Le violon de cristal : l'autre monde

Chapitre 157 : Purifier ou corrompre

 Si jusque-là l'étrange immortalité dont Syara été dotée avait été rassurant, ce qui venait de lui arriver l'était déjà beaucoup moins. À présent, il n'était plus question de garder sa détermination pour rester en vie, mais bien de faire attention de ne pas se faire toucher pour ne pas être corrompue.

Chacune des opposantes avait pour elle un avantage et un inconvénient. Pour Syara, elle pouvait user de ses pouvoirs encore plus facilement qu'avec le violon de cristal en main, mais chaque coup direct qu'elle prenait la corrompait. Du côté de l'ombre, ranger le violon corrompu lui évitait tout risque de purification, mais cela l'empêchait aussi d'avoir recours à la magie.

Ayant vu que cette méthode était efficace jusqu'à un certain point, la beast commença déjà par s'enfermer de nouveau dans un bouclier. L'esprit corrompu était incapable de percer une telle protection sans l'aide au moins de l'archet du violon. Elle ne savait pas si toucher l'archet était suffisant pour purifier l'instrument, mais cette protection lui offrait tout de même une sécurité relative et allait pousser son adversaire à devoir prendre des risque s'il voulait s'en prendre à elle.

Sans se presser, l'ombre s'approcha de Syara et s'arrêta à un pas du bouclier. La violoniste lui jetait un regard noir et attendait de déceler le moindre mouvement qui pouvait être annonciateur de l'invocation du violon ou de l'archet.

— Je vois, dit l'ombre de manière pensive. C'est donc comme ça que tu pouvais déterminer où j'allais frapper, je comprends mieux. En touchant mon violon, tu es devenue capable de sentir mes sorts.

— Et donc, tu abandonnes ?

— Non. Par contre, maintenant que j'ai pu insuffler une partie de moi en toi, je peux aussi voir bien plus clairement tes sorts.

À l'aide d'un simple coup de poing sans réellement prendre de l'élan, l'ombre réussit à fissurer la protection. Le bouclier tenait bon et restait imperméable, cette fissure s'étant d'ailleurs résorbée l'instant d'après, mais Syara comprit tout de même deux choses. Premièrement, lui aussi pouvait voir ses sorts et déterminer leurs faiblesses. Deuxièmement, elle n'était pas autant à l'abri que ça dans sa protection.

Changeant de stratégie, Syara usa de ses pouvoirs pour s'élever dans les airs, toujours enveloppée de son bouclier sphérique. De là-haut, elle était normalement hors d'atteinte, son plan étant de bombarder son adversaire de sort pour le forcer à sortir son violon.

— Tu es... Si naïve ! Tu te crois en sécurité ? Tu n'as même pas conscience du potentiel de ton propre corps !

Après avoir dit cela l'ombre se recroquevilla sur elle-même. De là où elle était, Syara pouvait voir d'étranges mouvements anormaux dans son dos. Ses épaules partaient en arrière dans des spasmes incontrôlés et ses omoplates se faisaient de plus en plus visibles sous son manteau.

Soudain, deux ailes au plumage noir tel celui des cordeaux sortirent et se déployèrent. Depuis qu'elle savait qu'elle était à moitié ange et que sa mère voulait s'approprier son corps pour récupérer ses ailes, la beast s'était demandé si elle pouvait en avoir réellement. D'après l'ombre ce devait effectivement être possible.

— Une petite illusion et elles paraîtront aussi blanches que celles des anges que tu combats, commenta l'esprit corrompu en se relevant. J'ai une idée. Une fois sortie, je me ferai passer pour toi jusqu'à la confrontation finale contre le roi. À cet instant, je les tuerai tous et je le rejoindrai pour prendre part à l'invasion. Rien qu'à imaginer leur tête quand je vais leur planter un couteau dans le dos, j'en ai des frissons d'excitation !

— Tu ne toucheras pas à mes amis, espèce de taré ! S'emporta Syara.

Sous le coup de la colère, la beast ne chercha même pas à modeler un quelconque sort et envoya sur son adversaire un rayon d'énergie pur qui le recouvrit entièrement. Après plusieurs secondes sous l'attaque dévastatrice, il ne restait de son adversaire qu'une main étendue au sol.

— Pourquoi je m'emmerde à modeler mes sorts moi ? Se demanda la violoniste en voyant les ravages que pouvait causer l'énergie à son état le plus pur.

S'attendant à voir tout le corps de son ennemi repousser à partir du seul membre qui restait à terre, Syara ne s'attendit pas à ressentir une vive douleur dans son dos. Elle comprit immédiatement que l'ombre du violon n'avait jamais été désintégrée, mais qu'il avait profité de la lumière aveuglante du rayon pour se sectionner lui-même la main et passer derrière elle pour l'attaquer.

À l'aide de l'archet, l'esprit corrompu avait brisé sa protection et lui avait lacéré le dos par la même occasion. La douleur était toujours insoutenable, mais l'occasion était bien trop belle pour ne pas la saisir. Son adversaire avait fait l'erreur de ne pas la frapper directement avec son poing pour la corrompre et avait sorti une partie du violon. Il fallait qu'elle s'empare de l'archet pour voir si lui aussi était conducteur de la purification.

Tout en se retournant, Syara emprisonna le bras de l'ombre dans la glace et saisit l'archet à pleine main tout en faisant attention de ne pas se couper les doigts en prenant la mèche. Là où elle avait sa main, la beast voyait la baguette changer de couleur et la pupille de son adversaire s'éclaircir pour prendre une teinte verte.

Contrairement à ce à quoi elle s'attendait, l'ombre ne révoqua pas l'archet. Il semblait d'ailleurs surpris, comme s'il en était devenu incapable. La purification était-elle à l'œuvre ?

— Lâche ça ! S'emporta l'esprit tout en la frappant de sa main qui avait fini par revenir.

À chacun de ses coups, Syara sentait la corruption monter en elle, mais elle sentait aussi qu'elle disparaissait entre eux. À l'inverse, à chaque coup porté, elle voyait la corruption reprendre du terrain chez son adversaire. Elle comprit ainsi que purifier son ennemi la purifier elle, mais que l'inverse était aussi vrai.

Leur combat était entré dans sa phase finale. Celui qui gagnerait cette ultime tire à la corde gagnerait le corps qui se trouvait à l'extérieur et tous les pouvoirs du violon de cristal. Restait à savoir qui allait l'emporter, chacun des opposant étant autant purifié que corrompu à tel point que seul leur postures et les ailes noires permettaient de les distinguer l'un de l'autre.