Chapitre 22 : Témoin de la barbarie elfique

174 57 1
                                    

 — Vous ne la connaissez pas ? s'étonna la jeune elfe.

— Ça t'étonne tant que ça ?

— On m'a pourtant dit que des elfes, bien qu'interdits dans cette ville, étaient partisans de votre cause. Comment se fait-il qu'ils ne vous l'aient pas enseigné ?

— Aucun de nos alliés elfes n'a connaissance de ce rituel. Et pour cause, leur mémoire a été effacée pour qu'ils n'en gardent aucun souvenir. Ce rituel n'est donc connu que des prêtres du culte du musicien et de la famille royale. Pour les autres, ils entrent dans le temple sans savoir ce qui les attend derrière et en ressortent avec leur instrument sans se rappeler ce qui s'est passé.

En cela, sa propre cérémonie avait été bien différente. Elle trouvait que la sienne s'était particulièrement bien passée, avant le coup de poignard bien sûr, et qu'elle avait réussi à faire apparaître son instrument bien plus facilement qu'elle ne l'aurait pensé. Ce devait être dû au fait que, contrairement aux autres elfes qui passaient par une telle épreuve, elle avait été mise au courant du déroulé de la cérémonie et de la manière de faire des mois avant qu'elle n'ait lieu.

— Vous avez des espions parmi les serviteurs du palais. Pourquoi ne pas avoir attendu qu'un membre de la famille royale passe l'épreuve pour lui demander ?

— Cristal... souffla Mélyne. Comme nous te l'avons dit, tes frères et sœurs ne sont pas comme toi. Et ils n'ont pas attendu d'avoir leur instrument pour se débarrasser régulièrement de leurs serviteurs. On t'a sans doute averti que tu ne devais pas répéter le procédé de la cérémonie à qui que ce soit, n'est-ce pas ? Me l'aurais-tu dit si je te l'avais demandé ?

C'est vrai, c'était son père qui lui avait expliqué pas à pas la marche à suivre pour faire apparaître un instrument de l'âme. Avec ce que venait de dire son ancienne servante, la jeune elfe se rappela parfaitement qu'il avait insisté pour qu'elle n'en parle à personne d'autre que lui et seulement quand il lui donnerait son autorisation.

Lorsque c'était arrivé, Cristal avait eu l'impression de s'être fait fortement réprimander pour une faute qu'elle n'avait pas encore commise. Sans doute avait-il joué sur ce côté intimidant pour être certain que son avertissement la marque. Il s'agissait d'ailleurs de la première fois qu'elle avait eu peur de son père. Son ton avait été si dur qu'elle était partie se réfugier et pleurer auprès de sa mère sans comprendre ce qu'elle avait bien pu faire de mal pour qu'il s'énerve ainsi contre elle.

— Tous les enfants royaux sont sous surveillance constante, compléta un membre du conseil. Les petits pour leur sécurité et les grands pour s'assurer qu'ils ne fomentent pas de coup d'état. Cette surveillance est fortement accrue dès lors que l'un des enfants apprend le déroulé de la cérémonie.

— Si tu m'avais révélé quoi que ce soit, quelqu'un serait sans doute venu en prétextant qu'on avait besoin de moi ailleurs et tu ne m'aurais jamais revue.

— Quant au culte, nous n'avons jamais réussi à l'infiltrer. Et pour ce qui est des prêtres, nous avons bien essayé de les torturer ou de les duper grâce à la magie des dragons, mais ils n'ont jamais craché le morceau.

— Moi ça ne me dérange pas de vous dire comment se déroule la cérémonie et ce qu'il faut faire, mais vous ne pensez pas que cela va poser des problèmes ? Il y aura sans doute une forte vague de répression si les elfes se rendent compte que ce secret a fuité.

— Nous sommes déjà traités comme des animaux, que veux-tu qu'ils fassent de pire ?

— Je ne sais pas... Tuer arbitrairement pour faire des exemples et ensuite dire qu'ils raseront un village si ceux qui possèdent un instrument ne se livrent pas ?

— Ils font déjà ça, répondit un nain dans l'assemblée. Mon village a subi une telle purge. Ils ont tué une famille entière qui n'avait rien demandé et on ordonné de leur livrer les résistants. Sous peine de voir le village brûler. Nous vivions en paix, à l'écart des elfes, il n'y avait aucun résistant parmi nous. Nous savions que nous ne pouvions pas résister, alors une poignée a décidé de se porter volontaire et de se sacrifier pour le village. Les elfes sont revenus, les ont conduits sur la place et les ont décapités... Avant de s'en prendre à la foule et de tuer tout le monde. Homme comme femme, enfant comme vieillard. Ils n'ont fait aucune distinction. Moi, ils m'ont salement amoché et laissé là pour mort, au milieu des cadavres de ma famille et de mes amis. Je les entendait rire lorsqu'ils se rassemblaient. Ils disaient qu'ils s'étaient bien amusés. Nous ne cachions aucun résistant et ils le savaient.

Ce témoignage avait été poignant et avait fait peser un lourd silence sur l'assemblée une fois achevé. Cristal avait senti qu'il parlait avec ses tripes, qu'il revivait ce cauchemar à mesure qu'il déroulait son histoire. Quelqu'un pouvait inventer un tel scénario, mais certainement pas le ressortir avec autant d'émotion. Elle qui faisait partie du peuple des elfes les avait toujours trouvés raffinés et sophistiqués. Bien loin des barbares sanguinaires qu'il venait de décrire.

— Je... Je ne sais pas quoi dire. J'ai le sentiment que vous présenter des excuses reviendrait à vous insulter. J'ignorais totalement que mon peuple pouvait agir de cette manière, aussi cruellement et gratuitement.

— Bah, t'en fais pas. Contrairement à Isphiale, je mets pas tous les gens dans le même panier selon le peuple dont ils sont issus. J'ai croisé des elfes très gentils et des ordures chez les autres peuples. T'as beau être de la famille royale, t'es pas une sanguinaire comme eux. Je sais faire la part des choses et je suis persuadé que tu nous seras très utile. Dans cette ville, je tiens un magasin qui vend un peu de tout. T'auras qu'à passer me voir si Mélyne doit s'absenter, que t'as l'estomac dans les talons et que tes placards sont vides.

— Je suis heureux de voir que certains sont conscients que tu n'es pas notre ennemie. Cependant, peut-on revenir au sujet principal de la discussion. Tu veux bien nous l'apprendre, oui ou non ?

— Je pensais que la magie augmenterait les persécutions, mais je vois qu'il est déjà difficile de mettre la barre plus haut. Autant que vous soyez le mieux armé pour leur faire face. Et la meilleure arme, c'est un instrument.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant