Chapitre 35 : Dormeur clandestin

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- Mon prince ? Mais... Mais que faites-vous dans cette tenue ?!

Édouard dévisagea le vieux soldat du regard. Sa tenue ? Vraiment ? Il n'y avait donc que cela qui le dérangeait ? Le fait que son futur souverain porte un homme à moitié mort sur son dos ne le chagrinait pas plus que cela ? Il eut un léger soupir. Curieux sens des priorités.

Il faisait à présent presque noir sur le royaume troyen. Le ciel s'assombrissait à vue d'œil, laissant toutefois un pâle halo de lumière clôturer l'extrémité ouest de son immense voute étoilée. Le temps s'était rafraichit. La légère tunique de lin qui servait de vêtement au jeune noble ne suffisait plus à maintenir la chaleur auprès de son corps. Mais cela n'était pas vraiment un problème, Adrien faisait parfaitement l'affaire en terme de couverture.

Le clocher avait sonné. Sept coups. Puissants. Sept coups qui ne présageaient rien de bon pour le prince. Il devait se hâter de rentrer. Se hâter de revêtir ses vêtements impérieux. Se hâter de rejoindre père et fiancée pour l'inévitable et assurément ennuyant diner royal. Le sang du jeune noble n'avait fait qu'un tour. Ou peut-être deux. Voire trois. Mais pas plus. Adrien était complètement dans les vapes. Endormi dans ses bras, il ne semblait pas disposer en lui l'étincelle d'une énergie lui permettant de tenir debout. Édouard ne pouvait pas décemment l'abandonner ici. Il ne se le serait jamais autorisé de toutes manière. Mais il n'avait pas le temps de le reconduire chez lui. L'heure avançait. La colère de son terrible paternel ne faisait que gonfler. Il lui fallait agir, et vite. Sans réfléchir plus que nécessaire, il avait hissé le corps étonnamment léger du garçon sur son dos puis avait détalé au pas de course vers le palais royal. Il ne comptait plus les regards intrigués et amusés que les passants lui lançaient. Pour tout dire il s'en moquait. Une seule chose importait. Éviter les éclairs du suzerain et protéger Adrien.

- Humm... souffla le prince en réajustant l'emprise de ses bras autour des jambes du garçon, disons qu'il n'aurait sans doutes pas été convenable que je me promène sans...

Le visage du garde s'empourpra. Il ouvrit de grands yeux horrifiés, plaquant l'une de ses grosses mains sur le sommet de son heaume cabossé. Ses lèvres bafouillèrent des mots incompréhensibles. Sur le dos du jeune noble, Adrien étouffa un grognement.

- Ce n'est pas ce que je voulais dire, monseigneur, je...

Agrippé à sa lance, le pauvre diable se confondait d'excuses toutes aussi pitoyables qu'agaçantes. Édouard ne savait comment réagir. Devait-il prendre en pitié cet homme qui lui ressemblait tristement, ou bien monter sur ses grands chevaux tel le noble héritier de la couronne qu'il aurait dû être. Le choix ne fut pas long. Il n'avait pas le temps.

- Ne vous fatiguez pas, articula-t-il en interrompant l'interminable tirade de repentances. J'ai simplement souhaité aller me promener en ville. Rien de grave.

Le vieux soldat fronça les sourcils. Ses lèvres se froussèrent sous sa moustache grisonnantes. Allons bon, qu'y avait-il encore ?

- En ville ? répéta l'homme d'un ton perplexe. Mais, monseigneur...

- Vous n'êtes pas sans savoir que je me marie dans une semaine ? le coupa sèchement Édouard d'une voix qui se faisait impatiente.

- Euh... oui mon prince.

- Eh bien ? repris le jeune noble sur un ton plus nerveux encore. N'ai-je point le droit d'acheter quelques présents pour ma future épouse ?

Écarquillement d'yeux, ouverture de bouche. Silence coupable. Le garde palissait à vue d'œil. Adrien n'avait pas bronché. Mais il commençait à se faire lourd. Et le temps qui s'écoulait dangereusement...

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant