Le violon de cristal : l'autre monde

Chapitre 79 : La forteresse dans les montagnes

 Après avoir remercié Ati de les avoir guidées et aidées à traverser sa forêt, Syara, Elyazra et Phi avaient commencé leur ascension des pics infranchissables. La jeune fée n'avait pas tardé à reprendre son apparence originelle lorsqu'elle s'était rendue compte de la difficulté qu'impliquait une escalade de la paroi à main nue.

Syara avait, dès le début, joué un morceau pour ralentir leur chute si elles venaient à lâcher prise. Le constat au bout d'une heure était cependant sans appel. Si elles continuaient ainsi, elles n'arriveraient jamais à destination à temps pour la réunion. Les deux sœurs s'arrêtèrent donc à la première corniche qu'elles trouvèrent grâce à Phi qui servait d'éclaireuse.

Là, Syara tenta de lancer un sort qui permettrait à elle et à Elyazra de voler. Si elle arrivait effectivement à s'élever de plusieurs mètres, la magie se dissipait dès qu'elle arrêtait de jouer. À cette première difficulté s'ajoutèrent la demie-dragonne qui était bien trop impulsive pour maîtriser sa trajectoire malgré son affirmation qu'elle avait ça dans le sang ainsi que la concentration nécessaire pour qu'elles puissent voler toutes les deux.

En voyant sa sœur tomber de vingt mètres dans le vide avant de se réceptionner sur l'une des rares prises de la paroi, la violoniste ne put que se réjouir d'avoir pensé à lancer son sort qui permettait de ralentir leur chute. Le sort de vol n'étant pas la bonne solution, du moins avec leur expérience actuelle, Syara se rabattit sur le sort qui avait été utilisé pour rejoindre le plateau des harpies de la chaîne d'Hara.

Celui-ci, bien plus facile à lancer et surtout à maintenir, leur permettait de faire aisément des bonds de plusieurs dizaines de mètres. Couplé à celui de chute lente, cela leur permettait de progresser plus sereinement sans craindre de ne pas trouver de prises.

Les jours s'enchaînèrent ainsi entre escalade, marche dans un décor rocailleux et, la plupart du temps, pentu avec des temps de pause qui, avec le confort inexistant et les intempéries, n'avaient absolument rien de reposants.

Ce périple déjà éreintant était d'autant plus épuisant avec Elyazra qui ne cessait de se plaindre à longueur de journée de tout et n'importe quoi, à commencer par les dragons. Si Syara la comprenait en partie, geindre de cette manière n'allait rien y changer et lui tapait sur les nerfs. Cette situation donna lieu à de nombreuses disputes entre les sœurs, dont les plus explosives faillirent par se régler à coups de sorts et de flammes.

Heureusement, pour ces cas extrêmes, Phi était intervenue pour les séparer par un mur de lumière avant de leur faire entendre raison. Toutes les trois en venaient à se demander si ces pics étaient infranchissables à cause de la topographie ou si une magie était à l'œuvre pour mettre tous ceux qui s'y aventuraient dans un tel état.

Par moments, Syara recevait des indications de la part de Fos pour prendre le bon chemin. Même si elles étaient concises, un peu trop d'ailleurs au goût de la beast, elle était au moins certaine de marcher dans la bonne direction.

Enfin, au matin du jour qui était celui prévue pour le Kiel'Felas, les deux sœurs et la jeune fée aperçurent enfin une forteresse construite sur le flanc de l'un des plus hauts pics. Le rejoindre comme elles l'avaient fait jusque-là, en marche forcée et en escaladant des parois verticales, leur aurait pris bien trop de temps. Elles remarquèrent cependant qu'un chemin serpentait jusqu'à l'édifice.

Tout ceci était pour le moins étrange. Qui avait bien pu construire une telle forteresse ici ? Et pourquoi faire un chemin qui reliait la forteresse à... rien ? Ça n'était pas qu'une impression. En descendant jusqu'à lui, elles étaient tombées sur le début du chemin et celui-ci s'arrêtait net, comme s'il n'avait jamais été achevé.

Elles n'allaient pas s'en plaindre. Après tout, il allait leur permettre d'arriver à temps pour assister à cette réunion qui leur avait été imposée. Elles le suivirent donc toute la matinée et arrivèrent devant l'immense porte en bois massif à double battant de la forteresse. Une personne à l'apparence humaine, vêtue d'un tabard noir sur lequel était brodé un dragon doré les attendait et avait observé leur arrivée depuis un bon moment.

— Vous êtes en retard, annonça-t-il d'emblée.

— Syara, retiens-moi je vais me le faire, prévint Elyazra.

— Phi, retient Ely, parce que si elle lui fonce dessus je serai juste derrière elle pour porter le coup suivant, ajouta la beast.

— Le Kiel'Felas a déjà commencé depuis un moment, insista-t-il, totalement imperméable aux menaces.

— Nous serions peut-être arrivées à l'heure s'il ne se tenait pas dans un lieu aussi difficile d'accès ! S'emporta la violoniste. Ça fait deux semaines qu'on crapahute dans ces putains de montagnes, tout ça parce qu'on a reçu vos lettres de merde qui nous demandent de nous présenter ici sans pour autant nous indiquer un moyen facile de nous y rendre ! Et encore, heureusement qu'une petite voix dans ma tête était là pour nous indiquer la bonne direction ! Alors vos remarques sur le fait qu'on ait quelques heures de retard, vous les gardez pour vous et vous vous les carrez bien profond là où je pense !

— Syara, calme toi, lui intima Phi. C'est bon, nous sommes arrivées.

— S'il nous dit qu'on ne peut pas entrer parce que leur réunion a déjà commencé, je vous préviens, je crame tout, annonça la demie-dragonne.

— Bien que le Kiel'Felas ait déjà commencé, vous pouvez vous y rendre, les rassura-t-il. Vous pourrez entrer... Toutes les deux.

— Comment ça toutes les deux ? Questionna Syara qui avait peur de comprendre.

— Personne d'autres que les Kiels ne peuvent entrer.

— On ne vous a pas prévenu ? C'est une nouvelle. La Kiel'fée, ça ne vous dit rien ?

— Je sais parfaitement qui doit assister au Kiel'Felas et elle n'en fait pas partie.

Là s'en était trop ! Il n'était pas question que Syara laisse sa protégée à l'extérieur ! La beast était prête à en découdre avec ce portier. Qu'il soit humain, demi-dragon ou même dragon à part entière, il allait bientôt dévaler la falaise qui se trouvait à seulement quelques mètres d'eux !

Tandis qu'elle bouillait intérieurement, Elyazra, elle, était étonnamment calme. Elle s'avança non pas pour le frapper, mais pour le dépasser et se poster devant la porte massive.

— Nous n'avons pas le choix, expliqua-t-elle calmement. Syara, viens. Phi n'aura qu'à attendre notre retour ici.

C'était... Bien trop surréaliste pour que ce soit vrai. Rien n'allait. Elle était bien trop calme et s'était résignée bien trop vite. Elle cachait quelque chose, se dit la beast. Mais si elle avait un plan, elle n'allait pas se priver pour le suivre.

— Attends là, indiqua la violoniste à Phi.

Malgré le regard implorant de la fée qui n'avait visiblement pas compris qu'il allait se passer quelque chose, Syara l'abandonna et rejoignit sa sœur. Le garde se retourna alors, déverrouilla la porte et se mit à pousser avec peine les lourds battants pour ouvrir la porte.

— Dis petite sœur, il paraît que c'est ton violon qui fait que tu peux assister à cette réunion. Je peux le voir ?

— Heu... Si tu veux.

Invoquant l'instrument de cristal, Syara le remit à Elyazra. Celle-ci l'inspecta un instant puis le prit par le manche et assena un violent coup à l'arrière de la tête du garde avec. Ce dernier, toujours occupé à pousser la porte, s'effondra immédiatement.

— Voilà, ça c'est fait ! S'exclama-t-elle en rendant l'instrument.

— Tu aurais pu me prévenir ! Et ça ne va pas d'utiliser mon violon pour ça ?!

— Ne va pas me faire la leçon ! Rael m'a dit que tu avais fait exactement la même chose à Telak ! La porte est ouverte et il n'y a plus personne pour empêcher Phi de passer. D'ailleurs, ne reste pas planté là, viens ! Lança-t-elle à l'intention de la fée.

Quelque peu abasourdie par ce qui venait de se passer, Phi cligna plusieurs fois des yeux pour être certaine de ne pas rêver, puis les rejoignit sans dire un mot en enjambant le garde inanimé. La porte franchie, il ne leur restait plus qu'à savoir où avait lieu cette fameuse réunion à l'intérieur de cette immense bâtisse.