La nuit enveloppait la ville de son manteau de ténèbres. Il faisait sombre. Pas une étoile ne brillait dans ce ciel couvert de nuages. La pluie avait cessé de tomber. Seule l'humidité du sol et la moiteur glaciale des murs trahissaient sa grandeur passée. Dans cet univers où le mystère était maitre, une ombre solitaire se découpait sur le pavé. Une ombre au pas discret, rapide et à l'allure étrange. Une ombre qui se mouvait avec difficulté sous les pans d'une lourde cape. L'ombre d'un homme qui avait tout perdu. Fantôme d'un royaume déchu.
Le souffle court, cœur palpitant dans l'enfer de sa poitrine, Édouard avançait avec hâte. Les bâtisses semblaient se dresser comme une seule muraille tout autour de lui. Il étouffait dans cet atmosphère de silence. Le moindre recoin, le plus infime des soupirs lui paraissait suspect. Il ne savait à qui se fier. Il ne savait où aller. Il était libre dans un univers qui l'effrayait. Un univers qui ne voulait pas de lui.
Le jeune homme s'engouffra dans une ruelle, plus étroites, plus sombre mais amplement plus rassurante. Il réajusta le tissu de sa capuche sur son front. La toile de la tunique que lui avait donnée Célia lui démangeait le cou. Coincée dans sa ceinture, la bourse de cuir sciait la peau de ses hanches. Il lâcha une longue expiration. Célia. Son inespérée bienfaitrice avait tant fait pour lui. Elle l'avait tiré des griffes odieuses et étouffantes de la prison. Elle l'avait arraché à ses peines et à ses douleurs pour le laisser respirer au grand air. Dans la poche de son vêtement, une adresse avait été glissée, le nom d'une auberge à une heure d'ici. Là-bas, on saurait lui indiquer une route sûre lui avait-elle dit. Une auberge. Édouard n'avait pas pu s'y résoudre à y aller. Cela était pourtant la solution la plus raisonnable, mais il la redoutait. Ce lieu inconnu, ces gens, cette marche nocturne... Tout. Il n'en n'avait que faire de cette route. Il voulait simplement un peu de calme, une chambre rassurante, et du silence. Par pitié un peu de silence. Pas celui angoissant de cette ville endormie, mais celui apaisant d'un foyer accueillant.
Ses pas le menèrent vers une nouvelle artère. Plus grande. Plus sale également que les précédentes. Une bâtisse se dressait en son centre. Une bâtisse d'où s'échappait un tintamarre affreux. Bâtisse sombre et repoussante qu'Édouard aurait pu la reconnaitre entre mille. Le Cabaret du Tonneau Rouge. Que faisait-il là ? Pourquoi était-il venu jusqu'ici ? Il n'en savait rien. Il avait suivi un stupide instinct. Pas même un instinct, juste le souvenir de ses derniers égarements.
Prudemment, il s'aventura au cœur de cette place vidée de son essence. Le sol était souillé par une boue sale et trempée. Seul ce bourdonnement, insupportable ronronnement de musique, venait perturber le silence de la nuit. Un grondement étouffé qui avait pourtant quelque chose de rassurant. Ultime preuve que les ténèbres n'avaient pas encore tout englouti.
Son regard balaya l'espace. Les souvenirs envahirent son esprit. Il se revoyait, dans cette même rue, sous un soleil déclinant, un Adrien complètement éméché dans les bras. Son cœur se mit à battre plus fort. Adrien. C'était son souvenir qui l'avait guidé jusqu'ici. L'espoir t ascite de l'apercevoir derrière ces murs. Mais il n'était pas ici. Au fond de lui il le savait déjà. Il n'était pas ici. Chez lui sûrement, auprès d'un feu rassurant, entouré par une famille aimante, dans la tiédeur d'un foyer. Bien sûr qu'il n'était pas là.
Il y avait songé, tant de fois l'idée était revenue dans son esprit tandis qu'il déambulait seul dans ces ruelles obscures. Aller le voir, s'assurer de son état, le serrer dans ses bras, s'excuser pour le tort qui lui avait causé. Oui il y avait pensé, il l'avait souhaité très fort même. Mais ces pulsions ridicules devaient être contenues. Rendre visite au noiraud signifiait signer son arrêt de mort, et celui du garçon par la même occasion. Un prix bien trop élevé pour un caprice si pathétique. Non, il ne pouvait pas voir son ange aux yeux bleus. Insignifiante liberté. Finalement, elle avait le même goût que sa solitude.
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Un prince presque charmant
RomantiekÉdouard est le prince du royaume de Troye. Un prince tout ce qu'il y a de plus banal. Beau, riche, pourri gâté... bref, banal. Enfin, a quelques détails près... car son père le déteste et son royaume court à sa perte. Mais tout va bien. Oui tout va...