Chapitre 153 : Négociation avec le mal

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 Aussi surprise qu'apeurée de se retrouver en face et aussi proche de l'ombre du violon, Syara, qui était apparue dans la même position que celle où elle avait commencé la cérémonie, tomba à la renverse et rampa sur ses coudes pour s'éloigner le plus rapidement possible. Plutôt que de s'en prendre à elle, l'ombre continuait de rire comme si tout ceci n'était qu'une blague.

— Voyez-vous ça ! Petite louve a décidé de gagner en puissance. Je t'avais dit de ne rien laisser transparaître de nos échanges, de faire comme si de rien était auprès des autres, mais j'ai comme l'impression que ça va un peu trop loin et que tu as finalement rejoint leur camp.

— Qu'est-ce que tu me veux ? Demanda-t-elle tout en se relevant après s'être assez éloignée.

— Ce que je veux ? Surtout pas d'un nouvel ennemi. Tenir tête aux deux autres à moi seule n'est déjà pas chose aisée, mais si tu les rejoins, cela ne va pas m'arranger.

— Et donc ? Tu comptes profiter de la cérémonie pour me tuer ? Faire ça ne serait pas non plus dans tes intérêts.

— Et pourquoi donc ?

— Le violon est fait pour retourner dans le coffre de cristal, mais on ne sait pas si c'est réalisable depuis un autre monde. En plus, je suis la seule à pouvoir arrêter le roi des anges. Si j'échoue et qu'il envahit mon monde, plus personne n'obtiendra d'instrument. Tu resteras coincé dans le coffre pour l'éternité.

— Est-ce Fos qui t'a dit ça en ayant prévu que j'intervienne ? Quel ingrat ! Il oublie que c'est grâce à moi qu'il est toujours là aujourd'hui.

Non, Fos ne lui avait rien dit. Cette justification lui était venue comme ça alors qu'elle cherchait à retarder la confrontation en attendant de possibles renforts. Cependant, ce qu'elle avait dit ensuite la surprenait. Que voulait-elle dire par là ? Bien que son argument soit pertinent, l'ombre continuait de se fendre d'un large sourire amusé.

— Si les deux autres ont accès à tes pensées, moi, j'ai accès à tes émotions et je sens la surprise et le doute en toi. Ai-je dit quelque chose de spécial pour que tu réagisses ainsi ?

— Comment ça, Fos est toujours là grâce à toi ?

— Tu es bien lente à la détente, ma pauvre petite louve, se désola-t-elle. À ton avis, si ni Cristal, ni l'esprit de Fos ne l'ont assisté pour son sort d'immortalité, qui s'en est chargé ? C'est moi qui lui ai prêté mes pouvoirs en occultant cette requête aux autres ! C'est grâce à moi que l'autre qui essaie toujours de me repousser aux fins fonds du violon est toujours là pour tenter de te manipuler !

— Que veux-tu dire ?

— Ne t'es-tu jamais demandé pourquoi, alors qu'il y a eu de très nombreux détenteurs du violon à travers les âges, Fos est le seul à être resté auprès de Cristal ? La raison est pourtant simple. Mise à part l'invocatrice originelle qui persistera toujours en ce monde, si le porteur meurt, son âme dans le violon disparaît.

— Et vu que l'esprit de Fos est ton plus grand ennemi, j'en déduis que cela s'applique aussi à toi. Tu lui as accordé ce pouvoir en te faisant passer pour les autres esprits afin de pouvoir persister en ce monde.

— Bravo, elle a compris ! S'exclama l'ombre en levant les mains au ciel et en applaudissant bruyamment.

— Alors c'est une raison de plus pour me laisser accomplir le rituel ! La confrontation avec le roi est inévitable. Pour protéger Fos, il vaut mieux que je sois la plus puissante possible, argumenta-t-elle.

— Sauf que, comme je l'ai dit, je n'ai aucune envie d'avoir un troisième adversaire sur le dos. Cela voudrait aussi dire que j'abandonne tout espoir de sortir. Serions-nous dans une impasse alors ?

En disant cela, l'ombre venait définitivement de se trahir, pensa la beast. Il s'était présenté comme étant la victime dans l'histoire, celui que l'on rejetait alors qu'il n'était pas le méchant de l'histoire, mais dire qu'il ne souhaitait que sortir impliquait la possession du porteur. Voilà tout ce qui l'intéressait. Sortir du violon qui était, pour lui, une prison.

Un autre point retint l'attention de la violoniste. Depuis tout à l'heure, il parlait d'être confronté à trois esprits. Cristal, Fos et elle-même. Or, elle se trouvait actuellement dans le violon. Était-elle la conscience de celle qui se trouvait à l'extérieur ou bien la partie d'âme qui venait de se détacher pour rejoindre l'instrument ?

Comme l'avait dit l'ombre, ils se trouvaient dans une impasse. L'esprit corrompu ne pouvait pas la tuer et risquer de se retrouver prisonnier du violon pour l'éternité, mais ne pouvait pas non plus la laisser aller au bout du rituel.

— J'ai une proposition à te faire, déclara l'ombre. Renonce à terminer la cérémonie et mes pouvoirs t'appartiendront sans aucune contrepartie jusqu'à ce que le roi des anges soit vaincue. Tu sais que je suis bien plus puissante que les deux autres. Avec moi à tes côtés, tu auras les mêmes pouvoirs que si le violon t'appartenait réellement.

La solution pacifique allait-elle finalement venir de son reflet déformé ? Elle n'avait aucune envie de lui venir en aide, mais dans une situation pareille, l'avoir comme allié pouvait tout aussi bien être la clé pour vaincre le roi. Ce pouvait même être une voie plus simple et rapide d'y parvenir vu qu'il n'y aurait pas la partie apprentissage à réaliser pour la partie de son âme destinée à rejoindre le violon.

— Si j'accepte, qu'arrivera-t-il à Cristal ?

— Rien du tout ! Si je te propose cette trêve, je rejoindrai momentanément leur camp. Jouer sur mon violon ne la torturera pas. J'en suis parfaitement capable, preuve en est du sort d'immortalité qu'a lancé Fos.

Tout ceci semblait idéal... Trop beau même. Il était difficile de lire en lui, mais Syara avait la certitude qu'il lui mentait. Elle ne savait pas comment il avait fait à l'époque pour lancer un sort à la place des deux autres sans qu'ils ne s'en rendent compte, mais elle était certaine qu'à cet instant, utiliser le violon corrompu, même si les esprits se trouvaient dans le même camp comme il l'affirmait, allait blesser Cristal.

— D'accord, dit-elle en haussant les épaules. Mais avant d'accepter quoi que ce soit, rejoignons les deux autres pour en discuter. Ce pourrait être l'occasion pour vous de faire la paix.

— Ils refuseront de nous écouter !

— N'aurais-tu pas plutôt peur qu'ils me révèlent que ta proposition n'est pas si parfaite que ça ? Sourit la violoniste.

— Bon, s'en est assez. On ne pourra pas dire que je n'ai pas tout fait pour régler cela de manière diplomate. Cette cérémonie est finalement parfaite. Je vais te vaincre ici et retourner dans le monde réel à ta place pour prendre ton corps qui se retrouve actuellement sans âme. Ainsi, je serai libre et le sort de Fos ne sera plus un problème pour moi. Il pourra très bien mourir sans que cela ne m'affecte.

— J'en déduis donc que cette histoire d'impasse n'était que du vent et que tu voulais faire ça depuis le début. Toute cette discussion ne pouvait mener qu'à ce résultat, ça n'était qu'un petit jeu pour toi avant de passer à l'action.

Face à ces accusations, l'ombre du violon ne dit rien, mais se contenta de sourire de plus bel. Celui-ci n'était d'ailleurs plus amusé, mais bien malveillant. Elle avait vu juste. Malgré le temps qui passait, personne n'était venu à son secours. Elle serait donc seule face à cet ennemi redoutable. Cette cérémonie s'avérait finalement être beaucoup plus dangereuse que prévu. Les risques d'en mourir venaient de monter en flèche et, cerise sur le gâteau, échouer reviendrait à libérer dans le monde réel l'une des plus grandes calamités qui puisse exister.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant