Chapitre 46 : Perle du passé

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Ploc. Une nouvelle goutte glacée venait de s'écraser sur le sol. Sa substance aqueuse se répandit sur la pierre, s'immisçant dans quelques interstices, avant de rejoindre la flaque sombre du tombeau que formaient déjà ses congénères. Nouveau bruit. Nouvelle chute. Ballet incessant et bruyant qui résonnait comme mille cymbales dans l'enfer silencieux des cachots. Il pleuvait au dehors.

Allongé à même le sol, sa tête reposant sur les phalanges endolories de ses mains, Édouard écoutait cette comptine insupportable. Régulière et envoutante. Seul fragment de vie dans l'obscurité de la nuit. Les flambeaux avaient été éteints. Il ne restait que la flamme vacillante d'une chandelle éclairant la silhouette sombre et endormie d'un garde. Tout autour de lui n'était que ténèbres et solitude. Une allégorie bien misérable de ce qu'avait été sa vie jusqu'à présent. Le prince déchu se retourna sur sa couche de fortune.

De l'autre côté de la pièce, sa carcasse effondrée sur son trône et le menton retombant lourdement contre sa poitrine, Hugues d'Aurhobeau avait sombré dans le monde des songes. Sommeil agité, perturbé par moment par quelques frémissements imprévus. Il n'était plus que l'ombre de ce qu'il avait été. Un vieillard, un corps flétrit par le temps, usé par la peine, achevé par la colère. Misérable produit de ses propres tourments. Édouard l'observait. Il observait cet homme dont il ne savait rien et dont il venait de découvrir le puit immense de son chagrin. Un homme qui l'avait tant fait souffrir. Il le découvrait sous des traits nouveaux. Ce n'était plus son père. Il ne l'avait jamais été. Mais cette tournure prenait un sens désormais bien différent. Il n'était pas son père à la même hauteur que lui n'était pas prince. Il allait mourir en imposteur et personne ne le saurait jamais. Sa vie n'aura été qu'une vaste blague. Une tragédie misérable, à la hauteur de ce que jouent les comédiens de foire. Pitoyable existence.

Énième clapotis. Le jeune homme poussa un long soupir. Finalement cette fin était ce qui pouvait lui arriver de mieux. Cela mettrait définitivement un terme à des années de souffrance injustifiée. Personne ne l'attendait plus nulle part. Personne ne l'avait jamais attendu d'ailleurs. À qui manquerait-il ? Il n'y avait rien pour lui dans ce bas monde. Rien qu'il ne puisse faire ou accomplir. On ne voulait pas de lui et il était incapable de faire quoique ce soit. Mourir lui épargnerait de nouvelles années de solitude impuissante. Que pourrait-il souhaiter de mieux ?

Deux perles bleues vinrent échouer sur ses pupilles. Deux perles qui étincelaient si merveilleusement dans l'obscurité terrible du donjon. Une dague douloureuse perça le cœur du prince. Il plissa les yeux. Adrien. Le garçon si pur au regard azur. Son unique regret. La seule peine qu'il emportera avec lui. Penser au noiraud lui brisait l'âme. Savoir qu'il ne reverra jamais son sourire était le plus terrible des châtiments. Il ne comprenait pas la nature de ses pensées, de ses pulsions. Harry avait parlé d'amour. Il avait du mal à y croire. L'amour. Pouvait-il vraiment y prétendre ? Personne ne l'avait jamais aimé. Lui-même n'avait jamais aimé personne. Éternellement seul et condamné. L'amour. Il mourrait sans l'avoir vraiment connu finalement. Mais si l'amour était vraiment ce garçon au rire envoutant, il était content d'avoir pu y gouter, ne serait-ce qu'un instant. Adrien était en sécurité à présent. Du moins il l'espérait, si son ignoble cousin ne lui avait pas menti. En sécurité. Il pouvait partir en paix.

Claquement de talon. Bourdonnement de voix. Édouard se redressa légèrement. Le roi n'avait pas bronché. Harry ? Non, le rythme des pas était différent. La lueur d'un flambeaux illumina faiblement l'espace. De grandes ombres vinrent danser sur les murs. Le jeune homme plissa les yeux.

-    Quel rustre tout de même, enfermer un roi et un prince dans une telle porcherie...

Une voix venait de résonner dans l'alcôve. Une voix de femme. Douce et grave à la fois. Une voix qui fit frissonner le cœur du prisonnier. Cette voix... Il l'avait déjà entendue quelque part.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant