Chapitre 27 : Projets

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Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Il avait chaud. Ses mains tremblaient. Une goutte de sueur amer se faufila entre ses omoplates. Le jeune prince n'y prêta pas attention. Comme il ne remarqua pas l'effervescence qui animait au loin les charretiers du palais. Son regard ne se perdit pas dans la courbe délicate des pétales ni même ne s'émerveilla des lueurs ocres du soir. Non. Rien de tout cela ne vint le perturber. Son esprit était déjà bien trop occupé. Occupé à ruminer une colère sourde. Occupé à tâcher de comprendre un geste qu'il n'expliquait pas. Occupé à contrôler un flot terrible d'émotions qui se déversaient inlassablement dans son corps. Il avait chaud.

Usant à toute allure la semelle de ses bottes sur les graviers du parc, Edouard plaqua ses mains sur son visage, torturant du bout des doigts ses boucles sauvages. Un grognement étouffé s'échappa de sa gorge. Il se souvenait de tout. Du moindre détail. Le regard d'Adrien. La courbe de son corps. Les battements de son cœur. Le touché soyeux de sa peau. Nouveau râle. Il enfouit un peu plus son visage dans le creux de ses paumes. Pourquoi avait-il fait cela ? Pourquoi l'avait-il touché ainsi ? Pourquoi s'était-il figé ? Et diable, pourquoi cela lui avait-il plu ?! Il ne se l'expliquait pas. Ce tourbillon de sensations. Si frais. Si nouveau. Jamais jusqu'alors il n'avait ressenti de telles choses. Jamais son cœur ne l'avait fait autant souffrir. Il avait mal. Il avait peur. Mais cette douleur-là surpassait toutes les autres. Pire. Irrationnelle. Dans un mouvement rageur, il écarta violemment ses mains de son visage, griffant ses tempes, laissant échapper un cri désespéré.

Mais qu'avait-il fait ?

Ses pas arrêtèrent leur course. Les bras ballants, planté au milieu de l'allée, Edouard fixait le sol en silence. Son visage s'était crispé dans une grimace pitoyable. Il inspira longuement. Un sanglot tari lui étriquait les lèvres. Tremblant, il expira l'air consommé. Les muscles tendus de son corps s'apaisèrent. La douleur sembla se taire, laissant place à une tristesse humide et pesante. Il ferma les yeux.

Une brise tiède vint doucement caresser son visage, essuyant au passage des larmes qui n'avaient pas coulé. Il se délecta un instant de cette sensation, tentant vainement de faire abstraction de la tension qui saisissait une fois de plus ses muscles. Les soulèvements excités de son torse avaient cessé. Il n'y avait plus que ce vent. Les odeurs rassurantes du soir. Un vide. Et ce poids terrible de culpabilité dans les veines. Un éclat de voix d'homme tonna au loin. Edouard ouvrit les yeux.

Perdu, les sens aux aguets et le cerveau en ébullition, il avait tourné pendant une heure dans les bois tortueux de cette sombre forêt. Allant, hésitant, se perdant. Il n'était plus parvenu à retrouver ses pas. Ses jambes se tordaient, s'emmêlaient, s'égaraient. Son corps et son esprit, déphasés de la réalité, comme noyés dans une mer de boue, divaguaient dans l'espace. La confusion et la honte hantaient chacun de ses pas. Le tumulte orageux de ses pensées n'avait cessé un seul instant. Épuisé, perdu, au bord de désespoir, il avait finalement échoué contre la surface rugueuse d'un mur. Une muraille. Envahie par le lierre. Sa muraille. Il en aurait pleuré.

Secouant la tête pour faire fuir ce flot de pensées douloureuses, Edouard releva son visage vers le palais illuminé. L'éclat discret des chandelles vint perler dans le creux de ses pupilles. Clignant brièvement des paupières, il reprit sa course. Quelques enjambées plus tard, ses bottes gravissaient les marches du grand escalier. Les domestiques, affublés de plats et de plateaux en tout genre, le dévisagèrent avec stupeur. Le prince de Troye, les habits froissés, tâchés de boue, la peau plus pâle encore que la mort. Une gouvernante voulu s'enquérir de son état mais le jeune noble l'ignora superbement. L'allure rapide et le pas droit, il s'engouffra dans le corridor. L'aile droite. Son aile. Son refuge. Refuge froid, glacial, sans vie. Un refuge qui lui convenait parfaitement. Que pourrait-il mériter d'autre ?

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant