Chapitre 159 : un doute permis

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 À la suite de ses retrouvailles avec ses coéquipiers, Syara n'était pas restée bien longtemps en leur compagnie et n'avait même pas partagé le repas du soir avec eux. À la place, la beast s'était rendue dans sa chambre en annonçant que la cérémonie l'avait épuisée.

Malgré cet état de fatigue, cela faisait une bonne heure qu'elle était allongée sur son lit à regarder le plafond sans réussir à fermer les yeux. Elle avait certes besoin de repos, mais tout ce qui s'était passé était bien trop pour qu'elle n'y pense tout simplement plus pour s'abandonner au sommeil.

Elle ne dormait donc pas lorsque quelqu'un vint frapper à sa porte. Syara n'eut même pas le temps de dire quoi que ce soit qu'Elirielle y pénétra. Elle s'était simplement annoncée de cette manière et ne demandait aucune invitation pour entrer, ce qui présageait d'une discussion importante.

— Tu ne dors pas ? Questionna la dragonne.

— Je remets de l'ordre dans mes idées et vu qu'il y en a beaucoup, ça me prend un peu plus de temps que prévu, répondit-elle.

Sans dire un mot, Elirielle s'avança dans la chambre et alla se poser contre la table tout en croisant les bras. Syara la regarda faire et attendit de voir ce qu'elle lui voulait, mais la dragonne restait silencieuse.

— Alors ? Qu'est-ce qui se passe ?

— Savais-tu que l'esprit de Fos qui se trouve dans ton violon avait la faculté d'apparaître devant les personnes qu'il avait côtoyé de son vivant ? Même si ce que je viens de dire n'est plus vraiment valable vu ce qu'on a découvert, je pense que tu vois de quoi je veux parler.

— J'en ai effectivement entendu parler après le Kiel'Felas, confirma-t-elle. Et donc ?

— Il m'est apparu il y a quelques minutes pour me partager ses craintes. D'après lui, la part de ton âme envoyée dans le violon ne l'aurait pas rejoint...

— Ce n'est peut-être qu'une question de temps, supposa la beast. Après tout, lui-même a mis des années avant de faire la rencontre de Cristal. Le monde qui se trouve dans le violon est vaste et tout se ressemble. Il est donc difficile de s'y orienter.

— Certes, mais Fos a une autre supposition.

L'intonation de sa voix, sa posture, son regard, tout indiquait qu'elle était des plus sérieuses. Syara savait déjà ce qu'elle allait dire. Avec tout ce qui s'était passé, s'en était même une évidence.

— Fos croit que je ne suis pas réellement Syara, mais l'ombre du violon qui a réussi à s'échapper, la devança-t-elle.

— Entre ce qu'il m'a dit et la réaction de Phi qui te trouvait étrange, il y a effectivement de quoi douter. Alors dis-moi, es-tu Syara ou bien est-elle morte et c'est l'ombre qui parle à sa place ?

Même si Elirielle n'avait pas changé de posture, Syara sentait que l'atmosphère avait changé. Elle ressentait une pression surnaturelle qui lui donnait l'impression de se trouver sous la patte d'un dragon. Elle allait devoir être convaincante si elle souhaitait s'en sortir.

— Vos doutes sont en grande partie justifiés, commença-t-elle. Lorsque j'ai accompli la cérémonie de l'âme, l'ombre a effectivement cherché à la perturber et à en profiter pour tenter de s'emparer de mon corps. Nous nous sommes affrontées et, pour faire simple, je la purifiais à chaque fois que j'entrais en contact avec son violon et elle me corrompait à chacun de ses coups. Pour être tout à fait honnête, je ne garde presque aucun souvenir de la fin de ce combat, mais je peux t'assurer que je ne suis pas l'ombre du violon.

— Et la réaction de Phi ? Et ton absence de réaction concernant ta sœur ?

— Je l'ai dit, je suis exténuée ! Se défendit-elle. S'il n'y avait pas cette fin de combat dont je n'arrive pas à me souvenir qui occupe toutes mes pensées, je serai déjà en train de dormir ! Et maintenant, il y a cette histoire du moi du violon qui ne s'est pas présentée à Fos... Si ça continue comme ça, je suis bien partie pour une nuit blanche !

— Pourquoi ne pas nous avoir dit ce qui s'était passé quand tu es sortie ?

— Je pensais que ça pourrait attendre demain. J'aimerais aussi éviter ce sujet devant Phi. Je la connais, elle s'inquiéterait pour rien. Et puis, comme tu l'as dit, avec mon manque de réaction dû à la fatigue, elle pourrait tout aussi bien croire que je suis l'ombre.

— Peux-tu invoquer le violon de cristal ? S'il n'est pas corrompu, ce serait une preuve supplémentaire.

— Je pense que l'ombre pourrait très bien réussir à changer l'apparence de son violon pour qu'il ressemble à celui purifié, mais si c'est ce que tu veux...

Tout en tendant ses deux mains devant elle, Syara y fit apparaître son instrument de l'âme. Celui-ci, d'un bleu cristallin et pourvu de runes et d'arabesques azur était en tout point identique à l'instrument qu'elle utilisait jusque-là. Si Elirielle comptait sur cette apparence pour juger de sa corruption, elle pouvait être certaine que la violoniste était bien celle qu'elle prétendait être.

— Voilà qui ne prouve... Absolument rien, comme je l'ai dit, souffla Syara. Mais dirais-je cela si j'étais l'ombre ?

— Elle en serait capable. Pointer les faiblesses d'arguments qui vont dans ton sens peuvent être une preuve de bonne foi qui peut être exploitée par l'imposteur. On se dit qu'il ne se décrédibiliserait pas, on baisse notre garde et, au final, on lui accorde bien plus de confiance que s'il n'avait rien dit.

— En somme, cela ne nous avance pas. Dans ce cas, j'aurai une faveur à te demander. Comme je l'ai dit, je sens que je suis moi... Je veux dire, que je suis bien Syara, mais ne pas arriver à me souvenir de la fin de mon affrontement contre l'ombre m'inquiète. Au cas où, et c'est moi qui te le demande, pourrais-tu continuer à me surveiller ? Il n'est pas impossible que l'ombre n'ait pas joué son dernier coup et attende que je baisse ma garde en croyant l'avoir vaincu.

— Donc, si je comprends bien, tu me demandes de te surveiller et de te considérer comme une menace potentielle.

— Au moins jusqu'à ce qu'on ait tiré cette histoire au clair, confirma-t-elle. Pourrais-tu juste éviter d'en parler aux autres ? À Fos, ça ne me dérange pas, mais je connais Phi et ma sœur et je sais que ça pourrait compliquer les choses plus que les arranger.

— C'est aussi le sentiment que j'ai. Bon, très bien, faisons ça. Fos, si tu m'entends de là où tu es, n'hésite pas à venir me voir si tu apprends quoi que ce soit de plus.

À ces mots, la dragonne sortit de la chambre et laissa Syara seule. La beast, tout en se recouchant sur son lit, garda l'instrument près d'elle et le scruta avec plus d'attention. Elle n'en avait pas parlé à Elirielle vu que cela pouvait très bien être parce que l'instrument était à présent lié à son âme, mais elle ressentait certaines choses en plus quand elle l'avait en main.

De la puissance, une impression bien plus prononcée qu'avant que le violon était une extension de son corps, mais aussi une dernière chose. Un très léger, à peine perceptible, sentiment de malaise, comme si quelque chose n'allait pas.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant