Chapitre 110 : sortie du portail

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 Après ce qui leur avait semblé être une éternité à marcher à travers la brume sanguine, en direction de la lumière et sans aucun son parvenant à leurs oreilles, le groupe atteignit finalement sans encombre l'autre côté du passage. Un à un, ils franchirent le portail et se retrouvèrent assaillis d'une multitudes de couleurs là où seul le rouge avait heurté leur rétine.

Lorsque Elirielle sortit du couloir dimensionnel à son tour, le portail se mit à rétrécir et disparut en à peine quelques secondes, ne laissant aucune trace derrière lui. Celui-ci avait dû se refermer en détectant qu'il n'y avait plus personne à l'intérieur.

— Enfin, souffla Syara. Être privée de l'ouïe est une véritable torture.

— Et encore, imagine ce qu'a ressenti Ely. Obligée d'être seule avec ses pensées pendant tout ce temps, rit Orélius.

— J'ai cru que j'allais devenir dingue ! S'exclama la demie-dragonne. C'est tout bonnement horrible, à la fin je commençais même à avoir des pensées totalement incohérentes !

— Quelle différence avec d'habitude ? demanda sa sœur.

Ce passage entre les mondes avait visiblement cassé quelque chose chez Elyazra. Plutôt que de s'énerver après qu'Orélius et Syara se soient moqués d'elle, elle prit toutes leurs piques au premier degré et se mit à raconter les pensées incohérentes en question. Et celles-ci étaient effectivement incohérentes. À telle point que personne ne comprit le moindre mot de ses explications. Peut-être était-elle juste heureuse d'avoir retrouvé l'usage de sa voix et de ses oreilles et comptait en profiter, même si ça n'était que pour déblatérer n'importe quoi.

— Grâce à vos consignes, nous avons pu passer sans problème, merci ! Remercia Phi à l'intention d'Elirielle. Comment avez-vous su ce qu'il fallait faire ?

— Je n'en étais pas certaine avant que nous empruntions le passage et c'est pour cela que je n'ai rien dit avant, mais ce que nous avons expérimenté est à peu près similaire à ce qu'ont vécus les habitants de l'autre monde lorsqu'ils sont venus se réfugier chez les humains.

— Les démons, satyres, elfes noirs, nains... Tout le monde est passé par cette brume ? S'étonna Orélius.

— Oui... Enfin, là où nous avons emprunté une ruelle étroite, le passage était un véritable boulevard. Si je savais quoi faire, c'est parce que j'étais, avec d'autres confrères, responsable de la sécurité dans ce passage. Nous avons vite compris que ceux qui ne restaient pas sur le chemin ne revenaient jamais et nous passions donc nos journées à l'intérieur, à surveiller que les réfugiés restaient bien dans la zone où le brouillard s'était écarté.

— Passer ses journées là-dedans... Là, il y a de quoi devenir dingue, commenta Syara.

— Les dragons sont plus résistants mentalement à ce genre de chose et, lorsqu'on se concentre pour chercher d'éventuelles personnes susceptibles de s'égarer, nos pensées sont focalisées sur ça, ce qui évite de divaguer et de devenir fou. Quelques-uns m'ont même avoués qu'ils préféraient la tranquillité qui régnait à l'intérieur à la cacophonie de l'extérieur. C'était compréhensible à l'époque. Il y avait d'un côté un monde qui se mourrait et où la panique avait gagné ses habitants et de l'autre une guerre entre les humains autochtones et les nouveaux arrivants.

— Connaissant mon père, il devait faire partie de ceux qui appréciaient cet endroit calme, supposa Orélius.

— Shay et Shavi n'ont pas assuré la sécurité comme je l'ai fait, contredit la dragonne. Eux n'ont fait que traverser en une fois pour rejoindre le front. Les dragons étaient un atout non négligeable dans la guerre, surtout face à la puissance technologique des humains de l'époque.

— Eh bien moi, je serai sans doute partie au front à cette époque ! S'exclama Elyazra.

— Comme c'est étonnant ! Ironisa sa sœur.

— Mais vraiment ! Quand j'ai dit que j'allais devenir dingue, c'est vrai ! Je me suis même mise à réfléchir à la magie des instruments alors que je n'en possède pas et que je n'en ai pas besoin !

— Et, par simple curiosité, tu as réfléchi à quoi ? Questionna la violoniste.

— Par exemple, je me suis demandée comment tu avais pu réussir ton sort de traduction en lâchant prise alors que, de ce que tu m'as dit, utiliser correctement ton instrument mêlait à la fois la musique, mais aussi une forte concentration sur le sort que tu voulais lancer ?

— Eh bien ! Je ne pensais pas que tu m'écoutais réellement quand je te parlais de ça. Si la réponse t'intéresse, c'est parce que je me suis beaucoup entraînée pour lancer ce sort que j'ai réussi. Si je me suis concentrée sur la partie musicale, mon corps, lui, savait quoi faire avec la partie magie sans que je n'aie à m'en occuper. C'est un peu comme la mémoire musculaire. Après avoir répété encore et encore un même mouvement, tu n'as plus à réfléchir à tout pour le faire.

— Donc, si tu veux lancer un sort totalement différent, ça ne marchera pas ?

— Pas si je ne me suis pas entraînée avant à le lancer en me focalisant sur la partie magique, confirma-t-elle. Si tu peux parer instinctivement un coup avec ta rapière parce que tu t'es entraînée à faire ce mouvement des centaines de fois, ça ne veut pas dire que tu pourras faire une estoc tout aussi naturellement si tu ne l'as jamais travaillée.

— Ne parle pas de technique avancée à Ely. Tout ce qu'elle sait faire, c'est agiter son épée devant elle sans comprendre ses propres mouvements et n'arrêter qu'une fois que son adversaire est mort, se moqua Orélius.

— Qu'est-ce que j'ai dit sur le fait de vous chercher comme ça ? Rétorqua Elirielle d'une voix menaçante.

— Ne t'en fais pas, je ne le prends pas mal, répondit la demie-dragonne.

Une nouvelle fois, sa réaction surprit tout le monde. Était-ce la composition de l'air dans ce nouveau monde qui avait quelque chose capable de la calmer ? Traverser le passage et se retrouver seule avec elle-même avait-il vraiment laissé des séquelles et brisé quelque chose en elle ?

— Il essaie juste de projeter sa propre incompétence sur moi pour se rassurer. S'il y a bien une personne parmi nous deux qui mouline dans le vent sans savoir ce qu'il fait, c'est lui, répondit-elle avec un large sourire.

Ah non ! Tout allait bien de ce côté là. Elle était juste d'assez bonne humeur pour répondre par une autre pique plutôt que de faire parler ses poings tout de suite. De toute façon, ces enfantillages allaient devoir cesser. Ils étaient à présent en territoire ennemi et se faire remarquer n'était certainement pas la meilleure chose à faire.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant