Chapitre 75 : Un arbre perspicace

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 Malgré un passage facilité par la présence des élémentales, Syara voyait la lumière décliner au travers de la voûte végétale formée par la cime des arbres. Le grand vénérable avait raison en affirmant qu'il leur faudrait plus d'un jour de marche pour traverser cette forêt qui était définitivement plus profonde que ce qu'elle aurait pu penser.

— Au fait, ça fait des heures qu'on marche pour rejoindre votre village, commenta Elyazra. Comment se fait-il que vous vous trouviez à la frontière dès notre arrivée ? Au début, je me disais que des sentinelles étaient toujours présentes, mais j'ai l'impression que tous ceux qui étaient là pour nous empêcher d'entrer nous suivent et retournent eux aussi au village.

— Nous avons de nombreux moyens de nous déplacer dans toute la forêt. Rejoindre la lisière depuis le village ne nous a pris que quelques instants. Il est cependant impossible pour des individus de chair et de sang d'emprunter ces passages.

— Dans ce cas, pourquoi nous accompagnent-ils tous ? Ils auraient pu retourner au village de cette façon, commenta Syara.

— Vous, les êtres de chair, semblez constamment vous battre contre le temps pour en gagner le plus possible. Nous autres ne voyons pas les choses de la même manière. Il y avait certes une urgence qui nous a poussés à emprunter ces passages pour repousser d'éventuels intrus, mais vu que tout ceci est réglé, nous n'avons aucune raison de nous hâter. Nous trouvons qu'il s'agit plus d'une belle occasion de discuter avec les amis que nous croisons sur le chemin du retour.

— On aimerait bien prendre un peu plus notre temps, mais à chaque fois qu'on pense le pouvoir, il nous arrive quelque chose, comme une convocation de la part de lézards géants qui volent, répondit Elyazra d'un air las.

— Cela me fait penser, si ça n'est pas trop indiscret, pourquoi ne faites-vous pas comme vos congénères ? Il serait plus simple de vous y rendre par la voie des airs. D'ailleurs, nous ne sommes jamais allés dans les montagnes, mais nous voyons bien qu'il ne sera pas aisé de les traverser à pied.

— Nous ne le faisons pas parce que nous n'avons pas de forme draconique, répondit Syara. Ma sœur a beau être la représentante des dragons noirs, elle ne l'est que parce qu'il s'agissait du titre de son père qui lui a été apparemment légué à sa mort. Cependant, si son père est un dragon, sa mère ne l'était pas. Pour ma part, je n'ai pas de sang de dragon, mais de ce que j'ai compris, j'ai reçu un titre honorifique de leur part qui signifie qu'ils me considèrent comme l'une des leurs.

— Je comprends mieux. Nous arrivons bientôt au village. Demain, je vous emmènerai jusqu'au pied des montagnes, là où l'ascension semble être la plus facile.

Comme Ati l'avait annoncé, le village dont il était question ne tarda pas à apparaître lorsque la végétation s'écarta pour les laisser passer. Cet endroit n'avait cependant de village que le nom. À part un espace plus dégagé, telle une clairière dont le centre était occupé par un arbre aux proportions démesurées ainsi qu'un regroupement important d'élémentales, il n'y avait absolument rien.

En découvrant cet espace, Syara se demanda pourquoi elle s'était attendue à trouver des structures telles que des cabanes ou des chemins. Il y en avait certes dans les clans d'élémentales ouverts au reste du monde, mais celui-ci restait reclus dans sa forêt et ne voulait avoir aucun contact avec l'extérieur. Il n'y avait donc aucune raison que des être dont les besoins différaient autant des autres se comportent de la même manière.

Lorsqu'elles pénétrèrent dans la clairière, tous les regards se posèrent d'abord sur les étrangères, puis tous se tournèrent en direction de l'arbre central lorsqu'un bruissement dans les feuilles se fit entendre.

Tout en fronçant l'écorce qui lui servait de sourcils, le grand vénérable s'approcha de l'arbre et toucha son tronc de ses deux mains. Par mesure de prudence, les trois invitées restèrent immobiles à l'entrée de la clairière et attendirent le retour d'Ati.

— Le doyen des doyens vous souhaite la bienvenue, annonça-t-il après avoir communié avec l'arbre. Il s'engage à veiller sur vous et à vous offrir tout le confort nécessaire grâce à ses branches. Il trouve cependant étrange que l'une de vous cache sa véritable identité et ne comprend pas pourquoi.

— Moi ? Cru deviner Phi.

D'un hochement de tête, le grand vénérable acquiesça. L'arbre avait donc deviné qu'elle ne se montrait pas sous sa forme originelle. La jeune fée consulta donc ses amies du regard et reçut, en réponse, un simple haussement d'épaule.

— Ils sont totalement coupés du monde extérieur, je pense que tu ne risques rien à leur montrer, compléta tout de même Syara. À toi de décider.

Prenant cette réponse comme un accord de la part de la beast, Phi dissipa d'abord le sort qui cachait ses ailes, puis reprit sa taille originelle. La jeune fée s'approcha alors du grand vénérable et le salua avant d'aller se poser sur l'épaule de la violoniste.

— Elle ne voulait pas vous tromper, expliqua Syara. Pour presque tout le monde les fées ne sont que des légendes. Elle prend cette apparence pour passer inaperçu, pour sa sécurité.

— Et c'est aussi plus pratique pour nous, compléta Elyazra. Sous la forme que vous voyez, elle ne peut pas communiquer avec nous sans l'aide de la magie.

— le doyen des doyens est heureux de vous voir sans ce voile de magie qui vous entoure, enfant bénie de la nature. Soyez aussi rassurée que votre secret ne dépassera pas les frontières de notre forêt.

— Bénie de la nature ? Releva la demie-dragonne.

Face à cette remarque, le grand vénérable se tourna vers l'arbre gigantesque, imita la brise et attendit un instant, puis revint sur les invitées. Syara avait bien fait attention à ce qui venait de se passer et, une nouvelle fois, le seul son qui lui était parvenu était le bruit du vent dans les feuillages.

— C'est ainsi que les arbres appellent son peuple. Avant la grande catastrophe, son peuple était parmi les seuls à pouvoir user de magie, sans instrument qui plus est. Ainsi, ils ont été nommés les enfants bénis de la nature.

Une nouvelle fois, la réponse du grand vénérable fit émerger de nombreuses questions dans l'esprit de la beast. Comment se faisait-il qu'un arbre à des milliers de kilomètres de la forêt de l'oublie où vivaient les fées avait connaissance de ce peuple ? Les arbres pouvaient-ils parler entre eux sur d'aussi longues distances ? Existait-il d'autres villes féeriques autre part ?

Ati semblait plutôt ouvert et prompt à répondre à leurs questions, donc elle n'allait certainement pas se gêner pour les poser. Fort heureusement, elle savait que, lorsqu'un élémental considérait une personne comme étant une alliée, sa patience envers elle était forte. Vu tout ce qui fusait dans sa tête, elle allait mettre cette réputation à l'épreuve.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant