Chapitre 166 : Sauvetage ou abandon

150 40 8
                                    

 Outre l'épuisement manifeste du jeune ange, Syara sentait son affolement, ce qui n'était pas étonnant vu ce qu'il venait d'annoncer. Il y avait aussi, paradoxalement, un certain soulagement dans son regard, sans doute dû au fait d'être enfin arrivé et d'avoir retrouvé son frère.

Avant de le laisser expliquer quoi que ce soit, le groupe lui demanda de se poser pour reprendre son souffle tandis que Phi était redescendue dans la grotte pour aller lui chercher de l'eau. Même en volant, les terres du baron et celles du déchu n'étaient pas la porte à côté. S'il était parti dans la précipitation, sans aucuns vivres et qu'il ne s'était pas reposé en chemin, Firène devait être au bord de l'évanouissement.

Lorsque Phi lui tendit l'outre d'eau, le jeune ange accepta avec gratitude et la vida tout autant pour boire que pour se rafraîchir en s'aspergeant le visage. Même si ce qu'il avait annoncé en arrivant était des plus inquiétants, personne ne le pressa, même son frère qui était pourtant le plus concerné de tous par cette nouvelle.

— Vous allez le sauver, hein ? Implora-t-il.

— Commence d'abord par nous dire ce qui s'est passé, lui demanda Elirielle d'une voix qui se voulait apaisante.

— Il y a trois jours, l'homme qui avait demandé à papa d'envoyer ses troupes est revenu avec une centaine de soldats. Il a alors accusé notre famille de haute trahison. Il a dit détenir avec lui les ordres directs du roi pour que nous soyons emmenés à la capitale pour y être exécutés. Papa m'a dit de vous retrouver et m'a confié aux servants du manoir qui m'ont aidé à m'échapper pendant que lui gagnait du temps.

Trois jours, si l'on prenait en compte sa maîtrise du vol, cela devait à peu près correspondre au temps de trajet entre le manoir et cette île. Il n'avait donc pris aucune pause dans sa fuite ou bien les avait réduites au strict nécessaire. À présent que son message avait été délivré, toute la pression était retombée et Firène avait fondu en larmes dans les bras de son frère.

— Votre père nous avait pourtant affirmé qu'il avait de nombreux alliés et que le roi ne tenterai jamais une chose pareille de peur de se retrouver avec une rébellion sur les bras, réfléchit Orélius. Quelle preuve peut-il avoir contre lui pour agir ainsi sans risquer les protestations de l'autre camp ?

— Je n'en sais rien, comme je l'ai dit, papa m'a écarté dès qu'il a su qu'ils venaient nous chercher, se désola l'enfant. À l'heure qu'il est, il doit déjà être dans la prison du palais royal. Je vous en prie, il faut aller le sauver !

— Bien sûr qu'on va aller le sauver, s'avança Syara.

— Il n'en est pas question, c'est trop risqué, contredit Fos. Tu as beau avoir fait des progrès, tu n'es pas prête à affronter le roi.

— Nous n'étions pas spécialement prêtes lorsque nous avons dû affronter notre mère et pourtant nous avons réussi, commenta Elyazra avec un haussement d'épaule.

— Je vous l'ai déjà dit, Anela était forte dans la manipulation et la dissimulation. N'importe quel mage un tant soit peu expérimenté aurait pu la vaincre. Là nous parlons du roi dont la puissance est absolument démesurée, qui plus est dans la capitale, entouré de ses partisans. Vous n'aurez même pas le temps de monter sur l'échafaud que vous serez arrêtées.

— Mais on ne peut pas laisser faire ça ! C'est notre allié, il nous a fait confiance et nous a aidé alors qu'il ne nous connaissait même pas... C'est ton ami ! Insista la violoniste.

— Quand bien même, l'enjeu est bien trop important. Nous précipiter à son secours pourrait condamner notre monde et coûter la vie à de nombreux innocents, d'un côté comme de l'autre. Nous pouvons aussi supposer que c'est un piège. Nous jeter dedans serait de l'inconscience.

— Ça tombe bien, c'est mon deuxième prénom ! S'exclama la demie-dragonne. Bon, on part quand ?

— On ne part pas !

— Elirielle, s'il te plaît, aide-moi à le convaincre, implora Syara.

Malgré ses supplications, la dragonne restait silencieuse et arborait un visage fermé. Comment pouvait-elle n'avoir aucune réaction dans cette situation ? Comment pouvait-elle être aussi ingrate alors qu'il les avait accueillis, avait aidé à perfectionner leur illusion et qu'il avait même laissé son fils les guider jusqu'à Fos ? De la colère commençait à monter chez la beast qui ne comprenait pas qu'ils choisissent de rester passifs.

— Très bien, dans ce cas, nous irons sans vous, décida la violoniste.

— Syara, s'il te plaît, prends le temps de réfléchir, tenta de la raisonner Elirielle.

— Me raisonner ? La vie de leur père est en danger et nous sommes les seuls à pouvoir agir !

— Fos a raison, nous ne savons pas pourquoi il a été arrêté, continua la dragonne. Le roi sait sans aucun doute que nous sommes dans son monde et il cherche à nous attirer.

— Élane, tu saurais nous guider jusqu'au palais royal d'ici ? Demanda-t-elle en ignorant ce qui venait de lui être dit.

— Vous allez vraiment vous jeter dans la gueule du loup ? Comme ça, sans réfléchir ? S'étonna Fos.

— D'après ce qu'on m'a dit de toi, tu étais à peu près pareil quand tu avais le violon, rétorqua la beast.

— Mais moi je maîtrisais cet instrument sur le bout des doigts contrairement à toi. C'est quoi cette manie de foncer tête baissée sans prendre un instant pour ne serait-ce que réfléchir ?

— Eh ! Tu parles à celle qui s'est jetée du haut d'un rempart dans une mer déchaînée parce qu'elle trouvait qu'il y avait quelque chose d'étrange qui venait de l'océan, commenta Elyazra. Tu crois vraiment que c'est le tempérament de quelqu'un qui prend le temps pour des préparatifs poussés ? Nous, on agit et on réfléchi ensuite ! Et si on peut se passer de la phase de réflexion, c'est encore mieux ! On ira le sauver, avec ou sans vous.

Profondément agacé, Fos poussa un long soupir et se pinça l'arête du nez. Les deux sœurs exaspérantes ne lui laissaient finalement pas le choix. Il n'avait aucun moyen de les retenir et tous ses plans pour mettre fin à la tyrannie du roi impliquaient le violon de cristal et donc la coopération de Syara.

— Bon, d'accord. Pour avoir joué les espions de nombreuses fois, je connais très bien le palais. Je vais l'aider à s'évader, mais pendant ce temps-là, vous, vous restez ici et vous continuez à vous entraîner.

— On vient, refusa Syara.

— Vous restez.

— On vient, insista-t-elle.

— Je serai plus discret et j'aurai plus de chance de réussir seul, vous restez !

— Pour que tu disparaisses pendant plusieurs jours pour revenir nous annoncer que tu n'as rien pu faire alors que tu n'as en réalité rien fait ? Pas question. On vient !

— Vous ne m'accordez donc aucune confiance ?!

— Il y a encore quelques jours, on croyait que tu étais claqué depuis plus de mille ans ! Évidemment qu'on ne peut pas te faire confiance quand tu nous demandes de rester en arrière alors que tu es aussi réticent à monter une opération de sauvetage !

— Elle n'a pas tort, grimaça Elirielle.

— Mais merde ! Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi !

— Et puis, Shay nous a beaucoup parlé de toi... Ça n'aide pas vraiment de ce côté là, grimaça la demie-dragonne. Bref, on vient, c'est non négociable. Ça me ferai trop de mal que ma sœur se retrouve privée de son futur beau-père.

Bien que la dernière phrase ne soit pas nécessaire aux yeux de la violoniste, elle ne pouvait s'énerver contre sa sœur à cet instant vu qu'elle abondait dans son sens. Pendant toute la discussion, Élane était resté silencieux et s'occupait de consoler son frère qui avait vécu un véritable traumatisme. En bonne soigneuse, Phi ne s'était pas non plus mêlée de cette dispute et se concentrait sur Firène pour s'assurer qu'il n'était pas blessé. Enfin, Orélius aussi n'avait pas dit grand-chose, mais il se tenait tout de même derrière les deux sœurs pour montrer son soutien.

— Vous faites vraiment chier, lâcha le déchu.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant