Chapitre 25 : à l'écart de la ville

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 Grâce à la cape confiée par le chef du conseil, Cristal avait pu traverser la ville sans attirer l'attention. Certains arrivaient parfois à voir sa peau blanche et cherchaient à percer son déguisement à jour, mais Mélyne, à l'affût, les repérait rapidement et se plaçait entre eux et sa protégée, mine de rien, pour qu'elle ne soit pas découverte.

Après une demi-heure de marche, elles arrivèrent finalement au site qu'on leur avait décrit. Cette carrière devait être un projet abandonné depuis longtemps au vu de l'état de la cabane. Il était même étonnant qu'elle n'ait pas été totalement démontée par les habitants pour servir dans leurs propres maisons faites de bric et de broc.

D'un autre côté, la jeune elfe relativisait. Elle n'était pas à la rue et, dans une telle grotte, il y avait peu de chance qu'elles soient dérangées par les intempéries. Cristal remarqua aussi rapidement la source dont on lui avait parlé. Avec l'approbation de Mélyne qui pensait aussi que c'était une priorité, elle s'y rendit pour se laver.

Après s'être assurée que personne ne se trouvait aux alentours, elle se déshabilla entièrement et entra dans l'eau. La sensation était bien différente des bains dont elle avait l'habitude. Dans le palais où elle logeait encore quelques jours avant, son propre bassin personnel était plus grand que la maison qu'ils allaient habiter. L'eau y était chaude et parfumée.

Là, elle était glacée ! Toute grelottante, Cristal essayait de relativiser du mieux qu'elle le pouvait, mais à part le fait qu'elle ne sentait plus ses pieds endoloris et ensanglantés à force de marcher sans chaussures, la jeune elfe n'arrivait pas à trouver d'autres avantages.

Sa baignade fut donc expédiée aussi vite qu'elle le pouvait. Elle n'en ressortit pas avec la peau parfumée, mais au moins elle ne sentait plus les fruits pourris. Ce choc qu'avait été le bain l'avait encore une fois mise en face des privilèges qu'elle avait toujours eu et qu'elle pensait acquis. Il ne lui était jamais venu à l'esprit que les personnes à l'extérieur du palais n'avaient d'autres choix que de se laver dans une eau aussi froide.

Et pourtant, elle était encore une fois loin de la réalité. Cristal savait qu'elle pouvait tout dire à son ancienne servante et lui avait parlé, à son retour, de la honte qu'elle ressentait de ne pas savoir comment vivaient réellement les gens à l'extérieur du palais.

C'était sur ce dernier point qu'elle avait tort. Même au sein de la somptueuse bâtisse qu'elle avait habitée, tout le monde n'avait pas le luxe d'avoir de l'eau chaude. Tout le monde n'avait pas non plus le luxe d'avoir de l'eau à volonté.

Pour les serviteurs non-elfes, il leur était donné chaque jour un seau d'eau froide. Celui-ci devait à la fois servir à se désaltérer, mais aussi à se laver l'entièreté du corps. Et il valait mieux ne rien oublier lors de sa toilette. Une simple odeur, même de transpiration après une rude journée, qui venait déranger les mauvaises narines et un châtiment tombait.

Selon la personne qui l'avait remarqué, cela pouvait aller de coups de fouets jusqu'à une condamnation à mort sans autre forme de procès. Savoir que de tels traitements, de tels atrocités s'étaient déroulées pendant toute sa vie sous son nez sans qu'elle ne s'en aperçoive la mettait plus que mal à l'aise. Comment se faisait-il qu'elle n'eût jamais ne serait-ce qu'entendu parler de cela ?

Selon Mélyne, cela ne tenait qu'à une chose, ou plutôt une personne. Sa mère l'avait pendant longtemps couvée et ne voulait sous aucun prétexte qu'elle assiste ou entende parler de ce genre de choses. Elle-même n'était pas exempte de défaut et avait aussi le sang de nombreux serviteurs sur les mains, mais elle avait au moins le mérite d'avoir été une bonne mère qui protégeait son enfant de la violence qui se déroulait tout autour d'elle.

Sur l'un de ces points aussi, Cristal avait du mal à y croire. Sa mère était la bienveillance incarnée ! Elle ne haussait jamais la voix, n'appelait jamais de serviteur pour rien et les battait encore moins ! Là encore, Mélyne n'eut qu'à ajouter une précision pour que cette description colle à la réalité. Elle ne faisait jamais ça devant elle. Dès qu'elle n'était pas là, elle agissait comme tous les autres membres de la famille royale avec leurs serviteurs. Et bien sûr, lorsque quelque chose lui déplaisait en présence de sa fille, elle ne l'oubliait certainement pas et le faisait payer plus tard.

Inquiète, la jeune Elfe avait alors demandé si sa mère lui avait déjà fait du mal. Pour toute réponse, Mélyne souleva sa tunique et révéla une large cicatrice qui parcourait son ventre. Cette punition lui avait été donnée parce que Cristal, âgée de quatre ans, avait simplement dit qu'elle était comme sa deuxième maman.

Elle ne pouvait pas le savoir et, à l'époque, avait dit ce qui lui passait par la tête et parce qu'elle l'adorait, mais jamais elle n'avait pensé que ses paroles enfantines avaient eu de telles répercussions. Cette histoire était celle de trop. À l'abri des regards et des oreilles inconnues, Cristal fit tomber le masque de maturité qu'elle avait mis pour se protéger et fondit en larmes dans les bras de la démone.

Pendant de longues minutes, elle ne cessa de s'excuser pour le mal qu'elle lui avait fait, pour cette horrible cicatrice qui n'était qu'une punition ingrate et injuste pour récompenser un travail trop bien fait.

Même si elle n'était plus sa servante, Mélyne montra qu'elle ne lui en tenait pas rigueur et qu'elle ne considérait pas que c'était de sa faute. Tout en la berçant comme lorsqu'elle était petite, elle alla même jusqu'à dire qu'elle était fière de cette cicatrice. Qu'elle était sa médaille pour le plus beau compliment qu'elle ne lui avait jamais fait.

Dans la tragédie qui avait suivi le coup de poignard de son père, Cristal avait perdu beaucoup de choses. Un palais splendide, de la richesse, du pouvoir, des personnes à ses pieds pour répondre aux moindres de ses désirs. Elle avait perdu beaucoup de choses, mais certainement pas sa deuxième mère.

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant