Chapitre 152 : La cérémonie de l'âme

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 Au fin fond de la grotte aménagée par Fos, dans une alcôve dont l'accès pouvait être fermé par une porte, Syara reprenait une dernière fois le déroulé de la cérémonie dans sa tête avant de s'y lancer. Assise en tailleur, elle avait hésité entre rester au milieu de la pièce ou s'adosser au mur. Elle avait finalement opté pour la première option en se disant qu'avoir quelque chose en contact avec elle allait être une gêne lorsque ses sens seraient en éveil.

L'endroit qu'avait choisi l'ancien détenteur du violon était parfait. Vu qu'il avait lui-même accompli cette cérémonie et qu'un tel souvenir devait marquer, il devait se rappeler de toutes les difficultés rencontrées et tout ce qui pouvait le perturber.

Bien qu'elle doive fermer les yeux, elle restait plongée dans le noir complet. Aucun son, si ce n'est celui de sa respiration, ne venait la déranger. Vu qu'elle était seule, la beast avait même enlevé ses habits et gardé uniquement ses sous-vêtements pour ne pas entendre des frottements de tissu si elle venait à bouger. Se découvrir ainsi avait eut comme inconvénient de sentir la fraîcheur de la roche sous elle, mais il lui suffit d'attendre un peu pour que sa chaleur corporelle ne la dissipe.

Bien qu'ayant un odorat développé, elle ne sentit rien non plus de notable. À son réveil, elle-même s'était rendue à un point d'eau non loin pour se laver à l'eau claire sans rien d'autre afin d'enlever toute odeur corporelle.

Après une longue expiration, la dernière d'aussi bruyante qu'elle allait se permettre de faire pendant les prochaines minutes, Syara se lança dans son introspection à la recherche de son âme. Les muscles totalement relâchés et la tête pendante, elle tenta de visualiser la fameuse boule de lumière que lui avait décrite Cristal.

Dès qu'elle en aperçut les premières lueurs, une première note discrète de violon accompagna son approche. Comme elle l'avait deviné, son imagination n'allait pas la laisser faire sans lui composer une mélodie. Elle n'y prêta aucune attention, laissant la musique se développer sans qu'elle ne pense ni à la modifier, ni à la retenir. Pour une personne qui avait une forte affinité avec la composition, rien que cela relevait de la torture, mais elle tint tout de même bon et continua à s'approcher de la boule de lumière.

Une fois à son contact, Syara ressentit une douce chaleur au niveau de sa poitrine. Il ne s'agissait pas d'un phénomène physique extérieur, mais bien du rayonnement de cette représentation de son âme. La musique qui l'accompagnait était aussi apaisante que cette sensation, un véritable régal qui la ressourçait.

Passant à la suite, la partie la plus dangereuse, la violoniste se mit à imaginer la scission entre son âme et la partie qui allait rejoindre l'instrument. Dès qu'une petite protubérance se forma sur la sphère parfaite, tous ses sens se retrouvèrent décuplés. Malgré son bain, elle sentait sa transpiration ainsi que l'odeur d'humidité de la pièce qu'elle n'avait pourtant pas décelée, même en se focalisant sur son sens olfactif.

Elle entendait son cœur battre tel un tambour assourdissant, son souffle pourtant calme s'était transformé en une tempête à ses oreilles. La musique qu'elle s'imaginait tentait de rivaliser avec tous ces bruits parasites. Elle montait en intensité et augmentait le tempo pour accompagner et donner du sens à toutes ces bourrasques. La mélodie, qui évoquait la tempête, était cependant étouffée, surpassée par son souffle et le bruit de son cœur.

Si se déshabiller lui avait permit d'éviter les sons de tissu, elle n'avait finalement fait que remplacer une gêne par une autre. Son sens du toucher n'avait pas été épargné et, sans la protection qu'offrait un pantalon, elle ressentait chaque petite irrégularité du sol sur lequel elle était assise.

Enfin, un goût emplissait sa bouche. Un goût dont elle ne prêtait normalement aucune attention, qui était parfaitement normal et habituellement synonyme d'absence de goût. Celui de sa propre salive. Elle ressentait chaque goutte qu'elle sécrétait de sous sa langue remonter le long de ses incisives pour se répandre ensuite partout dans sa bouche.

Bien qu'elle devait absolument faire abstraction de cela, Syara en venait à craindre de déglutir, d'entendre le pétillement qui précéderait ce processus dont elle ne prêtait habituellement aucune attention et qui se transformerait pour elle en une véritable explosion de feux d'artifices. Elle craignait de sentir le liquide couler le long de son œsophage là où elle ne ressentait normalement plus rien passé sa gorge.

Du côté de son âme, la protubérance s'était bien développée et formait à présent une demie-sphère. Le moment critique était arrivé. La partie de son âme destinée au violon ne grossissait plus, mais s'était mise à tirer pour s'extirper de la sphère lumineuse. Le lien qu'il y avait entre les deux était de plus en plus fin. Elle ne devait surtout pas se rater. Si la rupture était trop brusque, elle risquait d'en mourir !

Malgré les contraintes que lui imposaient ses sens, Syara banda sa volonté pour se concentrer sur la séparation. Il n'y eut aucune section brutale entre les deux corps. Tout se passa dans une douceur absolue, comme si ça n'était pas la partie qui allait rejoindre le violon qui s'était détachée, mais que l'autre, celle de son âme, l'avait laissée partir de son plein gré.

La partie la plus dangereuse était passée, mais ça n'était pas le moment de se réjouir. Cristal avait été bien claire lors de ses explications. De son temps, la plupart de ceux qui échouaient rataient la cérémonie parce qu'ils étaient bien trop excités à l'idée d'avoir dépassé la phase mortelle.

Se concentrant sur la partie détachée, Syara aperçut, dans son champ de vision périphérique, le reste de son âme s'éloigner dans les ténèbres jusqu'à ne plus émettre de lumière. C'était à cet instant que sa cérémonie se différenciait des autres. Plutôt que de laisser son âme prendre forme d'elle-même, la beast s'imagina le violon de cristal arriver au loin et s'approcher peu à peu.

La sphère de lumière, qui ne faisait même pas un quart de la taille du violon, entra en contact avec l'instrument qu'elle connaissait par cœur, à la rune près. Elle était telle une grosse goutte d'eau posée sur l'instrument.

À mesure que le temps passait, Syara assistait à l'absorption de sa partie d'âme par le violon. La goutte pénétrait le violon, s'insinuait lentement à l'intérieur et rapetissait petit à petit. La phase finale était presque achevée.

Et pourtant, quelque chose n'allait pas. Son instinct lui hurlait d'ouvrir les yeux, qu'elle était en danger, qu'il fallait qu'elle fasse quelque chose ! Ça, Cristal n'en avait pas parlé. Devait-elle se concentrer sur la fin de la cérémonie ou s'écouter ?

Cette impression était de plus en plus forte. Elle sentait son cœur s'accélérer, non pas à cause de l'excitation, mais bien à cause de la peur. La peur de la mort. Si elle n'ouvrait pas les yeux maintenant, c'était tout ce qui l'attendait.

Malgré les instructions de Cristal qui lui avait bien dit de rester focalisée sur le processus jusqu'à ce qu'il soit achevé, Syara finit par céder et écouter son instinct et tous les signaux qu'il lui envoyait.

— Bouh ! S'exclama l'ombre du violon, son visage fendu d'un large sourire carnassier à quelques centimètres du sien.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant