Le violon de cristal : l'autre monde

Chapitre 94 : Un sort complexe

 Au milieu de la cour intérieure de la forteresse, Syara faisait glisser le crin de son archet sur les cordes de son violon. Les notes virevoltaient en une mélodie lente et apaisante qui avait fini par faire atteindre un état de transe à la violoniste qui laissait ses doigts agirent d'eux-mêmes et trouver la prochaine position sans qu'elle n'ait à y réfléchir elle-même.

Avec les derniers événements, avoir l'occasion de jouer autre chose qu'une mélodie qui permettait de ralentir une chute ou de sauter plus haut lui faisait le plus grand bien. Elle n'oubliait cependant pas que la musique qu'elle faisait avait un tout autre but qu'être agréable aux oreilles.

Sentant la magie monter et parcourir autant son corps que son instrument, la beast maintint une dernière note qu'elle étouffa progressivement jusqu'à ce qu'elle ne disparaisse totalement dans le silence de la forteresse. Restait à présent à savoir si ses efforts avaient porté leurs fruits.

— Alors ? Questionna-t-elle à l'intention d'Elirielle qui avait assisté à ce récital.

— Shamen firélia mo shenma forasken, annonça-t-elle.

— Merde, grogna la beast.

Encore raté, se désola-t-elle. Si la matinée, la cour était réservée à l'entraînement des demis-dragons, elle était consacrée, l'après-midi, à la violoniste pour qu'elle puisse mettre au point son sort de communication. Un tel sort ne nécessitait normalement pas un tel espace, mais vu qu'elle expérimentait quelque chose qu'elle ne maîtrisait pas, qui plus est avec le violon de cristal, mieux valait le faire dans un lieu spacieux et ouvert.

Cette précaution avait été pour le moins clairvoyante. Il n'avait pas fallu deux jours pour que l'une de ses tentatives ne fasse naître une petite tornade. Un tel sort aurait fait des ravages en intérieur, mais n'avait causé que des dégâts mineurs dans la cour.

Rater un sort, même pire, en lancer un autre sans le faire exprès enrageait Syara qui avait l'impression d'avoir régressée jusqu'au niveau de maîtrise qu'elle avait lorsqu'elle avait sauvé Sendra.

Elle n'avait pourtant pas perdu la maîtrise de son instrument, ses essais sur d'autres sorts étaient concluants, au même niveau que depuis sa rencontre avec Cristal. Le problème venait d'autre part. Les deux dragons encore présents dans la forteresse supposaient que le résultat était aléatoire parce qu'elle s'attaquait à une magie encore trop compliquée pour elle ou bien qu'elle avait une approche erronée de la manière de faire.

Si Shassiam était exaspéré et commençait à se demander s'il était bien sage d'envoyer une personne aussi inexpérimentée à ses yeux accomplir une mission aussi capitale, Elirielle ne perdait pas espoir et continuait ses encouragements. Sa propre magie avait beau être éloignés de celle des musiciens, sa capacité d'analyse était affûtée et ses conseils avisés.

Sous sa supervision, Syara sentait qu'elle faisait des progrès. même si elle ne voyait pas encore le bout du tunnel, elle était reconnaissante envers la dragonne. Elle ne pouvait pas en dire autant de Fos qui, malgré le fait qu'il soit celui qui les avait embarquées là-dedans, était restait silencieux depuis la fin du Kiel'Félas.

D'accord, elle lui avait promis qu'elle ne viendrait pas tous les quatre matins lui demander la réponse à un problème qu'elle n'arrivait pas à résoudre. Mais il y avait tout de même une différence entre donner une solution toute faite et aiguiller un peu pour la mettre sur la voie !

Non, monsieur de grand violoniste héros de son temps qui avait tout réussi et porteur du violon de cristal le plus prodigieux en dehors de celle qui avait créé l'instrument ne daignait même pas lui répondre quand elle essayait de rentrer en contact avec lui. Il devait d'ailleurs avoir donné cette consigne à Cristal vu qu'elle non plus ne lui permettait pas d'entrer dans le monde du violon.

Qu'importe la raison, la prochaine fois qu'elle l'aurait en face, elle lui mettrait son poing dans la figure avant même qu'il ne puisse ouvrir la bouche ! Et un deuxième lorsque l'incompréhension se lirait sur son visage. Ce dernier serait pour l'avoir empêché de voir la jeune elfe alors qu'elle souhaitait juste passer un peu de temps avec elle... Et un troisième, pour la forme, parce qu'il l'avait vraiment énervée.

— Un problème ? Questionna Elirielle.

— Non, rien, répondit Syara en revenant à elle. Reprenons.

— Je pense au contraire qu'il serait plus sage que nous en restions là pour aujourd'hui, contredit la dragonne.

— Mais ça ne fait qu'une heure. Si je n'essaie pas plus, nous ne sommes pas prêts de partir !

— Quelque chose t'agace, ça se voit. Et ça n'est certainement pas dans cet état d'esprit que tu parviendras à faire quoi que ce soit. Même si c'est inconscient et que tu ne t'en rends pas compte, tu ne seras pas totalement focalisée sur ton sort, ce qui va le faire échouer et t'énerver encore plus, donc tu y arriveras encore moins ensuite. C'est un cercle vicieux qu'il faut absolument briser parce qu'il pourrait mettre en péril la progression que tu as eue. Viens plutôt t'asseoir près de moi et dis-moi ce qui ne va pas.

Avec un long soupir, Syara rangea son instrument et rejoignit la dragonne, les épaules basses et démoralisée. Avec un sourire bienveillant, Elirielle tapotait à côté d'elle sur la marche où elle était assise. La beast prit place, presque à contrecœur et dépitée qu'une personne qui la connaissait si peu puisse lire en elle aussi facilement.

— Alors, qu'est-ce qui ne va pas ?

— Je sais que ce sort est possible, Shay m'en a parlé lorsqu'il m'a raconté sa rencontre avec les fées, commença-t-elle. C'est juste que... à part cette histoire qui m'a été contée il y a plusieurs mois, je n'ai aucun indice. Je me disais que Fos pourrait me venir en aide, pas m'expliquer tout en détail, mais au moins me mettre sur une piste, mais non, il reste silencieux et refuse de me recevoir... En bref, Fos m'énerve.

— Bienvenue au club des Kiels ! Rit Elirielle. Tous ceux qui ont croisé sa route de son vivant diront exactement la même chose que toi. Fos m'énerve. C'était un stratège hors pair, mais qui avait le don pour garder ses stratégies pour lui. Lorsqu'il nous disait de faire quelque chose, nous étions presque certains que cela allait mener à notre victoire. Mais d'un autre côté, nous, les dragons emplis de fierté et d'orgueil, avions l'impression de n'être que ses pions.

— Je déteste les gens comme ça. Ils me font penser à ma mère, grinça la beast entre ses dents.

— Il avait ses raisons. Moins de personnes connaissaient ses véritables plans et plus ils avaient de chance de ne pas être compromis, le défendit-elle malgré tout. Tout ceci ne nous empêchait pas de le trouver énervant, mais comme ça fonctionnait...

— Où veux-tu en venir ?

— Tu m'as dit que Fos avait insisté pour que tu viennes assister au Kiel'Félas. Même si c'était un jeu du chat et de la souris et non une guerre ouverte à son époque, les anges étaient déjà ses grands ennemis et je pense qu'il souhaite aussi empêcher le conflit qui approche.

— Et donc ? Où veux-tu en venir ? Insista Syara.

— Lorsqu'il nous confiait une tâche, il faisait en sorte de nous donner juste assez d'information pour être sûr que nous réussissions. S'il n'a pas changé, il doit en être de même pour toi. S'il n'intervient pas, c'est parce qu'il doit penser que tu as assez d'information, avec tes capacités, pour réussir à lancer ce sort.

— On en revient à ce que tu as dit. J'ai l'impression de n'être qu'un pion et je n'aime pas ça... Tu as raison, mieux vaut en rester là pour aujourd'hui.

Toujours abattue, Syara se releva et retourna à l'intérieur de la forteresse. Il fallait qu'elle se change les idées et les chamailleries constantes des deux demis-dragons semblaient être un bon divertissement pour oublier un peu l'entraînement et la rancœur qu'elle ressentait envers l'un des esprits du violon.