Chapitre 138 : bivouac dans la forêt

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 Les villageois sauvés et les soldats envoûtés pour qu'ils ne causent plus de problème, le groupe continua sa route au travers de la forêt. À l'inverse de la première partie où le chemin se faisait de plus en plus clair et dégagé, leurs pas les amenèrent rapidement à de la végétation qui les força à reprendre les détours.

— Mais c'est pas vrai ! Ragea Elyazra. Même la forêt ou nous habitions avec Orélius était mieux entretenue... Et il n'y avait personne à part nous et son père !

— Tu oublies pourtant un détail important, contredit Elirielle. Il devait y avoir de nombreux animaux qui habitaient cette forêt. Que ce soit pour se nourrir ou pour se frayer des passages, ils contribuaient à l'entretien de la forêt. Difficile d'avoir un même rendu ici avec uniquement des oiseaux.

— C'est vrai qu'il y en avait beaucoup... Et ils étaient tous savoureux !

— C'est pas vrai, se désola sa sœur. Tu ne pouvais pas trouver un autre mot pour les qualifier que savoureux ?

— Goûtu ? Se hasarda-t-elle.

— Mais non ! Je ne sais pas moi ! Tu peux dire que tu y as croisé des cerfs majestueux, des sangliers aussi robustes qu'attendrissants lorsqu'ils étaient suivis de leurs marcassins, des lièvres joueurs...

— T'es gentille, mais je ne suis pas musicienne moi ! Je ne cherche pas à coller ce genre d'étiquette sur la moindre scène que je vois dans l'espoir d'avoir un sursaut d'inspiration pour une mélodie.

— On a effectivement croisé tout ça, mais Ely a toujours considéré la forêt autant comme un terrain de jeu qu'un garde-manger, intervint Orélius. Ou plutôt, elle a fini par la considérer comme tel quand elle a arrêté de se comporter comme une petite princes...

Bien qu'il ait eu le temps d'en dire assez pour que tout le monde comprenne sa phrase, sa fin fut étouffée dans un couinement lorsque sa cousine lui écrasa les orteils avec son talon. Elyazra s'emportait très facilement et les termes qui pouvaient déclencher sa colère étaient nombreux. Princesse était sans conteste l'un d'entre eux.

Les détours à répétitions se firent de plus en plus durs à mesure que le soleil déclinait. La quasi-obscurité n'était pas encore un problème pour les habitants de l'autre monde habitués au peu de clarté et dont la plupart avaient une bonne vision dans le noir de par leurs gènes, mais Élane commençait, lui, à avoir le pas de plus en plus hésitant.

Plutôt que de chercher à avancer le plus possible, le groupe partit plutôt à la recherche d'un bon endroit pour camper. Après juste quelques minutes, ils trouvèrent un espace convenable assez grand pour que tout le monde puisse s'allonger. La corvée de bois fut vite expédiée et un sort de feu leur apporta chaleur et lumière.

— Nous ne devons plus être très loin du portail qui nous mènera au déchu à présent, non ? Questionna Syara.

— Je pense que nous le rencontrerons demain, annonça le fils du baron. L'île céleste sur laquelle il s'est installé est encore plus petite que celle où nous sommes et ne tourne même pas au-dessus d'une île terrestre. Même à pied, en faire le tour ne prend que quelques heures.

— Il y en a beaucoup des îles comme celles-ci ?

— Un certain nombre, oui, mais la plupart sont inhabitées. Les miens préfèrent les îles plus grandes avec des peuples habitants les terres d'en dessous.

— Pour leur extorquer leurs récoltes plutôt que d'avoir à travailler la terre eux-mêmes, souffla Orélius.

— Je ne vais pas nier ce fait chez certains, mais vous avez déjà eu cette discussion avec mon père. Si nous arrivons à empêcher la guerre, venez voir par vous-même le territoire terrestre administré par ma famille et vous verrez que nous préférons les échanges équitables à la tyrannie.

— En parlant de ça, est-ce quelque chose de banal ou bien ta famille fait-elle office d'exception ? Demanda Elirielle.

— Je dirai qu'il y a un peu de tout, réfléchit-il. Nous devons être de ceux qui traitent le mieux les autres races, mais il y a plus d'une nuance avant de passer à la tyrannie. Si l'on parle d'au moins les respecter en tant qu'être pensants, je dirai qu'il y en a environ la moitié. Sous cette île par exemple, les habitants sont plutôt heureux. La grande famille qui s'en occupe est très influencée par la mienne, mais il y a aussi qu'ils ne sont pas si nombreux que ça en bas.

— Les maltraiter serait donc contre-productif et menacerait la sécurité alimentaire de l'île céleste, résuma la dragonne. Dans leur cas, il s'agit donc plus d'opportunisme que de convictions.

— L'un et l'autre ne sont pas incompatibles. On peut très bien avoir des convictions et être arrangé par le résultat. Si tout le monde y trouve son compte, pourquoi changer ? Non, le problème vient de ceux qui considèrent que les êtres d'en bas sont tel du bétail à leur disposition et qu'ils peuvent les exploiter à l'envie. La magie et nos ailes nous offrent un avantage certain contre eux, si bien qu'ils ont fini par se résigner et ont arrêté de se rebeller.

— Les choldats qu'on a croijé n'avaient pourtant rien d'ecchtraordinaire, commenta Elyazra tout en mâchant un bout de viande séché. Quelques flammèches, du gajch qui pue, j'ai déjà vu mieux.

— Ils n'étaient pas très forts, mais c'est amplement suffisant contre des personnes qui n'ont ni ta constitution, ni tes réflexes et encore moins tes facultés pour les atteindre, contredit la beast. Imagine qu'ils se mettent hors de portée d'armes rudimentaires telles que des arcs. Il leur suffit de déverser ce gaz en continu sur un village, de l'allumer et s'en est fini de tous ceux qui se trouvent en bas. Ils perdent sans avoir pu riposter. Tout pouvoir peut-être dévastateur si tant est qu'on sache comment bien en tirer parti.

En disant cela, Syara venait de lancer un débat sur l'utilité des pouvoirs qui les fit tenir une bonne partie de la soirée. L'élément perturbateur habituel cherchait à les piéger en inventant des pouvoirs tous plus inutiles les uns que les autres en apparence et les autres devaient chercher comment de telles facultés pouvaient être exploitées.

Tout le monde se prêtait au jeu, Elirielle étant celle qui participait le moins, mais qui intervenait lorsque les autres peinaient trop à trouver une solution. Du côté de Syara, c'était aussi un très bon exercice. Après tout, selon les dires de Cristal, les pouvoirs de son violon n'avaient de limites que son imagination. Ce débat lui donna donc des idées pour étoffer son arsenal de sorts et la violoniste se jura de s'y essayer dès qu'elle le pourrait.

Pour une fois, la soirée se passa sans cris, bagarres ou chamailleries, mais fut plutôt placé sous le signe des rires et de la convivialité. Un tel moment était précieux, surtout en sachant qu'ils approchaient de leur premier objectif et que les choses sérieuses allaient sans doute bientôt commencer.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant