Chapitre 06- Branle-bas de combat - Partie 1

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Samedi 17 octobre 2015, 4h00 du matin - Pentagone à Arlington en Virginie, près de Washington (USA).

    L'amiral Samuel Richardson était le responsable officieux des opérations extérieures depuis deux ans et, à ce titre, prenait ses ordres directement du secrétaire à la défense et du président. Depuis le début de l'année, il avait aussi la délicate charge d'assurer l'intérim de la division cyberdéfense du Pentagone. Il avait hérité de ce poste, à sa demande, après le décès subit de son précédent directeur. Appartenant au cercle très restreint des personnes à être dans la confidence au sujet de NAO, une IA conçue dans le plus grand des secrets par l'armée américaine et dont le projet dépendait de cette division, sa requête fut rapidement acceptée. Bien évidemment, l'amiral avait conscience que ce poste de directeur n'était pas forcément des plus pertinents, tellement son aversion pour les machines pensantes était connue. Mais c'était aussi, et surtout, sa seule fonction visible sur l'organigramme du Pentagone. Et il lui était apparu primordial de pouvoir justifier de sa présence en ces lieux. Cette vacation providentielle constituait donc, pour lui, une opportunité à saisir lui permettant de masquer sa véritable fonction. Il savait aussi que ce n'était que temporaire, en attendant le prochain poste officiel plus opérationnel et taillé à sa mesure, qu'on lui avait promis. Mais, pour le coup, cette nomination traînait en longueur, perdue dans les méandres bureaucratiques d'une administration toujours plus tatillonne. L'amiral ne pouvait qu'espérer que cette situation ne s'éternise pas. Il n'imaginait pas alors que sans ces deux casquettes, l'avenir eût été sûrement bien différent.

    Pour l'heure, il était en communication avec la maison blanche, sommé de fournir des explications sur l'incident de sécurité majeur survenu cette nuit au Pentagone. Il était en ligne avec le président mais aussi, depuis la base navale de Norfolk en Virginie où il s'était rendu la veille, avec le secrétaire à la défense. À l'issue de cet échange houleux, l'amiral, le visage fermé des mauvais jours, reposa d'un geste rageur le combiné de sa ligne ultra sécurisée sur son socle. Il se leva prestement, traversa son bureau et pénétra dans la salle de crise où l'attendait déjà fébrilement une douzaine de personnes convoquées de toute urgence dans la nuit. Tous se levèrent à son entrée. L'amiral était d'une humeur massacrante. De toute évidence, la nuit avait dû être courte pour lui aussi et l'entretien qu'il venait d'avoir avec la présidence n'avait sûrement rien arrangé. Il s'assit dans son fauteuil en bout de table et tous l'imitèrent sans broncher s'apprêtant à affronter l'orage. Pour Bradley Clark, le correspondant de la NSA au Pentagone, il s'agissait plutôt d'un ouragan qui allait s'abattre sur l'assemblée. Sous l'effet de la fatigue et de la nervosité, il ne put se réfréner d'imaginer le présentateur de la chaîne météo annonçant le passage de l'ouragan Samuel sur le Pentagone occasionnant de terribles dégâts. À cette vision grotesque, il faillit partir d'un fou rire, synonyme, dans le meilleur des cas, d'une fin de carrière immédiate et sans préavis. Il préféra ne pas s'attarder sur les autres options. Ah non, le moment était vraiment très mal choisi pour se faire remarquer. Aussi serra-t-il très fortement les mâchoires, allant jusqu'à se mordre la langue, pour empêcher l'impensable de se produire. Il ferma les yeux, respira très lentement et fit le vide pour reprendre contenance. Lorsqu'il rouvrit les yeux, l'amiral parcourait l'assemblée d'un regard froid et, à son grand soulagement, il ne s'était pas attardé sur sa personne. En face de lui, le colonel William Shepard n'en menait pas large, lui non plus. Normal lorsqu'on s'occupe des questions de cyberdéfense et qu'on découvre inopinément l'existence d'une faille béante de sécurité.

    — Mesdames, Messieurs, je viens d'avoir une discussion plus que désagréable avec le président et le secrétaire à la Défense, attaqua d'emblée l'amiral. Je leur avais vanté dernièrement notre réseau ultra sécurisé à l'épreuve des hackers les plus doués et ils découvrent effarés qu'il y a comme un trou dans la raquette. J'aime mieux vous dire qu'à une heure aussi matinale, ils n'ont pas apprécié mon sens de l'humour en se remémorant mes propos au sujet de l'inviolabilité de notre SI. Il est vrai que ce jour-là, j'avais eu la suffisance d'assurer au président que le hacker qui prendrait cette citadelle fortifiée n'était pas encore né. Oh que non ils n'ont pas apprécié. Fortifiée ! Mon cul, une putain de citadelle ouverte aux quatre vents, oui ! Le palais des courants d'air, un nouveau concept de portes ouvertes non-stop. Alors, comprenez-moi bien, j'ai horreur de passer pour un clown. L'open bar où l'on peut se servir de la data à volonté, croyez-moi, c'est fini, martela-t-il.

    L'amiral exhiba son téléphone portable et, l'agitant au-dessus de sa tête, reprit :

    — Ceci est mon téléphone. Il rejoindra les vôtres qui vous attendent hors de cette salle, conformément à la nouvelle directive que j'ai approuvée et signée ce matin même avec effet immédiat. Ce n'est que la première réponse aux évènements qui, soi-disant, n'auraient jamais dû se produire. Par sécurité, j'ai éteint le mien, bien que nous soyons dans une salle protégée des ondes. On m'a affirmé qu'il était impossible de recevoir ou d'émettre depuis ce lieu avec un téléphone portable. Mais comment puis-je encore y croire ? Ne vais-je pas découvrir qu'il s'agit en fait d'une fable élaborée par un informaticien boutonneux en mal de reconnaissance, un soir, en train de se pignoler l'asticot devant sa glace ?

    L'amiral toisa alors l'assistance, avant de poursuivre :

    — Bien, cela étant dit, j'espère que vous allez maintenant pouvoir me fournir des explications pertinentes sur le bordel de cette nuit. Il vaudrait mieux pour vous que je sois impressionné par vos conclusions si vous tenez à conserver votre job. Je n'ai que faire d'une équipe de branleurs. Je VEUX, non, J'EXIGE de savoir le comment, le pourquoi et le qui. Pas après-demain, pas demain, pas même cet après-midi mais maintenant et tout de suite.

    Un laps de temps, qui parut une éternité à Bradley, s'écoula avant que quelqu'un n'ose rompre le silence. Chacun retenait sa respiration en attendant la suite avec inquiétude. Si la salle avait été sur écoute, alors l'agent en poste aurait pu se demander si son matériel n'était pas subitement tombé en panne tellement le silence était lourd. Finalement, ce fut le colonel Jonathan Langdon qui prit la parole. Il n'était pas particulièrement impressionné par l'amiral. En plus, son secteur d'activité avait été l'un des rares à avoir été relativement épargné par cette attaque sans précédent contre les infrastructures du Pentagone.

    — Concernant le téléphone portable, je peux vous rassurer sur ce point, amiral. Cette salle joue le rôle d'une cage de Faraday qui bloque toutes les ondes électromagnétiques. Il est donc impossible d'être appelé ou d'appeler depuis cet espace avec un portable. C'est physique. Néanmoins, des chercheurs israéliens mèneraient des travaux sur les ondes magnétiques à basses fréquences qui, selon eux, pourraient traverser les cages de Faraday. D'ici trois, quatre ans, peut-être que vos craintes pourraient éventuellement se justifier. Mais ce serait sans compter sur les nombreux brouilleurs dont cette salle est également équipée.

    Bradley n'osa pas regarder l'amiral. Celui-ci n'avait certainement pas convoqué cette réunion pour qu'on lui dispense un cours de physique. Il exécrait ce genre d'élucubration stérile. Mais imperturbable, Langdon poursuivit :

    — En tant que responsable de l'équipe en charge de l'IA, j'ai malheureusement très peu de choses à dire sur la sécurité, en dehors du fait que NAO n'a pas été inquiété. Il est sorti totalement indemne de cette attaque et on peut s'en réjouir. Mais, l'intrus ne fut pas loin de l'atteindre. D'ailleurs, la première chose qu'il m'ait dite, lorsque j'ai interrogé NAO sur cette intrusion perpétrée par ce téméraire hacker, fut : « Il y avait autre chose, quelque chose d'autre, quelque chose comme moi. »

    — Très heureux de l'apprendre, Langdon, et quelle conclusion tirez-vous de cette déclaration sibylline ? questionna sèchement l'amiral pas disposé à se perdre en digression.

    — Je dirais que quelque chose d'inhabituel a dû s'insinuer dans notre réseau. Je vais travailler sur ce sujet avec NAO. Mais il pourrait s'agir d'un programme subversif d'un nouveau genre, installé par le pirate pour forcer nos défenses.

    — Très bien, faites et rendez compte immédiatement. Concernant l'identité des pirates, des idées ? Shepard ?

    Tôt ou tard, cela allait forcément tomber sur lui et ce qu'il avait appris ce matin à son arrivée, de la part de l'un des experts en sécurité de son équipe, n'allait pas enchanter l'amiral.

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M.I.AOù les histoires vivent. Découvrez maintenant