Le violon de cristal : l'autre monde

Chapitre 33 : La proposition

 — Alors petite sœur, c'est tout ce dont tu es capable ? Rit Kelemir tandis qu'elle se tenait à genoux. Visiblement, père s'était trompé. Je ne vois pas en quoi tu pourrais être une menace pour lui.

— Tu vas vite comprendre pourquoi il a eu peur de moi, grinça-t-elle entre ses dents.

— J'en ai déjà vu bien assez, souffla-t-il d'un air las. Tu as certes des pouvoirs intéressants, mais tu es bien trop jeune. Il te faudrait au moins plusieurs centaines d'années pour ne serait-ce qu'arriver à la cheville de père. Et puis, laisse-moi deviner. C'est ton premier vrai combat contre un autre musicien, je me trompe ? Tu es certes puissante, mais tu fais des erreurs de débutante. Des erreurs que je faisais moi-même la première année où j'ai reçu mon instrument.

Son inexpérience était aussi flagrante que ça ? Il devait lui avoir révélé une telle chose en pensant qu'elle était la seule musicienne de la ville, mais il n'avait pas tort pour autant. De peur de blesser les autres, elle n'avait eu que des rochers pour lui servir d'adversaire pendant toutes ces années. Rien qui ne puisse s'apparenter à un vrai combat contre un autre musicien.

— Pourquoi ne pas nous arrêter là ? Suis-moi et reviens dans la famille. Père m'écoute et a plusieurs fois changé d'opinion après que je lui aie apporté les bons arguments. Je pourrais le convaincre que tu n'es pas une menace pour lui. Qu'en dis-tu ? La vie au palais ne te manque-t-il pas depuis toutes ces années où tu vis dans la fange ?

Après s'être approché d'elle, Kelemir lui tendit la main pour l'aider à se relever. Cristal était en plein dilemme. Bien sûr, elle ne voulait en aucun cas retourner auprès de sa famille et de son père, mais son frère lui offrait une occasion inespérée d'approcher leur père. Là, elle pourrait aisément l'attaquer !

Non. Elle avait beau s'imaginer des centaines de scénarios en à peine quelques secondes, chacun de ceux qui impliquaient qu'elle accepte cette offre ne menaient qu'à sa propre défaite. Pire, dans certains cas, elle s'imaginait subir un lavage de cerveau pour devenir un pantin bien obéissant du tyran.

— Je ne peux pas. Pas après avoir côtoyé toutes ces personnes opprimées par notre peuple. Pas après avoir entendu les témoignages de ce que toi et nos autres frères et sœurs faites subir à tous ceux qui ne sont pas des elfes.

— C'est vrai, j'oubliais que tu étais tellement sensible que tu n'avais jamais changé de serviteur.

— Avoir de la considération pour la vie des autres n'est pas être sensible, c'est normal ! C'est vous qui êtes des monstres à les considérer comme des objets ou des animaux !

— Tant pis, j'aurai essayé. Si tu ne viens pas avec moi de ton plein gré, je t'emmènerai de force. Après tout, je n'ai pas envie de me faire décapiter par Sinélia si elle apprend que j'ai tué sa petite sœur chérie. Même aujourd'hui, elle ne s'est toujours pas remise de ta disparition. Toi aussi tu l'adorais, toujours collée à elle. Tu ne voudrais pas la revoir ?

Revoir sa sœur bien-aimée qui était si gentille et attentionnée ? Oui, ça elle le voulait. Retrouver le monstre qui avait ritualisé le sacrifice de ses serviteurs et en tuait un par semaine, il n'en était pas question !

Toujours à genoux et vulnérable face à Kelemir, Cristal s'attendait à être assommée pour être emmenée de force. Elle fut donc surprise en voyant que son frère s'éloignait d'elle de plusieurs mètres. Il était en position pour l'attaquer, mais n'en faisait rien.

— J'ai bien compris que je n'arriverai pas à te convaincre par les mots. Tu as eu le temps de souffler un peu, alors relève-toi et montre moi de quoi est réellement capable celle qui a pu faire trembler père.

— Tu veux continuer le combat ? s'étonna-t-elle en se relevant.

— D'un point de vue magique et stratégique, ce combat est digne de ton amateurisme en la matière, mais pour ce qui est de la musique en elle-même, je trouve que tu t'en sors très bien. J'ai beaucoup aimé notre échange.

— Oui, moi aussi, murmura-t-elle.

Avec un sourire qui faisait plus penser qu'ils étaient un duo plutôt que des adversaires, Kelemir invita sa sœur, avec un signe de main dans sa direction, à commencer à jouer. Ne se faisant pas prier, Cristal entama une mélodie bien plus lente et grave que la précédente. Malgré les secondes qui passaient, aucun effet apparent ne semblait se manifester.

— Bien ! Bien mieux ! Félicita son frère qui reprit la mélodie à sa façon pour la compléter.

Alors que rien de visible à l'œil nu ne se passait, Cristal avait perçu que le sort qu'elle lançait avait changé de nature. Un véritable combat de musicien n'était pas de s'envoyer des sorts à la figure et de se défendre avec d'autres, mais d'en créer un déterminant que les deux partis tentaient de s'approprier, à la manière d'un tir à la corde.

Si cette méthode avait pour avantage de consommer moins d'énergie, Cristal commençait à se demander quel était l'avantage de faire appel à plus de pouvoirs. Pour reprendre la main sur le sort, elle avait compris qu'il fallait faire appel à un élément qui battait celui de son adversaire. Malgré tout, elle avait beau n'avoir comme limite que son imagination, son frère arrivait toujours à la contrer.

Là encore, son expérience parlait à sa place. Il devait exister de nombreux écrits sur ce type d'affrontement et sur quelle nature de sort battait l'autre. Ces écrits, Kelemir devait les connaître par cœur tandis que sa sœur ne pouvait y aller que par tâtonnement et instinct pour reprendre le contrôle de l'attaque déterminante.

— Tu as en effet du potentiel, admit son adversaire. Mais pas de chance pour toi, si parmi la fratrie je suis de ceux qui compte le moins de pouvoirs différents, je suis paradoxalement celui qui a le plus de polyvalence dans ce domaine. Il va vraiment falloir que tu trouves quelque chose de surprenant pour prendre le dessus.

— Ne t'en fais pas pour ça. Je suis loin d'avoir joué ma dernière note.

— Merveilleux ! Dans ce cas, que dirais-tu de passer à la vitesse supérieure ? Proposa-t-il avec un large sourire.