Chapitre 60 : La seconde place

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L'exclamation outrée autant qu'alarmée de Harry résonna dans le silence immense de la salle. Un cri du cœur. Une explosion d'incompréhension effrayée. Accompagnant le geste à la parole, le jeune duc s'était brusquement retourné vers le roi. Sa main broyait toujours celle congestionnée d'Alix, mais ce détail ne semblait plus le préoccuper. Toute son attention était accaparée par cette nouvelle abominable que l'on venait de lui révéler. Par ces quelques mots imprévus qui scellaient à tout jamais son terrible destin. Non. Non. Cela ne pouvait pas être possible. Ses yeux fulminaient dans leurs orbites.

Un temps silencieuse, la foule laissa lentement gronder son murmure. Des remarques étonnées, des paroles curieuses, des sifflements déplacés, des chuchotements inconvenants... Chacun y allait de son opinion, de sa surprise, de sa propre considération. L'annonce du roi, ce fils caché, ce physique si similaire, cet enfant opportun... D'où venait-il ? Pourquoi maintenant ? Qui était sa mère ? Ulrich avait-il la réputation d'être volage et frivole ? Le garçon avait des airs de paysan. Il n'était pas vilain. On devait en parler. Il fallait s'extasier, s'étonner, critiquer. Tout cela. Car bon sang, ce n'était pas une plate nouvelle ! C'était un fils de roi ! Sa présence seule perturbait l'entièreté de l'échiquier politique.

Au milieu de cet insupportable bourdonnement, Édouard étouffait une colère étrange. Une rumeur de rancœur et d'agacement. Les remarques de ces empiffrés de nobles l'irritaient au possible, la figure gênée d'Adrien l'angoissait, ce sourire infâme sur les lèvres du roi l'exaspérait. Mais plus que tout, c'était le regard de Harry qui le préoccupait. Ce regard qu'il avait bien trop souvent eu l'occasion de voir. Cette flamme de colère, cette étincelle de haine et de fureur, une animosité qui ne lui était malheureusement pas étrangère. Et qui était à présent toute tournée vers l'homme de ses pensées.

« Harry, grinça une voix âcre, pouvez-vous nous expliquer cette mascarade ? Ce n'est pas du tout ce que nous avions convenu. »

Le profil épais d'un homme obstruait le champ de vision du domestique fallacieux. Un autre de sa race. Plus grand. À la chevelure longue et noire. Édouard tendit le cou. Il voulait voir. Il voulait comprendre. Qui diable venait donc de parler ?

- Je... balbutia un Harry on ne peut plus perdu qu'énervé.

L'immense domestique se décala. Mouvement de buste vers le trône. Le champ était libre. La foule s'agitait de plus belle. Si la surprise de cette filiation cachée et les exclamations outrées du duc les avaient fait taire, cela avait été de courte durée. Quelque chose se préparait. Là, juste sous leurs yeux. Et ils en avaient tous conscience. Le rire moqueur et hypocrite d'une reine vint percer cet insupportable bourdonnement. Clothilde de Bosquet, pimpante, hilare.

- Eh bien pour un coup de maître...

- Comment osez-vous me faire cela ?!

Harry venait de crier. Il fit un pas vers le roi, sa main tenant toujours prisonnière celle d'une fillette muette de frayeur. La foule recula d'un pas. Ulrich également. Le rire cynique de la souveraine d'Albinos se tu. Le roi fronça les sourcils, comme pour récupérer le peu de contenance perdue. Édouard s'était approché. Adrien était loin. Loin de lui. Et seul. Vulnérable également. Cette idée l'obsédait.

- Vous faire quoi, cher duc ? grinça Ulric en insistant sur la dernière syllabe.

- Nous avions un accord !

- Un accord que j'ai parfaitement respecté. Vous avez la main de ma fille et gouvernez l'une des plus grandes et prospères provinces de mon royaume.

Un étrange murmure parcouru la foule. Une rumeur grondante, gonflante. Des révélations que d'aucuns ignoraient mais que tous répugnaient. Édouard eut un mouvement de tête en direction de cette masse de moutons. Harry, lui, n'avait quitté de yeux ce souverain qui venait de brusquement ravager son espace de jeu.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant