Le violon de cristal : l'autre monde

Chapitre 154 : Magie sans instrument

 Un pas après l'autre, comme si elle se trouvait devant un animal sauvage qui la menaçait, Syara reculait lentement sans jamais quitter l'esprit corrompu du regard. Ça n'était cependant pas une bête qui se trouvait en face d'elle, mais bien une entité maléfique qui avait déjà décidé du sort qu'elle lui réservait.

D'un simple bond, l'ombre parcourut la distance qui les séparait et tendit son poing en arrière pour frapper. Son adversaire était bien trop rapide pour qu'elle ait une quelconque chance de s'échapper. Tout ce que Syara pouvait faire était de croiser les bras devant sa tête pour se protéger du mieux qu'elle le pouvait.

La beast se sentit alors glisser en arrière, mais ne ressentit aucune douleur. L'ombre, plutôt que de la frapper, s'était-elle contentée de la pousser ? Si son adversaire était du genre à jouer avec ses victimes, il se délectait aussi de sa douleur alors agir ainsi n'était pas logique.

En baissant sa garde, la violoniste comprit à moitié ce qui était arrivé. Elle était englobée dans un dôme protecteur similaire à celui que pouvait produire Phi. Elle avait été repoussée parce que l'ombre avait frappé ce bouclier visiblement lié à elle, mais elle n'avait aucune idée d'où pouvait venir un tel sort salutaire.

Fos ou Cristal étaient-ils finalement venus à son secours ? Non, ils ne se trouvaient nulle part et se seraient manifestés s'ils étaient à l'origine de ce sort. Était-ce donc elle qui l'avait matérialisé inconsciemment en croisant les bras et ce sans utiliser d'instrument ?

— Tu crois être à l'abri dans ta petite bulle fragile ? Grogna l'esprit maléfique.

Donnant de puissants coups de poings dedans, l'ombre continua à faire reculer Syara sans qu'elle ne sente rien ni que sa protection ne cède. Bien que ce ne soit pas le moment pour s'adonner à des expériences, la beast se concentra sur sa main pendant que son adversaire continuait à frapper son bouclier. Alors qu'elle y imaginait une sensation de chaleur, une flammèche y apparut et se mit à danser dans sa paume.

Ses doutes étaient donc fondés. Elle était bien celle qui avait fait apparaître la protection dans laquelle elle était enfermée. Cela voulait-il aussi dire qu'elle était non pas la violoniste, mais la partie d'âme qui avait rejoint le violon ? Mais dans ce cas, pourquoi l'ombre l'attaquait-elle tout en affirmant que son corps se trouvait actuellement sans âme à l'intérieur ?

Alors qu'elle se posait toutes ces questions, l'esprit corrompu était passé à la vitesse supérieure et avait invoqué son archet dont la mèche était aussi tranchante que la lame d'un rasoir. S'en servant comme s'il maniait une épée, son adversaire trancha la protection qui se brisa tel du verre dont les morceaux disparurent l'instant d'après.

Les deux mains en avant dans un geste de repoussement, Syara fit apparaître une tornade à l'horizontale qui prit l'ombre et la repoussa sur plusieurs mètres avant qu'elle ne retombe lourdement à terre. Le message était clair. Syara n'allait pas se laisser faire et lutterait pour sa vie.

Pourtant, ce dernier ne semblait pas être bien arrivé à son destinataire. Son adversaire, tout en se relevant, riait aux éclats. Une fois debout, il s'était même mis à applaudir de manière sarcastique.

— Bravo ! Magnifique ! Tu as un potentiel certain, la complimenta-t-il. Lorsque j'ai été emprisonné dans le violon, l'esprit de Fos qui se trouvait à l'intérieur n'était même pas à ce niveau.

— Dans ce cas, abandonne ! Tu n'as jamais réussi à vaincre Fos, alors en quoi ce serait différent avec moi ?

De nouveau, l'ombre partit dans un fou-rire incontrôlable. Ce qu'elle venait de lui dire était si absurde que ça ?

— J'ai dit le Fos de l'époque, mais entre ce moment et l'instant présent, on peut dire qu'il y a une éternité. Une éternité ou je n'ai cessé de me battre contre lui, une éternité où je l'ai fait progresser autant qu'il m'a fait progresser. Face à moi, tu n'es qu'un moucheron ! Non... Plutôt un moustique dont le seul véritable pouvoir de nuisance est de voler constamment trop près de mes oreilles.

— Ne sous-estime pas les moustiques, ils sont bien plus dangereux que tu ne le penses, rétorqua-t-elle.

— Ta place est, comme celle de tous les insectes, morte sous ma botte.

S'il y avait bien une chose qu'elle voulait bien croire, c'était que la différence de niveau était faramineuse. Elle n'avait eu à l'affronter qu'une seule fois depuis qu'elle avait obtenu le violon de cristal. Et, là encore, l'affronter était un bien grand mot. L'ombre l'avait malmenée tel un chat s'amusant avec un mulot. Elle n'avait dû son salut qu'à l'intervention de Fos qui avait pu le chasser, mais ce sauveur n'était actuellement pas présent.

Comment pouvait-elle gagner contre un tel être ? Plutôt que de chercher la solution sans avoir le moindre indice, le mieux était de tenter quelque chose et voir le résultat. La beast pensa d'abord à un pic de glace qui sortirait du sol pour empaler son adversaire, mais pourquoi se contenter de glace ?

L'idée du pic fut gardée, mais ce dernier fut fait de diamant et transperça l'esprit corrompu en plein dans l'estomac. Si faire de la magie avec un instrument était quelque chose qu'elle appréciait, en utiliser directement par la pensée et avec les mains avait quelque chose de grisant. Elle comprenait mieux à présent pourquoi sa sœur était aussi friande de combats.

— Intéressant... Tu as autre chose à proposer ? Demanda posément l'ombre qui avait pourtant un pic d'une vingtaine de centimètres de diamètre planté dans le ventre et dont la pointe ressortait de son dos.

Restant sur cette idée, de nouveaux pics apparurent tout autour de lui. De différentes tailles, ils lui transpercèrent les pieds, les cuisses, les mains, le cœur et même la tête en passant sous le menton.

Tel un cauchemar vivant ses yeux continuaient de bouger et sa bouche se fendait toujours d'un large sourire. Elle ne l'avait pas tué. Elle était même certaine que tout ceci n'était absolument rien pour lui, mais au moins, elle l'avait immobilisé.

Avant qu'elle n'ait décidé de son prochain coup, un craquement se fit entendre. Les pics de diamant se fissurèrent un à un et disparurent comme l'avait fait la protection quelques instants avant. Tous les trous percés dans l'esprit corrompu ne tardèrent pas à se résorber pour qu'il retrouve, au final, un corps intact.

— Aïe, je crois que je viens de me faire piquer par un moustique, ironisa-t-il. Mais je ne lui en veux pas. Je vais même jouer une petite mélodie en son honneur.

Dans ses mains, ça n'était cette fois-ci plus uniquement l'archet, mais bien le violon corrompu qu'il venait de matérialiser. Ne pouvait-il pas user de magie sans son instrument, même dans ce monde ? Se demanda la beast. Cette question fut bien vite balayée par un commentaire qu'elle se fit intérieurement vis à vis de la situation et connaissant les pouvoirs de ce violon maléfique. Elle était dans la merde.