Chapitre 19 : Un diner

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Les plats sautaient de mains en mains. Des légumes fraichement mijotés, des morceaux de lard grillés, quelques gouttes de crème grasse et onctueuse. Une farandole de plats simples et savoureux qui ravissaient les papilles et odorats de la petite tablée. Dans son assiette, recouverte d'une épaisse tranche de pomme de terre, le prince contemplait la malheureuse carotte qu'il avait épluché. Malgré quelques réprimandes, Adrien avait fini par la faire bouillir dans une marmite pour la lui apporter, tel un trophée, dans un plateau de cuivre. Les remarques pinçantes de la blondinette n'avaient pas tarder à emplir la demeure et le jeune noble s'était sentit rougir de honte. Il faut dire qu'après avoir royalement déchiqueté un paquet de légumes, s'être ouvert la main et avoir honteusement gaspillé leurs réserves de farine dans la conception d'un gâteau raté, Edouard ne savait plus où se mettre. Alors il s'était contenté de s'assoir, piteux, devant sa carotte bouillie et ses morceaux de pomme de terre fumants.

Mais les regards encourageant que lui lançait le noiraud, les paroles douces de sa mère ainsi que les rires de Krista avaient eu vite fait d'envoler ses craintes. On ne lui en voulait pas. Non. Toutes ses missions s'étaient soldées par des échecs désastreux mais on ne lui en voulait pas. On lui souriait au contraire. On l'encourageait à manger, à se détendre. À sourire lui aussi. Oui. On lui demandait de sourire. Ces pauvres gens dont il avait ravagé les maigres provisions s'inquiétaient de son bien-être. Sincèrement. Cela lui semblait irréaliste.

Des odeurs délicieuses emplissaient l'espace. Des parfums d'épices, de café, de crème. Des odeurs hispaniques, chaudes et légères qui venaient bercer le cœur meurtri du futur monarque. Il n'avait jamais mangé d'une telle façon. Du moins, il ne s'en souvenait plus. Cette ambiance chaleureuse, ces rires insouciants, ces sourires candides et naturels. On passait les plats, on se servait, on en redemandait. Une danse harmonieuse bercée par les bruits d'une conversation légère et innocente. Edouard ne se souvenait pas avoir déjà assisté à un pareil spectacle, du moins pas depuis le départ de Madeline. Pas depuis que son père avait entrepris de faire de lui un prince pleutre et solitaire. Pas depuis qu'il s'était renfermé sur lui-même, dans sa prison verre et d'argent.

Mais ces rires, ces sourires, ces paroles avenantes, ces odeurs rassurantes... Tout cela venait peu à peu réchauffer ce cœur figé. L'angoisse qui contractait ses muscles et raidissait son corps commençait doucement à se détendre. La boule qui encombrait sa gorge se diluait lentement sous ces effluves de bonheur simple. Son masque froid et inconfortable se fissurait délicatement face aux sourires sublimes d'Adrien. Il se sentait respirer. Il se sentait vivre.

- Alors là je lui dis « mon p'tit Louis, quand j'te dis que mon panier de fleurs coûte deux sous, c'est deux sous, et non pas un sous et un joli sourire ! »

Enfournant sa cuillère pleine d'un mélange onctueux de crème et de pomme de terre dans sa bouche, Krista lança un regard pétillant à son auditoire. Cela faisait quelques minutes déjà que la fillette s'appliquait à relater sa matinée et ses altercations grivoises du marché à un public suspendu à ses lèvres. Les joues rosies par la chaleur du repas et les pommettes brillantes, la petite blondinette dissimulait fort mal le plaisir qu'elle avait à être le centre de l'attention.

Décroisant ses bras, Maria saisi le plat que lui tendit sa fille puis se servit une louche de pomme de terre.

- Il est vache quand même ce Louis... remarqua-t-elle en reposant le saladier sur la table.

- Mais attends, s'exclama la jeune fille, c'est pas ça le pire !

Adrien eut un soupire fatigué et éloigna de lui sa gamelle en terre cuite.

- Le pire c'est que tu t'es fait plumer... souffla-t-il d'un air las.

- Oui ! s'indigna la fillette en posant un point sur la table.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant