Chapitre 74 : Un pied dans la forêt élémentale

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 Le jeune élémental relâché, celui-ci s'empressa de rejoindre la forêt et d'y disparaître. L'ancien, tenant parole, ne chercha pas à se dérober et était prêt à recevoir le châtiment qui devait être le sien pour avoir attaqué des représentants des dragons. Bien que son espèce soit différente des autres et s'approchait plus de la plante consciente que du monde animal fait de chair et d'os, Syara avait l'impression de voir perler des gouttes de sueur sur son front.

— J'aurai... Une dernière requête... Je sais que c'est égoïste de demander cela, mais pourriez-vous épargner tous les autres ainsi que la forêt ? Finit-il par implorer.

— Un sacrifice pour la sauvegarde des autres, je ne vois pas en quoi c'est égoïste. Et si, au lieu de vous tuer, on ne s'en prenait ni à vous, ni aux habitants de la forêt, ni à la forêt elle-même, mais qu'en échange, vous nous serviez de guide à l'intérieur ? Proposa plutôt la beast.

— Vous feriez ça ? S'étonna l'élémental.

— Pourquoi ça vous étonne autant ? Questionna Elyazra. Les dragons ont vraiment une réputation de merde. Ça ne donne pas tellement envie d'aller rencontrer les autres. Déjà qu'ils nous convoquent avec des lettres écrites dans une langue inconnue et qu'on a besoin de l'aide d'un esprit qui squat ton v...

— Ely, ça suffit, merci, la coupa sa sœur.

Si Syara trouvait tout à fait pertinente sa remarque sur la réputation des dragons, cette gourde n'avait pas non plus besoin d'exposer à tous des éléments normalement secrets ! S'ils avaient écrit en draconnique, c'était bien pour être discret et éviter que les convocations soient interceptées. Il n'y avait donc aucune raison d'aller le crier sur les toits et de révéler par la même occasion l'existence de Fos !

— À vrai dire, nous avons uniquement rencontré leurs émissaires et vous ne leur ressemblez pas du tout, d'où notre confusion. Les dragons que nous avons pu apercevoir volaient haut dans le ciel et effleuraient les nuages, expliqua l'élémental. En ce qui concerne votre proposition, je l'accepte avec soulagement. La traversée ne peut se faire en une journée. Aussi, je vous propose de passer la nuit dans mon village en tant qu'invitées.

— Ça c'est une idée qu'elle est bonne ! J'ai hâte de goûter l'alcool local ! S'exclama l'alcoolique de service.

— Je ne suis pas certaine qu'ils en produisent, répondit Phi avec un sourire gêné.

— Leur métabolisme étant totalement différent du notre, je te déconseille de boire ce qu'ils te proposent si ce n'est pas de l'eau, confirma Syara. Je pense que même ton estomac ne le supporterait pas et que les effets que tu cherches à avoir ne seront pas au rendez-vous.

Visiblement frustrée par cette nouvelle, Elyazra adopta une mine boudeuse qui fit sourire sa sœur. Au moins, à présent que l'élément perturbateur avait décidé de se taire, la violoniste allait pouvoir avancer dans la discussion avec l'élémental quelque peu perturbé par l'attitude de ces étranges visiteurs.

Ayant accepté leur proposition, celui-ci les précéda à l'intérieur de la forêt pour les guider. Une fois la lisière passée, Syara vit enfin ceux qui s'en étaient pris à elles. Plutôt que de leur en vouloir de leur avoir tiré dessus, elle annonça plutôt qu'elle était impressionnée par la précision dont ils avaient fait preuve.

Bien sûr, si la première flèche n'avait pas été qu'un simple avertissement et que Phi avait été blessée, son discours aurait été bien différent et cette partie de la forêt serait en proie aux flammes, mais son amie allait bien et l'incident était clos. Cela ne servait donc à rien de continuer à se les mettre à dos. Vu qu'ils allaient apparemment passer la nuit dans leur village, il valait même mieux faire bonne impression.

Alors qu'elles arpentaient un chemin qui s'ouvrait littéralement devant elles grâce à la présence de leur guide et qui se refermait dès qu'elles étaient passées, la violoniste tenta de sympathiser avec les élémentales. Celui qui était sorti de la forêt pour sauver le prisonnier se prénommait Ati et était loin d'être n'importe qui. Les autres l'appelaient le grand vénérable, titre qui le plaçait au-dessus de tous les autres élémentales de la forêt.

Tandis qu'il décrivait son rôle à leurs invitées, Elyazra ne put s'empêcher de relever que son action avait été certes noble, mais ô combien dangereuse et peu réfléchie. Après tout, beaucoup de personnes comptaient sur lui et il avait voulu se sacrifier comme s'il n'était personne d'important.

Ati passa donc de longues minutes à expliquer la philosophie qui animait les élémentales de cette forêt. S'il occupait la place de grand vénérable, cela ne plaçait pas sa vie au-dessus de celle des autres. Il s'agissait d'un poste qu'il occupait et qui serait pris par un autre lorsqu'il retournerait à la terre. En tant que doyen, il se devait même de considérer la vie des autres plus importants que la sienne, surtout s'il s'agissait d'une jeune pousse comme il les appelait.

Les forêts élémentales étaient des lieux opaques aux étrangers. Chez certains, comme ceux-là, l'accès y était même interdit à leurs congénères venant d'autres forêts. Cependant Syara avait déjà rencontré des membres de cette espèce qui avait décidé de vivre avec les autres races et tous lui avaient affirmé que la transmission de leur savoir était orale.

Bien que d'accord avec le fait de protéger les autres et surtout les jeunes, avec cette information, elle pointa le fait que sa disparition aurait aussi emporté tout ce qu'il pouvait transmettre. Cette réflexion parut étonner le grand vénérable. Tout d'abord, il n'existait aucun savoir qu'il n'ait pas transmis aux autres et, ensuite, s'il venait à disparaître, Ati affirma que les autres n'auraient qu'à demander à ceux qui étaient là avant lui.

Que ce soit Syara, Elyazra ou Phi, chacune mit un certain temps à comprendre de qui il voulait parler. Après tout, n'avait-il pas dit plus tôt qu'il était le plus ancien des élémentales ? Voyant que sa réponse les avaient perturbées, le grand vénérable caressa l'écorce d'un arbre au tronc absolument gigantesque et murmura quelque chose dans une langue semblable au vent qui s'engouffrait dans des branches.

Les élémentales étaient bien plus liés à la forêt que ce qu'elles auraient pu croire. Chaque arbre était considéré comme un habitant à part entière et les invitées de la forêt ne tardèrent pas à remarquer que ceux qui les accompagnaient ne cessaient de parler dans cette langue.

Elles n'y avaient pas fait attention jusque-là, croyant qu'il ne s'agissait que du vent dans des branches, mais à présent elles voyaient non seulement que ce son venait des élémentales, mais que les arbres semblaient leur répondre en retour.

— Vous voyez, si je disparais, aucun savoir ne sera perdu car eux en ont bien plus que moi et sauront le transmettre aux générations futures.

Tout ceci donna à Syara de quoi réfléchir. Y avait-il toujours eux cette cinquantaine d'élémentales à l'entrée de la forêt pour surveiller les arrivées, ou bien les arbres de la lisière servaient-ils de sentinelles et avaient prévenu les défenseurs que des intrus arrivaient sur la route ?

Pour la violoniste, cette seconde supposition était plus que probable et une chose était sûre. Elle ne verrait plus jamais les arbres de la même manière.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant