Chapitre 43 : Le retour d'un roi

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Avait-on déjà vu un oiseau aussi beau chanter sur une branche ? Un oiseau au plumage brun tacheté de blanc. Un oiseau au chant plus divin qu'un souffle de dieu. Diable que c'était beau un oiseau qui chantait sur une branche. Sûrement l'un des plus beaux spectacles que le miracle de la nature ait donné à contempler.

Il était là, sur sa petite branche, illuminé par un rayon de soleil radieux. Il était là, mais il n'était pas seul. Non. Car avec lui chantaient tout une myriade d'autres oiseaux, aux plumages et aux soupirs plus merveilleux encore. Arcs de cercle dans un ciel dénué d'ombre et de nuage. Beauté d'un jour qui s'apprêtait à décroître. Bien droits sur leurs troncs, les arbres se paraient de leur plus beaux ramages. Des fleurs s'épanouissaient dans l'immensité de l'univers. Éveil de la nature, explosion d'une liberté nouvelle. Un parfum particulier flottait dans les airs. Un parfum aux relents sucrés, saveur fraiche et étourdissante de bonheur. Oh oui, que c'était beau un oiseau qui chantait sur une branche.

Perché sur son estrade, les membres parés de tissus tous plus lourds les uns que les autres, Édouard contemplait avec une fascination sortie de toutes convenances le spectacle inouï de cette nature et le chant élégant d'un minuscule moineau. Ses yeux s'étaient perdus dans une nuée de songes. Des songes si doux, si beaux, si agréables. Des songes aux senteurs de foin et de bois. La caresse d'un ange. Oui, il rêvait. Il aurait pu être partout, nulle part, que lui importait l'endroit. Son esprit s'était déjà enfui, envolé vers des cieux plus sublimes qu'un paradis. La danse des branches dans le vent, le miroitement de l'eau sous le soleil, mille et un délices qui transportaient son âme dans des contrées nouvelles. Un autre monde. Un monde où il n'était plus prince. Un monde où il n'était plus question de mariage, de royaume, de guerre. Un monde où il n'était plus question de rien, si ce n'était du bonheur et de...

-    Pour l'amour du ciel, altesse, concentrez-vous un peu ! Faites un effort je vous en prie, ou nous n'aurons jamais terminé avant ce soir ! Vous vous devez d'être présentable pour le retour de madame la reine !

Édouard tressaillit, abandonnant un instant la douceur enivrante de ses rêves. À ses pieds, le front barrés de rides inquiètes et le bras striés par une armée d'aiguilles et de tissus, Monsieur Jeadan, tailleur attitré de la cour royale, le suppliait de son regard sévère. D'un mouvement de bras sec, il réarrangea le pli du pantalon. Un bougonnement agacé s'échappait sourdement de ses lèvres. Empoté. Le jeune prince redressa la tête, haussant les épaules. Si ce malheureux bougre pouvait ne serait-ce qu'imaginer à quel point son seigneur se contrefichait parfaitement du retour de la reine. La guerre aurait bien pu éclater là tout de suite que son bonheur n'en n'aurait pas été impacté le moins du monde. Car oui, il était heureux. Un soleil nouveau s'était révélé à ses yeux. Un soleil au doux regard bleu.

Depuis l'altercation de la veille, depuis ce baiser au goût sucré, le jeune héritier marchait sur des nuages. De tous petits et mais délicieux nuages. Il flottait, dans un bulle de félicité inavouable. Un bonheur indescriptible, un bonheur qu'il n'avait jamais connu mais qui aurait pu par sa simple force déplacer une horde de montagnes. Son monde était devenu cette mer fascinante. Il avançait aux grés des flots, se laissant bercer par les caresses du vent. Il n'y avait plus rien, seulement des couleurs, des parfums, les battements d'un cœur, la folie d'un chant. Il n'y avait plus que cette sensation tiède et douce sur ses lèvres. Ce frisson grisant de bonheur. Adrien.

Jeadan se redressa face à lui. Son regard d'acier se planta sur sa figure, avant de descendre sur son buste. D'un geste brusque et agacé, il vient repositionner le col de sa veste. Édouard accusa le coup. L'homme semblait perdre patience. Que voulait-il que le pauvre prince fasse de plus ? Il n'était présentement qu'une poupée entre les mains fébriles de cet homme. D'un claquement de doigt, une des couturières qui occupaient les lieux se précipita auprès de l'illustre personnage. Un replis, un réajustement, un ourlet. Quelque chose, il fallait faire quelque chose. Le tailleur le scruta d'avantage. Ses traits jusqu'à présent curieusement sévères se détendirent.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant