arrive. Je pense qu'il est déjà en chemin, frémissant de fureur alors qu'il me tape un bref message. Je me lève, et me racle la gorge, avec l'intention évidente de couper la parole au premier ministre.
- Hum hum, Monsieur Levaque, me permettrez-vous une brève interruption ?
Il grimace.
- Faîtes, je vous en prie.
- Bien aimable à vous, dis-je avec un sourire mielleux.
Ma fatigue s'est envolée, l'adrénaline du risque et de la vitesse est montée en moi, je me sens dans une forme éclatante, la tête froide, sûre de moi, de mes gestes, je sais ce que je dois faire, et en combien de temps. Mon fide vibre à côté de moi mais je l'ignore. C'est maintenant que je dois choisir les bons mots pour révéler ce qu'il faut.
- Je ne peux que noter, comme nous tous ici présents, l'absence de Sa Majesté, qui avait évoqué son souhait d'assister à ce procès. Ne devrions-nous pas reporter cette séance ? Je sais qu'il vous avait chargé de parler pour lui, mais je viens de recevoir un message me signifiant qu'un de ses rendez-vous vient de s'annuler et qu'ainsi, la deuxième date dont vous aviez parlé lui conviendrait parfaitement, car il pourrait être là. De plus, il me semble qu'il n'y a aucune urgence concernant ce procès, Madame ... ne représentant aucunement une menace pour le royaume. Je propose donc que nous reportions donc cette séance à une autre date, qui vous sera communiquée prochainement.
J'insuffle l'ordre dans mes mots et ma voix, closant de manière définitive cette séance. Je sens d'ici la fureur de Levaque, qui ne peut s'opposer à un ordre royal, et qui n'a par ailleurs aucune raison de refuser. D'un geste rageur, il ordonne au juge de lever la séance, et la salle se vide rapidement. Laura se précipite sur moi, mais elle est entraînée par la foule, et m'adresse seulement un sourire de gratitude, avant de retrouver sa fille qui l'attend à la sortie. Pour ma part, je déverrouille mon fide. Plusieurs messages m'attendent.
J'arrive immédiatement, tu te doutes bien que je n'ai jamais ordonné tout ça. C'est quelle salle ?
Thana, réponds-moi immédiatement, il est urgent que j'arrive avant que la moindre sanction ne soit prononcée contre Laura. Vous êtes dans quelle salle ?
Thana, dans quelle salle êtes-vous ?
Thana, réponds-moi maintenant !
Je soupire, il va falloir que je fasse face à ça maintenant... comment lui expliquer que je viens d'annuler cette séance avant qu'il n'arrive pour ne pas créer de scandale ? Je n'ai certainement pas la prétention de dire que je suis plus mature que lui, certainement pas, je n'y connais rien alors qu'il a reçu un enseignement spécifique, et qu'il a des années d'entraînement dans le dos, mais... je le connais. Il croit qu'il peut faire confiance à tous ses ministres, et exprimer ainsi sa colère devant eux. Mais on ne lave pas son linge sale en public, surtout s'il s'agit d'un public envieux et jaloux, doté de mauvaises intentions pour certains d'entre eux. La fatigue retombe d'un seul coup, et je m'avachis sur mon siège en bois. Je ferme les yeux un instant, éreintée, le dos appuyé contre le dossier dur et inconfortable.
Et je me réveille en sursaut lorsqu'une main se pose sur mon épaule. Je me retire brusquement, gênée par ce contact, et j'identifie à sa voix mon interlocuteur.
- Thana, ça va ma chérie ?
- Papa ? demandé-je d'une voix endormie, le cerveau complètement anesthésié par le sommeil.
- Tu t'es endormie, viens, remonte dans ta suite, tu vas être installée plus confortablement.
- Quoi ? Oui, d'acc... Non ! m'écrié-je soudainement quand je réalise l'erreur que j'ai commise.
Je me suis endormie ! Je suis foutue, il n'y a pas d'autres mots. Terminé, plus de Thana. Je n'aurais pas fini le livre à temps, je n'ai même pas la moindre idée de l'heure qu'il peut bien être, c'est la catastrophe la plus complète.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? demande Aymeric, surpris par mon cri.
- Je dois retourner travailler !
- Thana, tu es épuisée, il faut vraiment que tu te reposes, dit doucement mon père.
Je le regarde dans les yeux, et pendant une brève seconde, j'y vois mon reflet. Une jeune fille aux traits maigres et tirés par la fatigue, qui lutte de plus en plus chaque jour pour garder les yeux ouverts. Je retiens un soupir.
- Non non, t'inquiètes Papa, ça va, il faut juste vraiment que j'aille travailler, Mentor me l'a demandé.
Et la phrase fait son effet, car Mentor est le seul homme qui puisse donner des ordres à mon père. Je me lève de mon siège affreusement dur, et me rends compte du froid qu'il fait dans la pièce. Je gèle, et je me dépêche donc de remonter. Je retrouve mon amie et accessoirement femme de chambre dans la suite, qui me demande un compte-rendu de la séance, ce que je fais en quelques mots, avant de me replonger au plus vite dans ma lecture. Lachlyn est passée chercher nos affaires en classe, à Emilie et moi. Cette dernière nous rejoint, et Lach l'emmène en cours, mais je décide de rester ici pour ne pas perdre plus de temps. Il faut que je lise ces livres. Je m'installe que mon lit, sous ma couette, bien au chaud et confortablement installée, et me plonge dans ma lecture. Je termine rapidement mon livre et commence le deuxième sans prêter attention au titre. Mais alors que je tourne quelques pages, le récit commence a m'intriguer, et je le ferme en gardant ma page d'un doigt, afin de vérifier le titre. Il n'y en a pas. Le livre n'est pas relié, il est d'une banalité sans nom, avec une couverture rouge à carreaux. Ridiculement banal. Aucun titre, pas d'auteur, rien qui puisse m'indiquer au premier abord le sujet du bouquin. Sauf qu'en lisant quelques pages, j'ai rapidement sauté à la conclusion évidente qui se dressait sous mes yeux : un journal intime. Je réprime un soupir, lassée d'avance par ce récit autobiographique qui ne semble même pas volontairement exposé à la vue de tous, étant donné qu'on ne peut que noter l'absence de titre et d'auteur, et me lance dans la lecture. Mais je suis très vite captivée, et surtout impressionnée de remarquer que ce qui est écrit dans les livres sur les démons est tellement vague par rapport à ce qu'il dit...

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant