Chapitre 28 : Buveurs de sang

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Les oiseaux dessinaient des arabesques au travers du firmament si bleu qui dominait la terre. L'azur régnait en maitre sur la voute céleste. Le vent avait chassé les derniers nuages. Seules ces ombres gracieuses aux longs corps effilés venaient souiller la perfection coupable du ciel. Les yeux fermés, le cou dressé, son visage cuivré offert aux rayons délicats du soleil, Edouard humait avec un bonheur coupable les senteurs enivrantes des jardins. Derrière ses paupières closes, il distinguait les couleurs chatoyantes des fleurs, la chaleur flamboyante des astres et la douceur rassurante du vent. Les battements de son cœur tonnaient comme une mélodie discrète contre sa poitrine. Un rythme régulier. Une musique apaisante. Oui, là, debout face à la beauté impérieuse de la nature, il se sentait bien. Un sourire vint s'épanouir sur son visage. Il respirait.

- Eh bien mon ami ? Je vous abandonne cinq petites minutes et vous voilà déjà parti dans un autre monde ?

Edouard sursauta. Ouvrant aussitôt les yeux, il se retrouva face à un sourire gourmand, surplombé d'une paire de prunelles malicieuses. Éléonore. Ses longs cheveux bruns avaient été relevés au-dessus de son crâne, révélant le dessin délicat de ses tempes, et la courbe gracieuse de son cou. Abandonnant ses lourdes robes de cérémonies, elle avait revêtu un jupon simple, fluide, qui retombait sur ses chevilles, révélant discrètement une élégante paire de botte cirée. Un veston de tissu violet habillait son buste, soulignant avec majesté la finesse de sa taille. Éléonore oui. Bien plus belle et plus sauvage que d'ordinaire. Un pli fripon ornait l'extrémité timide de son nez. Édouard battit des paupières. Ses lèvres s'entrouvrirent légèrement, laissant place au silence navrant de sa bouche. Étouffant un rire, la jeune femme secoua la tête d'un air amusé, avant de saisir son bras pour le tirer vers elle.

- Trêve de rêverie, déclara-t-elle en lui jetant un regard moqueur. Aujourd'hui, vous m'avez promis une balade !

Et sans laisser plus de temps au jeune prince pour comprendre la teneur de sa phrase, elle l'emmena prestement vers la petite colline qui surplombait le parc. Edouard sorti de sa torpeur. Une balade. Quelle excellente idée il avait eu là. De toutes les activités, de toutes les distractions que proposaient ce château trop vaste et ses occupants, il eut fallu retenir l'équitation. Pas de doutes, il devait être maudit. Une sorcière avait dû se pencher sur son berceau à la naissance, lui réservant les sorts les plus terribles que cette terre puisse détenir. Ah c'était un prince ? Qu'à cela ne tienne, un prince n'était à l'abris de rien ! Ni de la tristesse, ni de l'ennui, ni même de la honte. Il avait menti ? Grand mal lui en prenne. Tout fils de roi qu'il soit, son mensonge, il allait le payer. Et cela au double, voire même au triple qu'il lui avait coûté.

Le rythme de son cœur s'était accéléré dans sa poitrine. Et cela n'était pas dû à la course. Non. Il avait peur. Il avait même terriblement peur. Au cours de sa misérable existence, peu de choses étaient parvenues à lui donner le sourire. Peu de choses avaient réussi à se forger une place dans son cœur. Il n'y avait rien. Du blanc, partout. De la solitude. Et la colère terrible et immense d'un père. Alors non, son âme d'enfant que l'on s'était empressé de broyer à coups de pieds et de cris, n'avait pas réussi à se forger des rêves, des rires ni même des souvenirs. Il déambulait, seul et sans but. Son seul désir étant le bonheur inaccessible de son père.

Il ne croyait pas aux rêves. Il ne savait pas ce qu'était l'amour. On ne lui en avait jamais parlé. Il ne l'avait jamais connu. Ou trop peu. Un temps trop court. Il ne savait pas. Il était si jeune. Ce monde de douceur dont parlaient certains livres, il n'y croyait plus. Foutaises. Mensonges. Rêves déchus. Ce n'étaient que balivernes auxquelles il ne prêtait pas une once d'attention. Mais pourtant. Oui, pourtant son âme avait cillé. Les battements de son cœur s'étaient dotés d'un timbre plus profond. Un souffle nouveau animait son corps. Doux. Intense. Il ne saurait l'expliquer. Il ne saurait mettre des mots sur ce qu'il ressentait, mais il avait l'impression d'être vivant. Réellement vivant. Sa vie avait trouvé un but. Le frisson de ces romans d'aventures, il y avait gouté. Et ce frisson avait la douloureuse apparence d'un garçon aux yeux honteusement bleus.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant