Chapitre 58 : Un repas avec les dirigeants

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 Au cours du repas, les discussions étaient diverses, mais la plupart d'entre elles parlaient de politique et de gestion du territoire. Syara ne s'y sentait pas vraiment à son aise, bien loin de toutes ces considérations, mais se rabattait avec plaisir sur les plats qui se présentaient à elle.

Elle s'entendait malgré tout particulièrement bien avec son voisin de table, le beast bovin qui lui avait demandé de jouer un morceau avant de commencer le dîner. Elle apprit qu'il aurait voulu devenir mage musicien dans sa jeunesse, mais qu'il avait échoué lors de l'épreuve du coffre. Bien sûr, n'ayant pas d'instrument, il n'avait plus conscience d'en quoi consistait cette épreuve.

Contrairement à la plupart des personnes présentes à ce dîner, il n'avait pas vraiment cherché à devenir maire de sa ville. Cela s'était fait plutôt naturellement à force de vouloir se rendre utile. De la taille d'Edolaf, il n'y avait pas de système d'élection comme pour certaines villes plus grandes. Il s'agissait d'une décision du précédent maire de le nommer à sa place lorsqu'il avait décidé de se retirer pour prendre sa retraite. Le choix de son successeur ayant été approuvé par les habitants, il n'avait pas osé refuser le poste et toutes les responsabilités qui allaient avec.

Si elle avait pu faire de lui un allié, certains des autres dirigeants à la table n'approuvaient toujours pas sa présence. Cela se ressentait particulièrement auprès de certains membres du conseil de Léfarène, dont l'un en particulier ne se gênait pas pour lui lancer régulièrement des petites piques.

Fort heureusement, ses nombreuses disputes avec Elyazra l'avaient insensibilisée à ces attaques bien molles comparées aux horreurs que pouvait sortir la demi-dragonne, mais Syara se demandait tout de même ce qu'elle avait bien pu faire pour s'attirer une telle animosité. Était-ce seulement à cause de ses dernières missions échouées qu'il agissait ainsi ou avait-il une autre raison de s'acharner sur elle de cette manière ?

— Et si nous faisions un petit jeu avant de passer au dessert ? Proposa Wallace.

Enfin, la phrase que Syara attendait venait d'être prononcée. Sa mission allait pouvoir avancer et l'avenir des harpies allait être décidé dans les prochaines minutes. Même si le stress commençait à monter, la beast préférait être là plutôt que derrière, simple spectatrice. Pour ses amis, l'attente devait être d'autant plus insoutenable.

— Que proposez-vous ?

— Quelque chose de simple. L'un de nous donne deux assertions et les autres débattent de celle qui leur paraît être la plus impossible.

— Ça n'a pas l'air très... divertissant, grimaça une humaine en bout de table.

— Croyez-moi, ça n'en a pas l'air, mais je vous promets que ça en vaut vraiment le coup.

— D'accord, dans ce cas, permettez-moi de commencer, s'avança celui qui n'arrêtait pas de s'en prendre à Syara. Quel est le plus impossible selon vous ? Qu'un mage compétent enchaîne les malchances dans des missions pourtant extrêmement simples ou qu'un mage totalement incompétent ait une chance insolente et réussisse une mission où les meilleurs ne pouvaient que repousser l'inévitable ?

Comme elle s'y attendait, sa question la visait personnellement. Elle n'était pas la seule à l'avoir deviné. Toute la table s'était tournée vers elle pour avoir sa réponse.

— Je dirai que les deux sont possibles et ne sont d'ailleurs pas incompatibles, répondit-elle avec calme. Une personne inexpérimentée peut très bien avoir beaucoup de chance, se trouver au bon endroit, au bon moment et avec les bonnes cartes en main pour régler une situation, puis ensuite gagner en expérience et être frappée de malchance. J'ajouterai aussi, si cette question visait quelqu'un en particulier, que vous ne devriez pas la juger sans prendre en compte le fait que vous êtes peut-être très loin de savoir ce qu'elle a pu accomplir. D'ailleurs, ne le prenez pas mal, mais comme je l'ai dit, vos deux propositions sont facilement imaginables. Peut-être avez-vous mal compris les règles de ce jeu ?

— Eh bien allez-y, proposez nous deux situations impossibles ! Grinça le conseiller de Léfarène, visiblement énervé par la réponse qu'elle lui avait donnée.

— Hum, je ne sais pas moi, feignit-elle d'hésiter. Ah, si ! J'en ai une parfaite ! Qu'est-ce qui est le plus impossible selon vous ? Apprendre que les fées existent réellement ou apprendre que les harpies du monde entier veulent faire la paix et rejoindre les autres races ?

— Voilà deux propositions aussi étonnantes qu'intéressantes, sourit le beast à côté d'elle.

Vu que les choix n'étaient pas clairement ciblés comme l'avait fait le membre du conseil, toute la table se mit à débattre sur ce qui leur paraissait le plus vraisemblable. Chacun avait choisi son camp et le défendait avec ardeur, soit en apportant des arguments, soit en tentant de décrédibiliser et de démontrer l'impossibilité de l'autre proposition.

Avec autant de personnes habituées à la politique, la beast voyait que beaucoup utilisaient des ficelles propres à leur profession qui pouvait apparaître lors de discours ou de débats. Elle était d'autant plus impressionnée qu'elle se surprenait parfois à être convaincue par des arguments arguant que les fées n'existaient pas ou que les harpies ne pouvaient être raisonnées alors qu'elle connaissait la vérité sur ces deux sujets.

Au bout d'une dizaine de minutes de débat enflammé, la grande majorité s'était rangée dans le camp qui considérait que l'existence des fées était plus impossible que la paix avec les harpies.

— Eh bien, j'ai l'impression d'être reparti en campagne, souffla l'un des convives.

— C'est vrai que ce n'est peut-être pas le bon jeu à faire avec les personnes réunies ici, s'avança une autre. Si nous continuons, chacun de nous va finir par en vouloir aux autres de ne pas avoir été soutenu sur une proposition.

— Allons, nous savons faire la part des choses. Moi je trouve ce jeu très intéressant. À qui le tour ?

— Et pourquoi ne pas voir qui avait raison ? Proposa plutôt Syara avec un sourire en coin.

En un instant, la violoniste vit l'incompréhension et la surprise se lire sur le visage de tous les dirigeants. Avoir dupé des personnes aussi habituées aux mensonges avait quelque chose de particulièrement satisfaisant. La suite risquait d'ailleurs d'être encore plus amusante pour elle.

— Faites la entrer, annonça-t-elle.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant