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Isaiah

Après le discours humiliant d'hier, je me suis retirée dans mes appartements, laissant les lourdes portes de ma chambre se refermer derrière moi avec un bruit sourd. La nuit a été longue et sans sommeil, peuplée de cauchemars où je revivais chaque mot, chaque regard de mépris de la foule. Ce matin, Azul est venu me chercher, m'emmenant dans les jardins impériaux pour tenter de me changer les idées.

Les jardins impériaux sont un havre de paix, avec leurs allées bordées de roses et leurs fontaines chantantes. Pourtant, aujourd'hui, je ne ressens aucune sérénité en moi. Le soleil brille haut dans le ciel, mais il ne parvient pas à réchauffer le froid glacial qui enveloppe mon cœur. Nous jouons aux échecs, assis en silence. Les gardes se tiennent à quelques mètres de nous, observant chaque mouvement.

N'ayant pas décroché un mot depuis le discours d'hier, je suis maintenant habitée par une rage sourde. De m'être soumise à ce point. D'être désarmée ainsi. Ce n'est pas qui je suis. Et je ne compte pas le rester longtemps.

Azul, qui respecte mon mutisme, avance son pion. La tête posée sur sa main, accoudée à la table. Je réfléchis au prochain coup à mener et avance un pion.

- Comme la rébellion n'est plus, Harukis doit trouver un nouveau moyen de détrôner mon père. Dis-je soudainement.

Azul relève le regard vers moi, surpris que je parle enfin. Je ne le regarde pas, ne lâchant pas le jeu des yeux.

- Exactement. Mais je ne sais pas encore comment il compte s'y prendre. Répond-il en avançant son pion.

J'acquiesce et réfléchis un instant.

- Et qu'était-il prévu pour moi ? Je demande en avançant ma tour, prenant son pion.
- C'est à dire ?
- Mon père mort, ça aurait été à moi de prendre sa place. Dis-je.

Car oui, c'est comme ça que ça marche. Qu'Harukis le veuille ou non.

- Isaiah... Azul se redresse en me regardant.
- C'est à toi de jouer.

Il soupire et joue.

- Si tu avais pris sa place, un mariage arrangé aurait été organisé avec Harukis. Cède-t-il finalement.

Je relève les yeux vers lui, surprise.

- Mais ils partaient du principe que tu serais bien trop anéantie pour prendre les rênes d'un pays qui ne te connaissait même pas. Ajoute-t-il.

Je baisse à nouveau le regard et joue.
Merde, il va prendre mon cavalier.

- Suis-je devenue à ce point docile ?
- Non. Tu es une femme forte, Isaiah. Et personne ne pourra le changer. Répond-il en jouant, prenant mon cavalier.
- Et pourtant, regarde-moi aujourd'hui. Je joue.

Il ne joue pas, alors je lève les yeux vers lui. Il affiche une expression sérieuse, et presque énervée.

- Tu es rongée par le chagrin d'un amour et d'une cause perdue. Tu ne resteras pas ainsi éternellement. Je te connais comme si tu étais ma propre fille. Il y a quelque chose en toi qui ne s'éteindra jamais. Et pour t'en rendre compte, il va falloir que tu comprennes que tu ne peux pas sauver tout le monde.

Je fronce les sourcils, refusant ses mots. Si, je devrais être capable de sauver tout le monde. J'aurais dû en être capable.

- Ne me regarde pas comme ça.
- Où est donc passé ton soutien, Azul ? Le pouvoir te monte-t-il aussi à la tête ?

C'est à son tour de froncer les sourcils.

- Bien sûr que non. Mon soutien est toujours là. Et c'est pour ça que je te dis ça. Il joue. Être une princesse n'est pas tâche facile, et une impératrice encore plus. Ça implique des sacrifices personnels. Et tu dois l'accepter.
- Tu les appelles des sacrifices maintenant ? Dis-je gravement, vexée. Je pensais qu'ils étaient comme des enfants pour toi.
- Ils l'étaient. C'est moi qui ai pris soin d'eux, je leur ai tout appris. Je les ai poussé à croire en leur conviction et se battre pour leur valeurs. Regarde où ça les a menés. Et leur mort est un chagrin que je ne comblerai jamais. Et je ne veux pas répéter la même erreur avec toi. Dit-il gravement à son tour en me regardant.
- Alors pourquoi tu passes aussi vite à autre chose ? Nous devons nous battre pour eux. En leur mémoire et ce qu'ils ont essayé de faire. J'hausse le ton, frustrée.
- Faire quoi ? La guerre à quelqu'un de manipulé ?
- Nous l'étions tous.
- Exactement. Et c'est pour ça que nous ne pouvons nous permettre d'entrer dans leur jeu.

Je soupire, détournant le regard. Le jardin est beau aujourd'hui. Le soleil tape plus qu'à l'accoutumée sur le parasol, et j'ai chaud.

- Alors que proposes-tu ? Je demande avant de jouer et de prendre son fou.
- Attendre. Dit-il en reposant son regard sur le jeu.
- Attendre ? Quoi ? Leur nouveau plan ? Non. Nous devons frapper avant eux. Je rétorque.

Il avance sa reine sans répondre. Je soupire de frustration et joue, la haine prenant le dessus. Je n'ai qu'une envie, gagner. Il joue à nouveau, et je fais tout pour prendre son roi. Mais il esquive à chaque fois.

- Échec et mat. Dit-il en se redressant.

J'observe son cavalier prêt à prendre mon roi. La frustration s'empare de moi.

- Tu t'es précipitée sur moi et j'étais prêt à gagner avant que tu ne le remarques. Dit-il doucement en me regardant alors que je garde le visage baissé vers le jeu. Et c'est pareil ici. Foncer tête baissée est dangereux. Et je ne te laisserai pas te mettre en danger. Et mettre d'autres personnes en danger. C'est pourquoi je te demande d'attendre.

Je ne réponds rien, sachant pertinemment qu'il a raison. Il a toujours raison.

- Dans un premier temps, j'ai besoin que tu fasses la paix avec toi-même. Les blessures qui saignent encore. Nous avons tous besoin que tu ailles bien. Et tu ne peux pas te laisser sombrer ainsi, ils ne l'accepteraient pas. Dit-il doucement.

Je relève le regard vers lui, les larmes aux bords de mes yeux.

- Ça ne serait pas leur rendre service. Et tu t'abaisserais au niveau d'Harukis et des autres. La violence et la haine ne résoudront rien. Qu'est-ce que je te dis tout le temps ?

Je réfléchis un instant, ses mots me frappant violemment. Mais je vois très bien où il veut en venir.

- La sagesse est un savoir profond qui fait renaître quand il ne reste plus rien à espérer et qu'il faut accepter la vie telle qu'elle est. Je dis doucement.

Il me sourit doucement, acquiesçant d'un signe de tête. Une larme roule sur ma joue.

Khamsin. J.Jk . TERMINÉE.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant