Chapitre 49 : Je veux juste vivre

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Adrien. Un simple nom. Six lettres. Trois syllabes. Un mot prononcé bonnement. Un simple nom et ce fut tout un monde qui s'écroula. Subitement. Là, dans l'intimité sombre d'une chaumière. Là, dans la fraicheur lourde de cette matinée. Face à un homme étranger. Juste là, sous la poitrine, derrière les fissures, au travers les interstices d'un masque fêlé. Oui, là, dans la cavité déchiqueté d'un cœur éreinté. 

La porte s'ouvrit, bouffée d'oxygène salvatrice dans cette prison étouffante. La porte s'ouvrit subitement pour dévoiler devant des pupilles pétrifiées une figure magnifique. Deux diamants bleus, une peau diaphane, des vagues sombres, des traits si fins. Édouard s'était figé sur place. Il la voyait s'approcher de lui, cette douce apparition, comme toute droite sortie d'un rêve. Il la voyait, il décelait ses courbes merveilleuses, cette étincelle humide et inquiète, ces effluves ensorcelantes, ces mouvements graciles. Il ne bougeait plus, respirait à peine. Il croyait mourir. Non, il avait atteint les portes d'un paradis. Ces lèvres, ces pupilles, ce souffle. Tout. Il pensait les avoir perdus, il les avait crus disparus à tout jamais, arrachés à sa personne, enlevés à ses rêves, bannis des desseins de son avenir. Et voilà qu'ils étaient là, juste devant lui. Sa folie, sa douceur, son extase. Il était là, Lui, et son cœur troué aurait pu en crever.

Adrien s'avança dans la pièce. Célestin le regardait avec les sourcils froncés, ses pupilles oscillant entre sa figure fragile et celle pétrifiée du prince. Il regardait le garçon à la tignasse sombre mais ce dernier ne lui jeta pas même un coup d'œil, rien. Il n'avait d'yeux que pour cet homme paralysé face à lui, cet homme figé qui ne semblait même plus en mesure de le voir. Nouveau pas. Nouveau frisson. Il se précipita vers lui pour le prendre dans ses bras. Édouard fut pris d'un hoquet. Son corps s'était brusquement tendu. Statue de pierre glacée dans cette étreinte chaleureuse.

-       Oh bon sang Ed, s'exclama le noiraud en resserrant un peu plus l'emprise de ses bras. J'étais mort d'inquiétude !

Cette voix. Ces vibrations douces et rassurantes. La caresse de leurs notes. La simplicité de leurs arpèges. Tout. Cela lui avait manqué. C'était un miracle qui devenait réalité. Les traits d'un mirage qui se dessinait sous ses yeux. La chaleur d'un corps contre le sien. La chaleur de son corps. C'était la vie qui reprenait ses droits. Édouard fut emporté par un tourbillon de sensations. Ses pieds ne touchaient plus le sol. Son cœur ne battait plus. Son souffle s'était tu. C'était son être tout entier qui était saisi par cette extase pétrifiante.

Adrien se détacha doucement de lui, inquiété par le manque de réaction notoire de la créature qu'il enlaçait. Cherchant son regard, ses pupilles percutèrent violement celles du prince. Un déluge ébranla brusquement l'âme du garçon. Il se figea à son tour, saisit par la détresse de ce vis-à-vis tant chérit. Derrière ces pupilles, dans la profondeur abyssale de ce regard torturé, il lisait la douleur d'une vie, la fatigue du désespoir, la tourmente de l'abandon, le soulagement brutal d'une apparition. Sous l'éclat larmoyant de ces iris délicieux, il goutait les souffrances odieuses qui avaient été celles du prince. Il les revivait et il avait mal à ses côtés. Les prunelles douloureuse d'Édouard se couvrirent d'un voile obscure. Adrien passa sa main sur sa joue. Un silence. Un regard. Une caresse. Échange subtile et muet qui valait toutes les paroles du monde.

Quelques instants. Poignée de secondes. Soupçon de paix dans cette éternité effrayante. Édouard se calma. Le voile s'était éclaircit. L'horizon s'était illuminé de diamants bleus. Adrien retira doucement sa main. Dernier échange. Le garçon se tourna vers Célestin, toujours immobile dans son coin, mine boudeuse. Face au regard meurtrier que lui jetait le noiraud, l'homme se redressa aussitôt, mains en l'air en guise d'innocence.

-       Wowow, se défendit-il tout aussi rapidement. Me regarde pas comme ça, je lui ai rien fait à ton prince moi ! Il allait même on peut plus bien avant que tu ne te pointe !

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant