Chapitre 17 : Une chanson douce

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Tentant vainement de décoller les morceaux de terre accrochés à ses cheveux, Edouard grimpa quatre à quatre les marches du palais et déboula à toute vitesse dans le grand couloir, marquant une fois de plus la moquette rouge de ses bottes croûteuses. Il déambula quelques instants dans le labyrinthe de corridors qui composaient la demeure royale, avant de s'arrêter devant une gigantesque porte aux moulures dorées. C'était celle menant aux appartements d'Eléonore. Pinçant nerveusement ses lèvres, le jeune noble inspecta une dernière fois sa tenue, époussetant distraitement la toile de sa chemise. Il avait oublié de récupérer sa veste dans les fourrés. Mais cela semblait faire si longtemps qu'il avait quitté la princesse, qu'il ne voulut pas prendre le risque de s'éterniser davantage en retournant galoper dans les jardins. Et puis, il avait eu de la chance cette fois-ci, mais Monsieur Jean risquait d'être rentré aux écuries. Sa couverture aurait été mille fois brisée par une stupide maladresse et il ne voulut pas tenter le sort. L'entrevue avec Adrien avait été trop belle pour finir ainsi saccagée.

            Il se racla maladroitement la gorge, pour se redonner un semblant de courage, puis frappa à la porte. Un silence lui répondit. Il patienta quelques instants, anxieux, puis renouvela l'expérience, mais le résonnement inquiétant de ses coups contre les bois lui fit de nouveau face. Édouard commença à s'inquiéter. Et si la princesse, agacée d'attendre, avait décidé d'abandonner leur leçon de musique. Et si elle était allée se plaindre au roi du mauvais comportement de son fils. Pire encore : et si elle était partie, sans rien dire. Outrée. Un frisson d'angoisse parcouru le corps du jeune homme. Non. Elle ne pouvait pas lui faire cela. Pas elle.

            L'affolement le gagnant, il leva le poing, prêt à tambouriner bruyamment contre la porte, quand un froissement de jupe derrière suspendit son geste. Il tourna la tête et se retrouva face à une petite femme au bonnet bleu et à la robe noire. Elle s'arrêta à quelques mètres du jeune homme, respectant une distance honorable, puis s'inclina, les mains croisées sur ses jupons. Edouard haussa un sourcil.

-    Mon prince, articula maladroitement la nouvelle venue, Mademoiselle Eléonore m'envoie vous quérir car elle s'inquiétait de ne pas vous voir venir.

Edouard considéra quelques instants cette femme qui se tenait tête baissée, perplexe. Comment cela on l'envoyait le chercher ? N'était-il pas justement arrivé à destination ?

-    Où se trouve la princesse ? demanda-t-il d'une voix sourde.

-    Elle vous attend dans le petit salon.

-    Dans le petit salon ? répéta le jeune noble, étonné.

-    Oui, voyez-vous, Mademoiselle a pensé que vous accueillir dans ses appartements pour un morceau de musique serait malvenu, alors elle a fait descendre l'instrument.

Elle aurait fait descendre l'instrument ? Edouard se pinça les lèvres. Bon sang, mais combien de temps avait-il passé dans les jardins pour que la jeune femme eût le temps de déplacer un si lourd instrument jusqu'à l'autre bout du château ? Il secoua la tête pour remettre ses idées en place, puis tourna les talons, suivit par la malheureuse suivante qui se mit à trottiner avec peine derrière lui.








La porte du salon était ouverte, laissant filtrer un filet de lumière teintée de pourpre sur le carrelage blanc du couloir. Arrivé en bas des escaliers, Edouard ralentit l'allure puis entra silencieusement dans la pièce. A l'intérieur, encerclé par une armée de sièges de velours rouge et bleu, un clavecin de bois noir et recouvert de gravures argenté se tenait fièrement. Assise sur un petit banc, le regard perdu dans cet alignement parfait de noir et de blanc, Eléonore appuyait distraitement sur les touches, jouant de son pied sur le sol. Des notes de musique, discrètes et uniformes, montaient silencieusement le long des murs.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant