Chapitre 156 : purifier l'ennemi

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 Malgré les douleurs atroces qui lui tiraillaient la moindre parcelle de son corps, la lueur d'espoir qu'elle avait aperçu via la rune purifiée sur le violon corrompu avait permis à Syara de se relever et de faire face à l'ombre qui ne riait plus. Chacun de ses pas, d'abord chancelants, était de plus en plus assuré jusqu'à ce qu'elle se mette à courir droit sur son ennemi, surpris par ce regain de vitalité alors qu'il avait presque réussi à la briser l'instant d'avant.

Alors qu'il recommençait à jouer, la beast sentit de l'énergie s'accumuler sous ses pieds et sauta sur le côté juste à temps pour éviter une nouvelle explosion. Tout allait de mieux en mieux. Là où seul son instinct l'avait préservée jusque-là, la beast avait l'impression d'avoir gagné un nouveau sens qui lui permettait de sentir la magie autour d'elle.

Plus fort encore, elle arrivait à déterminer quel sort allait être lancé avant qu'il ne se déclenche. Ainsi, lorsqu'elle vit que de l'énergie s'agglomérait devant l'ombre, elle sut qu'il s'agissait d'un rayon d'énergie noire et se baissa juste à temps pour l'éviter lorsqu'il sortit et balaya horizontalement devant l'esprit corrompu.

Des pics, du feu, des explosions, des sorts qui tranchaient, qui repoussaient, qui entravaient, l'esprit du violon essayait par tous les moyens de la repousser, mais n'y parvenait pas. Sa progression était lente, mais Syara continuait d'avancer, inexorablement, vers lui. Usant de ses pouvoirs, elle avait même fait en sorte de lui bloquer toute retraite en érigeant de solides remparts derrière lui.

Enfin, elle y était. Après un nouveau pas, elle était à portée pour s'emparer de l'instrument. Son empressement lui coûta cependant cher. Tentant le tout pour le tout, l'esprit corrompu joua quelques notes, si les crissements de son archet sur son violon pouvaient véritablement s'apparenter à des notes, et amorça une explosion entre eux.

Déséquilibrée parce qu'elle s'était jetée en avant pour saisir l'instrument, Syara ne put esquiver cette attaque-ci et fut soufflée par la déflagration qui la projeta sur plusieurs dizaines de mètres. L'ombre avait, elle aussi, subi son propre sort de plein fouet et traversé le mur qui se trouvait derrière elle.

Malgré tout, l'esprit corrompu était aussi bien plus habitué à recevoir ce genre de coup et encaisser la douleur comme si de rien était. Syara en était encore à se relever sur ses coudes que son adversaire était déjà debout et prêt à continuer, mais le sourire de victoire ne se trouvait pas sur les lèvres du combattant qui tenait sur ses pieds. Sur le violon, deux nouvelles runes étaient passées du rouge au bleu.

— Alors ? Tu abandonnes ? Rit Syara avant d'être prise d'une quinte de toux. Tu ne peux rien faire contre moi. Jamais je n'abandonnerai, je suis immortelle. Toi par contre, si tu gardes ton violon, tu me laisses l'occasion de le purifier et si tu le révoques, tu te retrouves dépourvu de pouvoirs. Dis-moi, qu'est-ce que ça fait, quand la peur change de camp ?

— N'as-tu pas écouté ton cher ami Fos quand tu l'as questionné hier soir ? L'immortalité est une arnaque. Toi, tu vas la passer à souffrir encore et encore et encore ! Quand j'en aurai fini avec toi, tu ne seras plus qu'une loque qui me suppliera du bout des lèvres d'en finir !

Profitant qu'elle soit encore à terre, l'esprit corrompu reprit son simulacre de mélodie. Syara voyait qu'il faisait dans l'original et comptait encore provoquer une explosion sous elle, mais quelque chose différait cette fois. Tout en poussant sur ses bras pour rouler sur le côté, la beast esquiva la détonation et se releva pour faire de nouveau face à son ennemi.

Alors qu'il enchaînait avec une série de pics en obsidienne à esquiver, les doutes de la violoniste se confirmèrent. L'énergie mettait plus de temps à s'accumuler à l'endroit où le sort devait apparaître et la sortie en elle-même était aussi plus lente. C'était à peine perceptible, mais elle en était certaine. Purifier le violon corrompu ralentissait les pouvoirs de l'ombre.

— Alors, on s'essouffle ? Le nargua-t-elle.

Tout en continuant à sauter de gauche à droite et à anticiper les attaques, Syara tendit une main vers son adversaire et fit sortir des chaînes de cristal qui vinrent totalement entraver ses mouvements. L'ombre avait beau lutter, elle ne parvenait pas à s'en défaire contrairement aux autres attaques qui ne lui avaient rien fait.

Profitant de ce moment, Syara repensa aux pouvoirs de sa sœur et tenta de l'imiter. Plutôt que dans un brouillard noir, ce fut dans une pluie d'étincelles qu'elle disparut de sa position pour réapparaître derrière son adversaire. L'esprit corrompu ne s'attendait certainement pas à ça et ne révoqua son instrument qu'après plusieurs secondes pendant lesquelles la beast l'avait tenu fermement de ses deux mains.

Accompagnant son geste d'un cri de rage, l'ombre finit par se libérer de ses entraves et frappa violemment la violoniste avec un puissant coup de poing au visage. Son objectif ayant disparu des mains de son ennemi, Syara usa de sa téléportation par les étincelles pour prendre de la distance.

De nouveau, tous deux se faisaient face. La beast arborait un sourire triomphant. Tenir le violon corrompu aussi longtemps avait eu de l'effet. Pour preuve, l'œil gauche de l'ombre, habituellement noir, était devenu blanc.Plus que le violon, elle purifiait l'esprit lui-même.

— Alors ? Te sens-tu différent ? Le bouillon d'émotions négatives que tu entretiens depuis des milliers d'années ne serait-il pas en train de se tarir ?

Face à cette question, l'ombre sourit d'abord, puis rit de plus en plus fort jusqu'à ce que cela ne devienne incontrôlable et qu'il se torde d'une manière peu naturelle. Sa crise de démence passée, l'esprit corrompu reprit une posture neutre, mais continuait de sourire malgré tout.

— Faisons quelque chose. Pendant les prochaines secondes, je jure de ne pas t'attaquer. Quant à toi, tu vas faire apparaître un miroir devant toi et te regarder. Vas-y, n'aie pas peur !

Si tout ceci paraissait très suspect, Syara était tout de même curieuse de savoir ce qu'il attendait d'elle en lui demandant une telle chose. S'attendant à tout, elle garda un œil sur son adversaire qui restait à une distance respectable et ne semblait effectivement pas vouloir attaquer pendant qu'elle invoquait un miroir.

Lorsqu'elle posa finalement son regard sur son reflet, les rires de l'ombre reprirent de plus belle et la beast comprit pourquoi il était aussi euphorique. La pupille de son œil droit avait perdu sa couleur verte émeraude pour prendre une teinte rouge sanguine. Si, pour elle, toucher le violon altéré le purifiait, à l'inverse, un coup direct de l'ombre sur elle la corrompait.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant