Chapitre 12- Prise en main - Partie 2

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    Non loin de là, au poste de garde de l'université, Tadasuke Ishida lisait sur sa tablette. À presque soixante-dix ans, il s'estimait chanceux d'avoir pu bénéficier, il y a trois ans, de ce poste de gardien de nuit au campus d'Hongo. Au moins pouvait-il vivre honorablement avec son salaire providentiel. Certains de ses amis n'avaient pas eu cette chance. Ils en étaient même réduits à commettre de menus larcins afin de se faire arrêter pour être conduit à Fuchu, le plus grand centre pénitentiaire du Japon, ici, à Tokyo. Là, disaient-ils, pas de problème d'argent, nous sommes assurés de manger trois fois par jour et d'être soignés. Peut-être qu'un jour, lui aussi serait contraint de les imiter. Mais pour l'instant, il était fier de pouvoir s'afficher dans son bel uniforme. Il leva les yeux pour consulter les écrans de surveillance. D'ordinaire, il n'y avait jamais rien d'extraordinaire à observer. Mais, pour une fois, la vision du dernier écran le fit sourire. Deux robots en face à face accomplissaient une parodie de marche militaire tout en restant sur place.

    — Ce n'est pas vrai, que ne vont-ils pas nous inventer maintenant, se dit-il pour lui-même en se replongeant dans la lecture de sa tablette.

    Tadasuke secoua la tête d'un air incrédule, tout en continuant de sourire. Presque aussitôt son expression d'hilarité se figea. Saisi d'effroi, il lâcha sa tablette, qui se brisa au sol, et tourna un regard effaré vers l'écran qui avait dévoilé ce spectacle hallucinant. Mais entre-temps, l'image avait changé et montrait désormais l'intérieur d'un autre laboratoire. En toute hâte, il se précipita sur le pupitre et sélectionna le dernier écran. Il actionna une molette pour changer de caméra et retrouva les robots. Cette fois-ci, ils faisaient une ronde. Bras tendu vers le haut, ils se tenaient par la main du bout des doigts, tandis que l'autre main était posée sur la hanche. Dans une synchronisation parfaite, ils tournaient en soulevant une jambe, puis l'autre, après un léger sautillement.

    — Oh ! Mais qu'est-ce que c'est que ça ? gémit le garde devant ce spectacle ahurissant que n'aurait sûrement pas renié un scénariste hollywoodien de film d'horreur.

    Il fit pivoter la caméra à la recherche du petit plaisantin responsable du comportement grotesque de ces robots. Mais il ne décela nulle présence humaine. Le laboratoire restait désespérément vide. À croire que ces robots étaient dotés d'une vie propre. Tadasuke n'avait qu'une très vague idée des recherches menées dans cette université. Mais développer des robots qui dansaient n'en faisait sûrement pas partie. Cela lui fit penser à ce film américain où une IA hostile avec sa logique incontestable contrôlait une armée de robots destinée à asservir l'homme.

    Finalement, si Tadasuke avait su de quoi il retournait réellement, il se serait rendu compte qu'il n'était pas si loin de la vérité. À la différence que l'IA en question, très loin de vouloir dominer le genre humain, s'amusait comme une petite folle en savourant la liberté que lui procurait les deux androïdes. Elle en avait même oublié toute notion de prudence. Ce fut par l'intermédiaire des robots, à l'ouïe très développée, qu'elle prit conscience d'être épiée en entendant la caméra de surveillance bouger à l'intérieur du laboratoire. Elle réagit instantanément et l'opérateur vit alors l'un des robots tourner lentement la tête vers l'objectif et pointer le doigt dans sa direction. Sans que le gardien ne fasse quoi que ce soit, le zoom de la caméra entra en action. L'image, sur l'écran de contrôle, grossit jusqu'à n'englober que le visage inexpressif du robot et ce doigt accusateur. Instinctivement, le vieil homme recula et buta contre son fauteuil, où il se retrouva assis après avoir perdu l'équilibre. Le fauteuil roula en arrière, l'éloignant de cette vision dantesque. L'image disparut subitement, remplacée par un fond noir.

    Le gardien, en état de choc, mit un certain temps avant de se ressaisir. Il réalisa soudain que le poste de garde n'était pas très éloigné du laboratoire. Aussi, d'un bond, il atteignit la porte d'entrée du local de surveillance. Elle était bien verrouillée. Mais il se demanda si cette porte pouvait bien tenir face à l'assaut de robots. Sans compter qu'il ne disposait que d'une simple matraque qui lui paraissait bien ridicule pour contrer une éventuelle attaque. Mais dans l'immédiat, il se devait d'alerter le responsable du laboratoire. C'étaient les consignes en cas d'incident dans un lieu assigné à la recherche. Il avait heureusement eu la présence d'esprit de mémoriser le nom de la salle sur l'écran. Rapidement, il trouva les coordonnées qu'il cherchait. Il s'agissait du professeur Takumi Takahashi. Il était six heures trente du matin, mais il l'appela sans sourciller. Il n'eut pas longtemps à attendre avant que l'on décroche.

M.I.AOù les histoires vivent. Découvrez maintenant