Le violon de cristal : l'autre monde

Chapitre 144 : Fos et la dimension du violon

Comme elle s'y attendait en se sentant partir, Syara se retrouva en un instant dans le monde du violon. Il n'y avait autour d'elle aucun élément qui pouvait ressortir dans l'immensité bleue qui s'étendait à perte de vue. Cette fois-ci, les esprits du violon n'avaient pas jugé nécessaire de la faire venir dans la partie qu'ils pouvaient modeler.

— Mais c'est quoi encore ce bordel ? râla une voix plus que familière à côté d'elle.

Au vu de ses habits, il s'agissait ici du Fos du monde des anges et non de celui qui l'avait accompagnée et guidée depuis qu'elle avait récupéré l'instrument. Son comportement était cependant des plus étranges. Il était pourtant l'ancien porteur du violon de cristal. Cette dimension devait lui être familière !

— Tu es vraiment Fos ? Demanda-t-elle.

— Oui, c'est bien moi. Si on t'a raconté des choses sur moi et que ça te déçoit de voir comment je suis en vrai, j'en suis navré. Maintenant, peux-tu me dire où nous sommes ?

— Crois-moi, je n'ai vraiment pas une version idéalisée de toi en tête. Te frapper comme je l'ai fait est d'ailleurs un rêve de longue date. Par contre, ça m'étonne que tu ne connaisses pas cet endroit.

— C'est parce qu'il n'y a jamais mis les pieds, répondit la même voix que celle de Fos, mais sans que ses lèvres ne bougent.

Le son provenant de derrière eux, l'ancien détenteur du violon ainsi que son héritière se retournèrent et trouvèrent les deux esprits sains qui habitaient dans cette dimension. Le Fos encore vivant posa un regard d'abord surpris sur les deux nouveaux venus, puis se gratta la barbe tout en se perdant dans le bleu du sol.

— C'est quoi ? Une illusion ? Une épreuve ? Nous sommes censés y voir un reflet de nous-même ? Pourquoi le tien ressemble à une gamine ?

— Moi qui pensais que ma pire version était celle du coffre... souffla l'esprit. Non, Fos, je ne suis pas une illusion. Je suis la partie de ton âme qui s'est séparée de toi quand tu as accompli la cérémonie qui t'a conféré le violon. Cet endroit est celui où résident toutes les parties d'âmes de ceux qui ont pu faire appel à ce violon en utilisant cette méthode.

— J'aurai donc scindé mon âme ? C'est absurde !

Comment Fos pouvait-il être autant perdu ? Il était le violoniste prodige, celui qui avait poussé la magie du violon à son paroxysme et, pourtant, il semblait être aussi perdu que Syara quand elle était arrivée dans ce monde pour la première fois ! Il devait lui être arrivé quelque chose, elle ne voyait pas d'autres explications possibles.

Car après tout, s'il trouvait absurde qu'une partie de son âme réside dans l'instrument qu'il avait fait apparaître, comment se faisait-il qu'il ait réitéré l'opération plusieurs fois pour insuffler des parties de son âme dans les partitions d'Athéa ou dans le coffre de cristal !

— Tu l'as fait, et pas qu'une fois, confirma Cristal. Nous avons toujours pensé que tu faisais ça en toute connaissance de cause, ça n'est pas le cas ?

— Je n'y comprends rien et ça m'énerve. Soyez plus clairs !

— Le coffre, les partitions, tu y as aussi placé des parties de ton âme, expliqua Syara.

— Mais pas du tout ! J'y ai juste placé des protections et des directives, rien de plus.

— Mais ces protections et ces directives étaient si complexes qu'elles requéraient une conscience à l'intérieur. Une conscience que tu as donnée en échange d'une partie de ton âme, annonça l'esprit.

— Bon, après tout ce que j'ai vécu, je ne suis plus à ça prêt... Pourquoi suis-je ici ?

En entendant cela, Syara ne put que le regarder avec de grands yeux écarquillés. Passer l'éponge sur la présence d'une partie de son âme présente dans le violon, passe encore. Après tout, lorsqu'il le maniait, cet instrument était une partie intégrante de lui. Mais comment pouvait-il passer à autre chose alors qu'il venait d'apprendre que son âme était morcelée et était encore il y a peu disséminée aux quatre coins de l'autre monde ?

Ni Fos, ni Cristal ne semblaient s'en étonner. L'un était lui dans une certaine mesure et l'autre avait dut l'observer pendant longtemps. La beast, cependant, n'arrivait pas à concevoir qu'il puisse balayer ce sujet comme si de rien était.

— Tu es ici parce que nous avons demandé à Syara de t'y faire venir, lui répondit son double. Nous avons un message à te transmettre.

— Nous refusons que Syara te cède le violon, annonça Cristal. Elle a prouvé qu'elle savait le manier et qu'elle en était digne. Même si tu le récupérais par la force, il resterait un instrument banal entre tes mains.

— Et donc, cette jeune fille est ?

— J'aurai pensé que cette annonce t'aurait plus énervé que ça, commenta l'esprit humain.

— Bien sûr que ça m'énerve ! Et d'ailleurs, cette discussion est loin d'être terminée, mais pourquoi faut-il que ce soit annoncé par une gamine ?

— Parce que quand tu joues du violon, c'est autant elle que moi qui faisons apparaître la magie. Tu es celui qui a réveillé le violon après des millénaires, mais elle, elle est celle qui l'a créé. En ce qui concerne l'histoire de cet instrument, ton héritière en connaît finalement plus que toi.

— D'accord, le mystère de la gamine est éclairci...

— Cristal, le coupa Syara d'un ton sec alors qu'elle en avait assez qu'il appelle Cristal ainsi. Elle s'appelle Cristal. Ça n'est pas parce qu'elle ressemble à une enfant que tu dois lui manquer de respect.

— Des leçons de respects de la part d'une personne qui distribue des coups de poings en guise de présentation, on aura tout vu !

— Même moi qui suis toi, je trouve que c'était parfaitement mérité. Et puis, tu ne vas pas t'offusquer d'un petit coup de poing amical. À l'époque où toi, Shay et Shavi étiez inséparables, ce genre de chose arrivait tous les jours.

— En parlant de ces deux-là, ils vont m'entendre ! Je pensais qu'ils seraient les premiers à répondre à mon appel. Bref, je verrais ça plus tard avec Elirielle. Donc, vous ne voulez pas que je récupère le violon... À vrai dire, après mille ans passés sans, j'ai appris à m'en passer, mais là, c'est un cas de force majeure. Je ne le demande pas pour moi, mais pour que nous ayons toutes les chances de vaincre le roi.

— Syara y arrivera, j'en suis certaine ! S'exclama Cristal.

— Le roi est redoutable. J'ai pu voir sa puissance à l'œuvre et je sais que je pourrais faire jeu égal avec lui si j'avais le violon. Vous allez me dire qu'elle, en ayant récupéré le violon sans passer par la cérémonie, est devenue aussi puissante que je l'étais ?

— Elle a déjà pu faire appel à la symphonie de l'âme, répondit l'elfe. Avec plus d'entraînement et...

— Et de temps ? Nous n'en avons pas, de temps ! Elle a pu y faire appel, mais la maîtrise-t-elle ? Sans avoir au moins ce niveau-là, nous pouvons d'ors et déjà nous rendre et livrer notre monde au roi.

— Nous avons affronté des anges en venant ici et ils n'étaient pas si forts que ça. J'ai plus l'impression qu'une fois la surprise passée, ce sont eux qui vont se faire massacrer, commenta Syara.

— Et s'ils se font massacrer, le roi interviendra en personne et vous ne pourrez pas l'arrêter. Je répète donc ma question. Maîtrises-tu la symphonie de l'âme ?

Le silence qu'offrit la beast pour toute réponse voulait tout dire. Les rares fois où elle avait fait appel à ce pouvoir, Shay l'avait stoppée et, le seul moment où il avait été mené à son terme était lorsqu'elle avait refermé le portail grâce aux partitions d'Athéa.

Ce pouvoir s'étant déclenché de lui-même au moment opportun, elle ne pouvait décemment pas dire qu'elle le maîtrisait. Elle ne se rappelait d'ailleurs même pas comment elle y était parvenue cette fois-ci et encore moins comment elle l'avait altéré pour qu'il lui permette d'accomplir ce qu'elle voulait.

— Il y a bien un moyen pour qu'elle réussisse à le maîtriser dans le court laps de temps que nous avons. Syara doit s'approprier le violon de cristal. Elle doit accomplir la cérémonie de l'âme, annonça l'esprit de Fos.