Le violon de cristal : l'autre monde

Chapitre 170 : Un affrontement imprévu

 Totalement choqués par ce qui venait de se passer alors qu'ils avaient fait preuve d'une impuissance aussi totale qu'imprévue, l'équipe de sauvetage était totalement figée. Sur la place, le silence était d'or parmi la foule. Personne ne se réjouissait ou ne s'insurgeait de cette exécution. Le roi avait parfaitement réussi son coup en manipulant l'opinion pour faire passer le baron pour un héros déchu dont la mort était la seule voie possible.

Pourquoi les pouvoirs d'Elyazra et d'Orélius n'avaient pas fonctionné ? Pourquoi le bouclier de Phi, qui faisait pourtant des merveilles habituellement, s'était révélé aussi inutile ? Plus Syara y pensait et plus elle avait l'impression d'assembler les pièces de ce puzzle.

La réticence de Fos à l'idée d'une mission de sauvetage, sa capacité à user de magie pour la téléportation alors qu'il était privé depuis bien longtemps de son violon... Se pouvait-il qu'il ait réellement gardé des pouvoirs et que l'un d'entre eux consistait à annuler ceux des autres ? Tout ceci n'était qu'une théorie qui ne se basait finalement que sur peu de choses, mais la violoniste avait l'impression d'être dans le vrai.

Tournant son regard noir en direction du déchu, Fos sembla étonné qu'elle lui soit aussi hostile. La beast n'eut cependant pas le temps d'ouvrir la bouche que de la fumée noire et blanche apparut dans son champ de vision périphérique.

Orélius et Elyazra venaient tout juste de se téléporter auprès du roi. Une surprise totale se lisait sur leur visage, ils n'avaient visiblement pas voulu ça ou, du moins, pas à ce moment, alors que le mal était fait.

Ainsi entouré, le roi eut lui aussi un moment d'absence en dévisageant Elyazra. Il devait sans aucun doute voir dans ses traits ceux de sa fille. Il reprit cependant ses esprits bien avant les deux demi-dragons, projeta Orélius d'un puissant coup de pied qui le fit tomber de la haute estrade et mania son épée avec la ferme intention de décapiter celle qui était restée.

Si elle avait dû prendre le temps de dégainer, la tête du baron n'aurait pas été la seule à rouler. Heureusement, la demie-dragonne avait repris ses esprits juste à temps pour invoquer son arme et parer le coup. Ce dernier fut cependant si puissant qu'il la projeta elle aussi. Contrairement à son cousin, elle ne chuta pas de l'estrade, mais heurta le corps du baron qui tomba sur le côté.

La panique s'était emparée de la foule qui courrait et s'envolait dans tous les sens. Ce chaos avait au moins le mérite d'empêcher les rares gardes postés un peu partout d'intervenir.

— Phi, protège Ely pendant que je prépare de quoi en finir avec cet enfoiré ! S'exclama Syara.

La discrétion n'étant plus de mise, la violoniste invoqua son instrument et se mit à jouer la première chose qui lui traversa l'esprit. Dans une telle situation, prise au dépourvue et craignant pour la vie de sa sœur, Syara n'arrivait pas à se concentrer sur sa musique. Seule sa mémoire musculaire lui permettait de ne pas faire de fausse note et de les enchaîner pour créer un tout à peu près harmonieux.

Pendant qu'elle préparait son sort, le roi s'était avancé sur Elyazra, toujours à terre, et avait levé son épée pour frapper. Par instinct, même enveloppée dans la protection de Phi, la demie-dragonne avait placé sa rapière de manière à pouvoir parer le coup. Cet instinct lui sauva la vie lorsque le bouclier se déchira sous la lame du roi de la même manière que celui qui était censé protéger le baron.

La demie-dragonne encaissa le coup et poussa un cri de douleur à l'impact qui avait l'air bien trop brutal, même pour quelqu'un avec une constitution hors normes telle qu'elle. En parallèle, Syara n'arrivait pas à former son sort convenablement. Elle avait beau avoir de l'expérience avec son instrument lié ou par ses deux semaines d'entraînement intensif, elle avait l'impression d'accumuler l'énergie avec autant de précision et de célérité qu'à ses premiers jours en tant que mage musicienne.

— Je vous avais pourtant dit que vous n'étiez pas prête ! S'exclama Fos.

— Rends-toi utile au lieu de jubiler en disant que tu avais raison, lui hurla Syara.

Sur l'estrade, les deux gardes qui avaient escorté le baron s'étaient à leur tour remis de la tumulte qui avait succédé les téléportations non voulues et s'approchaient d'Elyazra, armés de hallebardes qui étaient sans l'ombre d'un doute leur arme de l'âme.

Ils ne réussirent heureusement pas à l'approcher, Orélius s'étant relevé et téléporté pour retourner sur l'estrade. Ses mains au sol, il leva ses jambes en l'air et tourna sur lui-même, leur assenant à chacun un coup de pied au visage. Il enchaîna en se remettant sur ses appuis pour leur foncer dessus et leur asséner une rafale de coups de poings qui les fit reculer. Ils avaient beau être pourvus d'ailes, cet assaut les avaient assez déstabilisés pour qu'ils ne puissent pas prendre leur envol et tombent de l'estrade à leur tour.

— Elirielle, ça n'est pas le moment de rêvasser ! Tonna la beast.

Depuis le début de l'affrontement, la dragonne était restée auprès de Fos, les bras ballants et regardait les anges s'enfuir de la place. Elle seule avait remarqué qu'elle s'était assez vidée pour que les gardes qui étaient en poste tout autour puissent les rejoindre.

— Fos, je compte sur toi, annonça-t-elle calmement en posant une main sur son épaule.

Après un instant d'hésitation, le déchu fronça les sourcils et hocha de la tête. La dragonne s'avança alors pour rejoindre l'espace vide qui séparait l'estrade de ceux du groupe qui étaient restés en arrière. Là, Elirielle amorça sa transformation et reprit sa véritable forme draconnique sous les yeux médusés de tous. Seul le roi, aux prises avec Elyazra, ignorait la créature gigantesque qui était apparue.

— Phi, prépare-toi à envelopper Elyazra et Orélius d'une protection et de la guider pour qu'ils nous rejoignent.

— À quoi tu joues ? S'emporta la beast. Ils sont notre première ligne !

— Nous n'avons aucune chance contre lui, j'essaie de sauver ce qui peut encore l'être, souffla-t-il sans élever la voix.

Au moment où il eut terminé sa phrase, Elirielle frappa la structure en bois de sa patte et fit chuter la plateforme surélevée sur laquelle se trouvaient le roi, Orélius et Elyazra. Tous deux furent immédiatement enveloppés dans une bulle protectrice qui vola jusqu'à la jeune fée.

Leurs alliés à l'abri, Elirielle se déchaîna alors sur tout ce qui se trouvait devant elle et cracha un feu bleu sur les ruines de l'estrade. Des cris retentirent, aussitôt éteints en même temps que les flammes consumaient leur dernière parcelle de vie.

Sur les trois anges touchés, seul l'un d'entre eux avait survécu. Pire, il était totalement indemne après avoir subi de plein fouet le souffle d'un dragon. Le roi désigna de la pointe de son épée le dragon et donna l'ordre à tous ses soldats de charger.

— Fos, qu'est-ce que tu fais ?! S'exclama Elyazra.

Ces paroles ayant attisé la curiosité de Syara, la beast se tourna vers le déchu tout en continuant à jouer. Fos avait retiré à la fois sa cape et son haut, révélant ainsi son torse et ses bras couverts de runes bleues semblables à celles du violon.

Ces marques ne tardèrent pas s'illuminer tandis qu'un halo bleuté recouvrait le groupe. L'instant d'après, un flash lumineux les aveugla tous et un choc brutal les fit tomber à la renverse. Lorsque Syara put enfin rouvrir les yeux, ils se trouvaient tous devant sa grotte. Tous ? Non, une personne manquait. Elirielle n'était plus là.