Chapitre 28 : La pendaison

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 — Je te demanderai bien si tu as des dernières paroles, mais même ça tu ne le mérites pas, chuchota Isphiale à l'oreille de la jeune elfe.

Une fois la corde passée autour de son cou, les deux acolytes de la démone lâchèrent Cristal. Vu son état, elle n'aurait jamais pu rester debout et pourtant, elle luttait de toutes ses forces pour tenir. À quoi bon ? Que ce soit elle qui s'effondre ou la trappe qui se dérobe sous elle, la différence ne serait que de quelques secondes. Et pourtant, malgré cette douleur dans les jambes et dans le dos, elle tenait.

Derrière elle, ses bourreaux se réjouissaient de sa mort prochaine. L'un d'eux se disait d'ailleurs qu'il lui couperait une oreille après la pendaison pour l'accrocher comme pendentif tandis qu'un autre se demandait pourquoi il voulait attendre qu'elle soit pendue pour le faire plutôt que lui couper maintenant.

C'était toujours la même chose. On lui reprochait des fautes qu'elle n'avait pas commises, on la martyrisait, on lui jetait des regards haineux qu'elle ne méritait pas, on se réjouissait de sa mort imminente...

En voyant les personnes massées sur la place qui n'attendaient qu'une chose, que la trappe ne la soutienne plus, une question vint à l'esprit de Cristal. Ces peuples étaient-ils aussi innocents qu'ils le prétendaient ? N'était-ce pas parce qu'ils s'étaient comportés ainsi que les elfes n'avaient eu d'autre choix que de s'élever au-dessus d'eux pour être en sécurité ?

Résignée et ne voulant plus voir tous ces visages, la jeune elfe ferma les yeux. Elle continuait à entendre la foule hurler. Ça aussi elle voulait que ça cesse. Qu'ils se taisent tous ! Qu'elle puisse entendre ce doux son de harpe avant que la descente de quelques centimètres qu'on lui réservait ne brise la nuque !

Une harpe ? Non, elle ne rêvait pas, il y avait bien une personne qui jouait de la harpe ! Rouvrant les yeux, Cristal tenta de localiser d'où provenaient ces notes mélodieuses. Elle en trouva finalement l'origine sur le toit de l'une des maisons qui bordaient la place. La musicienne, elle, ne lui était d'ailleurs pas inconnue.

— M...Mélyne ? Souffla-t-elle.

N'en revenant pas de ce qu'elle voyait, la jeune elfe fut d'autant plus surprise lorsqu'elle sentit la corde relâcher sa tension. Celle-ci, avait été coupée net et ne menaçait plus de lui briser la nuque. Soulagée, Cristal tomba à genoux tandis que ses agresseurs, qui n'avaient pas encore compris ce qui se passait, se rapprochèrent d'elle.

Un vent violent se mit alors à souffler et à l'entourer. Ses bourreaux ne comprenaient toujours pas ce qui se passait, mais n'arrivaient plus à progresser. L'un d'eux cependant, le plus massif de tous, luta pour se saisir d'elle. Il y était presque, sa main était sur le point de la saisir à la gorge !

D'un coup, la rafale de vent cessa brusquement et deux flèches vinrent se planter dans le torse du colosse qui tomba à la renverse.

— Mais qu'est-ce qui se passe ?! Hurla Isphiale.

— Rends-moi Cristal ! tonna Mélyne avec détermination et rage. Rends-moi ma fille !

— C'est un instrument de l'âme ? Comment as-tu fait ? Quel est le vrai rituel !

— Le vrai rituel, c'est exactement ce qu'elle a dit devant le conseil. J'ai suivi à la lettre ses indications pendant que tes hommes m'empêchaient de sortir !

— Impossible ! Ce rituel est un piège ! Il doit bien y avoir quelque chose d'autre !

— Les schémas, répondit Cristal d'une voix enrouée. Elle a pu voir les schémas que j'ai faits pour expliquer la partie la plus sensible du rituel. Personne ne devait tenter d'accomplir la cérémonie avant que je ne les aie terminés.

— Tu mens ! Hurla-t-elle telle une démente. Ça n'est pas possible ! Elle est de mèche avec toi et...

— Isphiale !

En même temps que son nom tonnait sur la place, une volée de flèches vint atteindre avec précision le cœur de chacun de ses partisans. Le public s'écarta rapidement et révéla ainsi le chef du conseil, entouré de sa garde constituée d'une douzaine de ses congénères elfes noirs.

— Vous ne comprenez pas ! C'est un monstre !

— Le seul monstre ici, c'est toi ! Que tout le monde écoute bien. Cristal n'a jamais fait de mal à qui que ce soit, elle n'est en rien responsable des crimes commis ni par son peuple, ni par sa famille. Pendant toute sa vie, ces atrocités lui ont été cachées. Elle n'en était même pas consciente avant que nous lui révélions tout. Elle n'a donc commis aucun crime et n'a pas hésité à nous révéler le secret de la magie des instruments. Cette enfant n'est en rien l'ennemie que nous devons combattre ! Isphiale par contre est une fervente partisane d'une idéologie néfaste qui ne ferait que légitimer la violence que nous subissons et qui nous mènera à notre perte.

Était-ce parce qu'ils avaient enfin entendu raison ? Parce qu'ils connaissaient à présent la vérité plutôt que les mensonges de la démone ? Parce qu'ils avaient peur du chef du conseil et se rangeaient donc de son côté ? Dans tous les cas, le public avait toujours ce regard haineux, mais il n'était plus focalisé sur Cristal.

— Ne l'écoutez pas il...

— Il y aura bel et bien une pendaison aujourd'hui, mais ça ne sera pas celle de cette enfant, décida-t-il.

— Non... Non, non, non, non... Non ! Si je dois mourir, je l'emporte avec moi !

Sortant une lame de sa ceinture, Isphiale se rua sur la jeune elfe qui, trop affaiblie, ne pouvait même plus bouger. Avant qu'elle ne lui fasse le moindre mal supplémentaire, une nouvelle personne vint s'interposer et arrêta son geste en la saisissant par le poignet. Acolar, le dragon, était arrivé à temps pour éviter le drame.

Déployant ses ailes, la démone tenta de s'échapper par les airs, mais la poigne de cet être qui arborait les traits du peuple qu'elle détestait tant était bien trop forte. Une nouvelle volée de flèches, toujours aussi précise, vint alors lui déchirer les ailes et la clouer au sol.

Les gardes vinrent rapidement l'immobiliser et, lorsqu'il fut certain qu'elle ne pourrait plus aller nulle part, Acolar la lâcha et se pencha sur Cristal pour lui prodiguer un puissant sort de soin.

— Cristal ! s'exclama Mélyne, en pleurs, en se posant à côté d'elle. Ma pauvre chérie, qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?

— Je suis désolé, s'excusa le chef du conseil en montant à son tour sur l'estrade. J'ai fait aussi vite que j'ai pu lorsque j'ai appris que ce que cette folle prévoyait de faire avec ce rassemblement. Dans quelques minutes, tu n'auras plus à t'inquiéter d'une nouvelle attaque de sa part et de ses partisans.

Tandis qu'il disait ça, une personne installait une nouvelle corde à la potence. Il ne plaisantait finalement pas lorsqu'il menaçait ses alliés qui allaient trop loin.

Derrière, celle qui lui avait fait tant de mal se débattait et tentait de s'échapper de l'emprise des gardes. Elle suppliait et chouinait pour qu'on la laisse en vie.

— C'est tout ce dont je suis capable de faire pour le moment, annonça le dragon.

— Je suis... fatiguée, murmura-t-elle.

— Tu vas pouvoir te reposer. Je te ramène à la maison.

La prenant délicatement dans ses bras, Mélyne descendit de l'estrade et prit la direction de la rue qui menait au chemin vers la carrière. À son passage, la foule s'écarta. Pour la première fois, Cristal n'entendit pas de reproche, mais des excuses et des souhaits de bon rétablissement.

Lorsqu'elle eut traversé la place, la démone s'arrêta un instant. Les hurlements d'Isphiale couvraient les bruits de la foule. Cristal ne voyait rien, mais les paroles que sa tortionnaire prononçait montraient qu'elle était passée des plaintes à la démence. Elle maudissait tout le monde en leur souhaitant la pire des morts. Les noms de la jeune elfe et d'Efrène, le chef du conseil, ne cessaient de revenir.

Soudain, le bruit d'un mécanisme se fit entendre, puis plus rien. La place, malgré le monde, était devenue parfaitement silencieuse. À cet instant, Mélyne regarda quelques secondes par-dessus son épaule, puis s'envola pour la carrière, sa fille adoptive tendrement blottie contre elle.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant