Chapitre 123 : Le chant de la harpe

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 Comme l'avait prédit le baron, ses invités tombèrent dans une embuscade dès la sortie du bureau. À partir de cet instant, le jeune ange ne voulait plus lâcher ses sauveurs et se mit à les suivre partout où ils allaient. Son frère avait beau le réprimander et lui demander de ne pas les embêter, il n'y avait rien à faire.

Même si, à cause de lui, ils ne pouvaient pas parler de la suite de la marche à suivre, ça n'était de toute façon pas le bon endroit pour évoquer un tel sujet. S'ils avaient besoin de nouvelles informations, ils trouveraient un autre moment où ils seraient seuls avec le baron ou Élane.

La présence de cet enfant était un nouveau sujet de querelle, ou plutôt d'amusement pour les deux sœurs. L'une affirmait que sa sœur était celle qui avait insisté pour le sauver alors que l'autre mettait l'accent sur le fait qu'il s'agissait de son aînée qui avait agi et vaincu le Noiroi. Le but, ici, était de voir qui le petit ange allait coller le plus.

Ce ne fut finalement ni l'une, ni l'autre, mais plutôt Phi avec qui il commença à passer le plus de temps. La fée avait rapidement sympathisé avec lui et, vu qu'il apprenait à voler, avait proposé de faire un petit tour dans le ciel avec elle. Vu qu'ils allaient rester au manoir pendant au moins une journée, cela ne dérangea personne, à condition qu'ils restent dans les limites de la ville.

Seule Elirielle n'était pas pour qu'elle sorte et se dévoile ainsi, mais ses compagnons lui firent remarquer qu'ils n'étaient de toute façon pas passés inaperçu en traversant la ville et que tous les habitants devaient être au courant de leur présence. Le baron pourrait leur dire si une telle sortie était faisable, trancha-t-elle. Après l'avoir quitté dans son bureau, ils étaient de toute façon sur le point de le rejoindre à nouveau pour déjeuner avec lui.

Élane les guida donc d'abord jusqu'aux chambres des invités où ils purent déposer leurs affaires, puis les fit descendre jusqu'à la salle à manger où le couvert avait été mis sans oublier qui que ce soit. Le baron, déjà présent dans la pièce, s'était mis en bout de table et ses deux enfants se placèrent de chaque côté.

Pour les visiteurs, Phi alla s'installer à côté du plus jeune avec qui elle continua à sympathiser tandis qu'Elyazra s'était empressée de prendre place en laissant une chaise libre entre elle et Élane. Syara, attirée par un élément décoratif de la pièce, ne remarqua que trop tard le piège tendu alors que tout le monde avait choisi sa place. Ils avaient fait exprès de lui garder celle à côté de l'ange.

Pour la demie-dragonne, qu'elle ait des idées absurdes comme le fait de la pousser dans les bras d'un inconnu était plutôt habituel, mais Orélius et Elirielle s'y mettaient eux aussi ?! Faire une scène pour quelque chose d'aussi futile était inconcevable, elle ne laissa donc rien transparaître et prit place entre sa sœur et l'ange.

— Avez-vous un problème ? Questionna le baron.

— Aucun, pourquoi cela ? Demanda la violoniste.

— Vous avez marqué un temps d'arrêt en entrant ici et vous sembliez perdue dans vos pensées.

— ah, ça ! J'étais juste surprise de trouver une harpe ici.

— C'était l'instrument de ma femme. Elle pouvait passer des heures à en jouer chaque jour et moi tout autant à l'écouter. Son instrument est malheureusement resté muet depuis qu'elle nous a quittés.

— Dis petite sœur, tu sais en jouer toi ?

— J'ai appris à jouer de beaucoup d'instruments, dont celui-ci, mais je n'en ai jamais eu une moi-même. Je n'avais ni la place, ni les moyens d'en avoir une. Ça va faire un moment que je n'en ai pas touché et je ne pense pas rendre honneur à votre femme si je vous fais une démonstration.

— Vous êtes une musicienne ? Questionna l'enfant.

— Elle est l'une, si ce n'est la plus prometteuse musicienne de sa génération, confirma Elirielle.

— C'est vrai que ta dernière représentation a fait s'arrêter tout le monde de travailler rien que pour t'écouter, ajouta Orélius.

— Ce serait un véritable plaisir d'entendre de nouveau le chant de cet instrument, commenta le baron.

— Je peux essayer si vous insistez, mais je ne vous promets rien. La harpe n'est pas mon instrument de prédilection et cela fait un moment que je n'en ai pas touchée une.

Vu que l'entrée n'allait pas arriver tout de suite, Syara finit par se laisser convaincre et alla s'installer devant l'instrument. La violoniste prit un instant pour reprendre ses marques et jauger l'instrument en pinçant quelques cordes.

La première chose qu'elle remarqua était qu'il s'agissait exactement du même instrument que dans son monde. Il était aussi accordé de la même manière. Tout ceci était des plus étonnant vu le peu d'échanges que les mondes avaient eu entre eux. Mais, après tout, il existait bien des violons à l'époque lointaine des elfes. Fos aurait peut-être une explication à cela, finit-elle par se dire pour clore le sujet et se concentrer sur la musique.

Si les premières notes furent hésitantes, la beast fut de plus en plus à l'aise alors que son corps se remémorait toutes ces heures passées à l'école à pincer ces cordes. Après cet échauffement qui lui permit de se familiariser de nouveau avec un tel instrument, elle prit assez d'assurance pour le lancer dans un morceau improvisé comme elle avait l'habitude de le faire avec son violon.

La ballade qu'elle leur joua était simple et joyeuse. Pour la musicienne, les images qui lui venaient en tête étaient celles d'une simple journée banale. Celles, comme tant d'autres, qui étaient rapidement oubliées, mais qui revenaient en mémoire avec le temps en se disant que c'était un bon moment, entourée d'amis qui étaient comme sa famille, à ne rien faire de spécial, mais ne rien faire ensemble.

Lorsque sa ballade prit fin, Syara ouvrit les yeux et vit qu'elle avait de nouveau attiré l'attention bien plus qu'elle ne l'aurait pensé. Les serviteurs du manoir qui amenaient les plats étaient restés là, les assiettes dans les mains, incapables de faire les derniers pas pour servir la table.

Autour de cette dernière tout le monde arborait un large sourire, sauf le baron qui ne cherchait pas à cacher ses larmes. S'il avait passé des heures à écouter cet instrument chaque jour comme il l'avait dit, elle avait dû le toucher en plein cœur, même si, pour elle, il ne s'agissait que d'une prestation passable.

— Tout va bien ? Questionna-t-elle.

— Oui, répondit le chef de famille en s'essuyant les yeux. Oui, tout va bien. Merci beaucoup. Tant que vous serez là, jouez autant qu'il vous plaira.

— Eh bien moi, ces petites notes m'ont donné faim. À table ! S'exclama Elyazra.

En disant cela, la demie-dragonne sortit les serveurs de leur rêverie. Syara retourna s'asseoir à sa place tandis qu'une belle assiette était placée devant elle et remarqua le sourire et le hochement de tête que lui adressait le baron. Elle l'avait bien plus touché qu'elle ne l'aurait cru, se dit-elle.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant