Chapitre 73 : une forêt inhospitalière

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 Malgré l'apparente proximité des montagnes qui se dessinaient déjà à l'horizon lorsqu'elles avaient quitté la ville, deux jours entiers avaient été nécessaires pour atteindre la forêt qui s'étendait à leurs pieds. Le chemin s'arrêtait net à l'orée sur des ronciers qui n'invitaient pas vraiment à s'y enfoncer.

Le fait qu'il n'y ait plus eu d'embranchement depuis celui qu'elles avaient dépassé avant de découvrir Phi expliquait pourquoi elles n'avaient croisé absolument personne, mais cet arrêt brusque restait pour le moins étonnant. Pourquoi construire une route pour la terminer devant une forêt ? Syara pensa d'abord qu'elle était faite pour ceux qui souhaitaient s'y rendre pour cueillir ou chasser, mais dans ces cas-là, elle aurait mené à un passage dégagé et non fermé par un entremêlement de ronces.

— Regardez, des mûres ! S'exclama Phi, toute sourire en s'approchant pour cueillir les fruits.

Alors que la jeune fée était à un pas de pouvoir toucher les mûres, une flèche vint se planter à ses pieds. Surprise, elle sursauta et recula précipitamment pour se placer entre les deux sœurs. Sans attendre, elle éleva une barrière et se mit à scruter la forêt pour trouver qui avait tiré sur elle.

— Tout va bien ? S'inquiéta la beast.

— Oui. J'ai juste été surprise.

— Moi aussi et il en faut beaucoup pour me surprendre, commenta Elyazra. Ceux qui viennent de t'attaquer sont assez bons pour que je ne détecte pas leur présence. Même avec la flèche plantée qui pourrait donner une indication d'où elle a été tirée, je ne ressens rien en me focalisant sur cette zone.

— Cette forêt est interdite aux étrangers ! Tonna une voix forte et grave.

Comme la demie-dragonne l'avait fait avec ses yeux, Syara chercha celui qui leur avait tiré dessus avec son ouïe. Le résultat ne fut guère probant. La voix qu'elles venaient d'entendre semblait provenir de toute la lisière et non uniquement d'un point précis.

— Serait-ce une forêt élémentale ? Réfléchit la violoniste.

— Donc une forêt peuplée d'élémentaux ? Questionna Elyazra.

À peine avait-elle terminé sa phrase que trois flèches, venant de trois directions différentes, percutèrent le bouclier de Phi. Cette fois-ci il ne s'agissait plus d'un simple avertissement. Si Phi n'avait pas érigé sa barrière, ces flèches auraient atteint le front, la gorge et le cœur de la demie-dragonne. Au moins, Syara avait la réponse à sa question.

— Les élémentales détestent par-dessus tout qu'on les appelle des élémentaux.

Là encore, trois flèches partirent, cette fois-ci sur Syara. Le résultat fut le même, mais la précision mortelle, toujours sur la tête, la gorge et le cœur, l'était aussi.

— Mais quoi ?! S'emporta la violoniste. Je ne vous ai pas traité d'élémentaire, j'explique à ma sœur son erreur pour qu'elle ne vous insulte plus sans le savoir !

— Partez ! Tempêta la même voix qui leur avait refusé l'entrée.

— Nous avons besoin d'aller dans les montagnes qui se trouvent derrière votre forêt. Si vous ne voulez pas que nous entrions, nous ne le ferons pas, annonça Syara qui voulait s'en sortir de manière diplomatique. Nous sommes cependant pressées. Existe-t-il un passage que nous pourrions emprunter et qui ne vous courroucerait pas ?

— Vous n'êtes pas les bienvenues ! Partez !

— Eh ! Ma sœur t'a posé une question alors répond ! S'emporta Elyazra. Soit tu réponds, soit je crame ta putain de forêt pour nous dégager un passage en ligne droite jusqu'à notre objectif !

Alors que Syara poussait un long soupir d'exaspération et se cachait le visage dans ses mains, les flèches se mirent à pleuvoir sur la barrière de Phi. Pour en lancer autant en continu, ils n'étaient pas que quelques-uns, mais une troupe entière d'archers.

Les chocs contre le bouclier ne l'éraflaient même pas et Phi ne semblait pas peiner à le maintenir. La demie-dragonne, quant à elle, balayait l'orée de la forêt du regard d'une manière frénétique qui pouvait la faire passer pour une démente, puis s'arrêta sur un point où il n'y avait visiblement rien et sourit de toutes ses dents.

— J'en ai un, je reviens, annonça-t-elle.

Sans laisser le temps aux deux autres de réagir, Elyazra disparut dans un nuage de fumée noire et réapparut exactement au même endroit une seconde plus tard. Sa téléportation avait été si rapide que la fumée de son départ ne s'était même pas encore dissipée. Au début, Syara pensa qu'elle avait échoué et qu'une protection dans la forêt repoussait les sorts. Elle remarqua cependant qu'elles n'étaient plus trois dans la bulle protectrice, mais que sa sœur tenait un autre individu par derrière dans une prise qui ne lui laissait aucune chance de s'échapper.

Son otage était bel et bien un élémental. Il avait à peu près la même taille qu'Elyazra, mais pour une telle race, cela signifiait qu'il s'agissait d'un jeune. Ses acolytes mirent un moment à se rendre compte que l'un des leurs était prisonnier, si bien que la pluie de flèches ne cessa qu'après plusieurs secondes.

— C'est bon, vous êtes calmés ?! Maintenant, vous allez gentiment répondre à ma sœur, sinon...

Toujours en tenant fermement son otage d'une main, la demie-dragonne alluma une flamme noire dans son autre paume et l'approcha du visage en bois de l'élémental. Le prisonnier chercha bien à s'y soustraire en écartant la tête du feu surnaturel, mais ne put que grimacer de douleur lorsque Elyazra resserra son emprise sur son poignet pour qu'il se tienne tranquille.

— Alors ?

— Tu sais Syara, des fois, Ely me fait peur, avoua Phi.

— Oui... Moi aussi... Ely, tu ne comptes tout de même pas...

— Je vais me gêner tien !

— Ely, ce ne sont pas nos méthodes, prévint la beast.

— Quoi ? Il faut les épargner eux aussi ? C'est eux qui nous tirent dessus !

— Rappelle-toi de Sae et de ses sœurs. Elles aussi tu pensais qu'elles étaient des ennemies.

Était-elle prête à aller jusque-là ? Pensa la violoniste. Avec Elyazra, elle n'arrivait pas à déterminer si elle était sérieuse ou si elle jouait la comédie pour effrayer les élémentales toujours cachés dans la forêt.

Bien que peu honorable, sa méthode avait cependant l'air de fonctionner. Les ronces qui leur barraient la route ne tardèrent pas à s'écarter comme si elles étaient animées d'une conscience propre et laissèrent passer un nouvel élémental. Celui-ci, avec sa longue barbe de mousse verte et ses plus de deux mètres cinquante de haut était sans conteste un adulte de cette espèce.

— Avez-vous un lien quelconque avec ceux qui habitent dans les montagnes ? Questionna-t-il d'une voix similaire à celle qui leur avait ordonné de partir.

— Ils nous ont convoqués, répondit la beast en espérant que cette réponse calmerait les tensions et qu'ils parlaient bien des mêmes personnes.

— Puis-je avoir vos noms ?

— Elyazra, Phi et Syara, répondit la demie-dragonne.

— Mais ces personnes des montagnes nous appellent Kiel'olos et Kiel'soma pour ma sœur et moi, s'empressa d'ajouter la violoniste en se disant qu'elle avait bien fait de retenir ces noms.

Comme elle le pensait, au vu de l'expression de surprise qu'il arborait, l'élémental parlait effectivement des dragons en évoquant ceux qui habitaient dans les montagnes. Il reprit un visage plus neutre au bout de quelques secondes, se mit de côté et montra de ses deux bras, tout en s'inclinant légèrement, le chemin derrière lui qui était à présent libéré des ronces.

— Nous avons fait une erreur en nous nous en prenant à vous. Vous êtes les bienvenues dans notre forêt. Je comprends que cette erreur mérite réparation, mais si vous pouviez relâcher cette jeune pousse de votre emprise, alors je prendrai sa place pour en subir les conséquences.

— Eh bien voilà ! S'exclama Elyazra en relâchant le jeune élémental. Vous voyez qu'on peut tout régler par la discussion quand on veut !  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant