49- Le rappel des liens du sang

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Np: Kanye West_ Family Business

Quand ma mère et moi avons emménagé à Casablanca, j'avais eu peur qu'elle m'oublie à nouveau. Après la mort de mon père, elle a eu une longue phase dépressive. Au point où j'ai dû habiter que sa cousine pendant un moment. La maison que nous avions? Arrachée par les sœurs de mon père. L'argent qu'elle avait? Quel, argent? Elle avait arrêté de travailler. Elle a mis du temps avant d'accepter ce boulot dans l'administration proposé par un des meilleurs amis de mon père. C'était clairement de la paperasse, et pour elle qui avait fait des études en langues, ça n'était pas là meilleure option pour elle. A l'époque, l'université de Marien Ngouabi à Brazzaville était une des plus prestigieuse d'Afrique francophone et d'Afrique Centrale. Elle parlait le russe, l'espagnol, l'anglais et le portugais. Travailler dans une administration ? Pour quoi faire? Elle a donc refusé en s'enfonçant dans sa dépression. Elle ne venait plus me voir. Elle ne me parlait plus. Pendant presque deux ans, je n'entendais parler d'elle que pendant les fêtes de Noël et du nouvel an. Je ne sais pas ce qui s'est passé pour elle pendant ces trois ans, mais pour ma part, c'est là qu'ont commencé mes crises d'insomnie et, sans doutes quelques part dans le processus, une peur de l'abandon.

Elle a finit par prendre le boulot quand elle apprit qu'il y avait possibilité de voyager. Le Maroc. L'ambassade du Congo au Maroc avait besoin d'une nouvelle secrétaire de rédaction. Elle était polyglotte, son parcours était exceptionnellement en accord avec les critères que demandait le poste. Et l'arabe? Elle leur a dit qu'elle apprendrait sur place. Elle est donc revenue me chercher chez ma tante à Bacongo. Elle m'a dit qu'elle était fière de moi, de l'obtention de mon bac et pour le combat que j'avais mené et gagné seule par ma résilience. J'étais juste heureuse qu'elle se ré-interesse à moi. On est allé à Casablanca, et c'est là bas que nos liens ont été réparés. Réparés, oui, mais pas en totalité. Le deuil avait cassé quelque chose chez elle, quelque chose entre nous. Et je le sentais de manière si forte qu'il était plus facile pour moi de fuir ce sentiment que de le questionner.

Une partie de l'histoire que je n'ai pas, et que j'ai choisi d'ignorer. Vivre avec une douleur qui peut-être n'était pas la mienne. J'ai donné à ma mère l'inconfort de mon silence pour qu'elle se remette sur pieds. Pour ne pas qu'elle baisse des yeux quand je regarde dans les siens. Pour ne pas qu'elle m'abandonne, encore. Mais cet inconfort a nourrit ma solitude, et mon inquiétude s'est traduit en veillée nocturne. Je le sentais de plus en plus. Que mes nuits étaient plus courtes. Que le sommeil n'était plus une priorité. Alors que les cauchemars avaient commencé peu après mon aménagement chez ma tante, l'insomnie était arrivé, quelque part, comme une aubaine. En restant debout la nuit, je pouvais être plus créative. Je n'avais pas d'obligation à interagir avec qui que ce soit. Je pouvais pleurer sans que ma mère ne le sache. Je ne devais rien à personne ma nuit. C'était le moment où je vivais librement. Enfin, du moins au début. Avec le temps, c'est moins marrant de se retrouver seule avec des pensées intrusives.

C'est drôle comme quelque nuits de sommeil m'ont fait oublier des années d'insomnie. Younes, le travail, les copains. Tout s'était agencé si bien ces derniers temps.

J'ai pris le repos de l'âme pour acquis.

J'avais oublié la sensation horrible d'avoir la gorge nouée, serrée. Bloquée par une angoisse irrationelle.
Et le sentiment d'impuissance mêlé à l'incertitude de ce qui est vrai et de ce qui ne l'est pas.
Les jambes trop lourdes qui patinent dans le vide et les bras paralysés ou juste endormis.
Le cœur qui bat vite, cherche à s'échapper, cherche à me fuir, à me laisser vide.
Les oreilles étouffées par la pression.
Les poumons qui brûlent et la vue trouble.
Le doute sur si c'est ainsi que se finira ma vie.
Noyée dans le second fleuve le plus puissant du monde.
À quelques pas de ma maison et sa vue sur sa capitale jumelle.
Puis ramenée à la vie au milieu de la nuit, réveillée par un cris étouffé, le mien.
Le souffle court.
Le visage crispé par la peur et l'angoisse. Des larmes, encore et encore et encore... et encore.

Andrea, Can We Still Be Friends?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant