Le regard perdu dans le feuillage épais et florissant des arbres, Edouard fixait tristement le parc du palais. Tout autour de lui, des domestiques s'activaient pour ranger la vaste pièce marbrée. Depuis la fin du repas, le prince n'avait pas bougé de la salle de réception. Son père lui en avait donné l'ordre, l'interdisant formellement de quitter les lieux. Sans doutes craignait-il qu'il commette une erreur. Peut-être avait-il raison... Le jeune homme n'en savait rien. Alors, docilement, il était resté planté là, le nez collé au carreau, les bras ballants. Que pouvait-il faire d'autre de toute façon ? N'était-il pas un prince inutile et incompétent ?
La reine et sa fille s'étaient quant à elles empressées de rejoindre leurs appartements dès que la fin du repas eut sonnée. Elles s'étaient promptement excusées, après avoir élégamment replissé leurs robes de satin, puis s'étaient éclipsées, sans un bruit, ni une vague. Suivant leur exemple, le roi les avait suivies, non sans avoir au préalable longuement sermonné son fils.
Durant toute la durée du repas, la reine n'avait cessé de vanter les qualités de sa fille, si douce belle et intelligente, tandis que le monarque n'avait fait que louer les mérites de son royaume qui devait, sans aucuns doutes, être le plus beau et le plus riche de tous. Le prince détestait ce genre de réception. Il haïssait ces fausses politesses, ces compliments déguisées, ces allusions douteuses. Toute cette mise en scène et ce trop-plein de superficialité lui donnait la nausée. Il se serait d'ailleurs empressé de fuir si son père ne l'avait pas incendié de regards mauvais. Cela n'avait pas raté. A chaque fois qu'il avait essayé d'ouvrir la bouche, ne serait-ce que pour prononcer un son ou dire un mot, le souverain l'avait fusillé du regard. Alors il s'était tu, tout comme la princesse d'ailleurs, se contentant d'engloutir la quantité astronomique de plats qu'on lui présentait. Bien sagement.
Face à lui, perché sur une branche noueuse, un oiseau gazouillait joyeusement. De splendides plumes bleues ornaient son petit corps fragile, se teintant de somptueux reflets métalliques sous les rayons du soleil. Sa gorge était recouverte d'un fin duvet roux, légèrement moucheté de noir, qui remontait jusqu'à son bec. Le prince était hypnotisé par cette beauté sans artifice, fasciné par ce chant innocent, envouté par ce regard naïf. Il ne pouvait détacher ses yeux de la créature. Il voulait l'appeler, partir avec lui. Il aurait aimé pouvoir, lui aussi, chanter à tue-tête, perché en haut d'un arbre majestueux. S'enfuir, quitter ses murs froids qui l'oppressaient. Fuir son père. Mais il ne pouvait pas. Non. S'il fuyait, jamais il ne serait aimé. S'il s'en allait, qui accomplirait à sa place sa lourde tâche, ce devoir si pesant. Il ne pouvait pas fuir. Pas avant d'avoir reçu ce qu'il espérait désespérément depuis maintenant dix-huit ans. Un jour, il en était sûr. Un jour il verrait ce regard briller pour lui. Cette lueur de bonheur étinceler. Oui, il en était sûr. Mais il ne pouvait qu'attendre. Attendre sagement, docilement. Et espérer.
La lourde porte de bois claqua violement, faisant trembler les murs du château et sursauter le jeune homme. Effrayé, l'oiseau s'envola, laissant le prince seul devant sa fenêtre face à sa frayeur. Des pas agacés claquèrent brutalement sur le carrelage froid. Edouard se retourna aussitôt. Les joues rouges et les sourcils froncés, son père s'approchait de lui. Il avait le regard chargé de colère. Ses yeux lançaient des éclairs, pétrifiants le garçon sur place.
- Mais qu'est-ce que tu fiches encore là toi ?! aboya-t-il à son encontre en franchissant les derniers mètres qui les séparaient.
Edouard, tout aussi surpris que désemparé, fixa son père d'un regard craintif.
- Je... euh... bafouilla-t-il vainement, mais c'est vous qui m'avez demandé de...
- Tais-toi ! s'énerva le père en le coupant, je ne veux pas de tes explications ! Tu n'as pas d'excuses ! Ta seule mission et de plaire à cette princesse ! Lui être agréable ! Ce n'est pas trop te demander ?! Il faut bien que ta belle gueule serve à quelques chose !
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Un prince presque charmant
RomanceÉdouard est le prince du royaume de Troye. Un prince tout ce qu'il y a de plus banal. Beau, riche, pourri gâté... bref, banal. Enfin, a quelques détails près... car son père le déteste et son royaume court à sa perte. Mais tout va bien. Oui tout va...