Une mine à scandales. Adrien avait eu clin d'œil espiègle, agrémenté d'un léger sourire, en prononçant ces mots. Une mine. Édouard avait tenté de lui expliquer ce qu'il avait en tête. De sa voix mal-assurée, il avait tracé dans les airs cette ébauche de plan maladroit et incertain qui trottait dans son esprit. Forme de pantin désarticulé, poupée aux membres tordus. Un croquis claudiquant difficilement forgé à partir de toutes les mauvaises idées que l'homme avait en tête. Le garçon avait trouvé le plan génial. Ou presque. Il n'avait rien dit en vérité, se contentant de hocher la tête d'un air songeur. Puis il y avait eu ce sourire. Cet éclat de malice. Ce clin d'œil inquiétant. Abandonnant un Célestin ennuyé à l'enfer de sa ferme, les visages grimés de manière grossière tout autant que ridicule, les deux hommes avaient fuis vers d'autres cieux. Non. Vers d'autres mines.
Une mine à scandales. Ces mots se répétaient dans son esprit tandis que son regard balayait l'espace encombré. Une mine à poussière plutôt. Capharnaüm emplit de livres aux pages moises, d'étagères vacillantes et de bureaux envahis de paperasse. Un bien beau bazar dans lequel le prince déchu qu'il était ne décelait pas le moindre petit scandale à se glisser sous la dent. Rien. Pas même l'ombre d'une honte passagère derrière laquelle se cacher. Adrien lui avait fait miroiter un mirage. Il soupira.
Avachi derrière son comptoir, ses petits yeux gris scrutant avec un intérêt las ses deux visiteurs derrière la broussaille de ses sourcils, Randalf ne disait mot. Il se contentait de lâcher quelques soufflements agacés. Des bougonnements camouflés par les éclats d'une toux grasse qui le prenait par instants. Le poids de ses pupilles déstabilisait le pauvre brun. Pressant son pas derrière celui rassurant d'Adrien, il prenait bien soin d'éviter tout contact, de quelque nature soit-il, avec le vieil épouvantail qui lui servait d'hôte. Distraitement, il faisait glisser sa main sur les ouvrages, soulevant la crasse pour y déceler les titres, les noms. Rien. Il ne trouvait rien.
- Comment m'as-tu dis qu'il s'appelait déjà ?
La douce voix du noiraud tira Édouard à sa concentration perturbée. Il papillonna du regard avant de focaliser son attention sur les iris délicieusement bleus du garçon. Instant de flottement. Touche d'allégresse. Il n'en revenait toujours pas d'avoir la chance de pouvoir contempler un instant de plus ce sublime visage. De le voir, lui parler, toucher sa peau, humer son parfum. Tout. C'était un rêve qu'il s'était cru arraché mais qui lui avait été rendu, légèrement éraflé, mais bien plus merveilleux encore. Il avait eu envie de le serrer dans ses bras, l'embrasser à son tour. Mais il n'avait rien osé faire. La honte, la peur, le monde. Tout retenait avec douleur ses élans dévastateurs. Alors il se contentait de le regarder. L'admirer. Juste cela. Et cette chance lui paraissait déjà autrement incroyable.
- D'Aspremont, répondit-il finalement en détachant son regard de son visage. Le duc d'Aspremont.
Adrien hocha la tête, sondant une énième fois le rayonnage encombré qui s'offrait à ses yeux. Ses lèvres se pincèrent en une ligne fine.
- Et l'autre c'est... Julianha, c'est ça ? Plutôt mince comme élément...
Un rayon de soleil se faufila dans l'espace encombré, dessinant une lame de feu sur sa joue. Édouard haussa les épaules, regard captivé par cette danse flamboyante qui s'étalait sur cette peau si pâle.
- C'est bien le problème justement.
Le noiraud eut une moue entendue. Sa main glissant sur le bois de l'armoire, il s'aventura un peu plus profondément dans les entrailles de cette sombre bibliothèque. Sa silhouette se découpait finement dans l'ombre, jouant avec les nuances d'obscurité totale et de radiation soudaine qui ponctuaient la pièce. Le jeune brun le regarda s'éloigner. Il avait le sentiment que le garçon allait se faire engloutir par ces immenses tours de manuscrits qui l'encerclaient toujours un peu plus. Créature fragile et vacillante perdue au milieu de ces démons de la connaissance. Il voulait l'arracher à ce lieu, à ces ombres, l'emporter avec lui dans un endroit où tout ne serait plus que lumière et douceur. Pas d'odeurs inconvenantes, pas de grincements inquiétants, pas de regards lubriques et incommodants. Non. Juste cette lueur, cette étincelle, brise de passion, touche de bonheur. Pas le brouillard inconfortable de ses idées mais la clarté rassurante d'un champ de liberté.
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Un prince presque charmant
RomanceÉdouard est le prince du royaume de Troye. Un prince tout ce qu'il y a de plus banal. Beau, riche, pourri gâté... bref, banal. Enfin, a quelques détails près... car son père le déteste et son royaume court à sa perte. Mais tout va bien. Oui tout va...