Chapitre 39 : Rencontre imprévue

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La semelle de ses bottes s'enfonçait dans la terre souple et meuble de la petite colline. Il avait plu durant la nuit, et une douce odeur de bois trempé flottait dans les airs. Édouard la respirait à pleins poumons, savourant avec un plaisir difficilement dissimulable les nuances humides et épicées qui ponctuaient ce délicieux parfum. Le soleil brillant de cette matinée printanière venait doucement réchauffer les couleurs détrempées d'une nature tourmentée. Une caresse chaleureuse et étincelante de lumière qui illuminait de ses rayons les quelques gouttes miraculées. Le ciel était ponctué de nuages. Le prince ferma les yeux. Diable qu'il faisait beau aujourd'hui !

Son corps tout entier semblait occupé par un souffle nouveau. Depuis la veille, depuis qu'il avait pour la première fois après de trop longues années de silence osé lever le son de sa voix, il se sentait devenir un nouvel homme. Sentiment stupide et puéril sûrement, mais pourtant réel. Certes, il n'avait pas refait de coup d'éclat depuis et son père continuait de l'ignorer superbement, mais son regard avait changé. Le regard des autres sur sa personne avait changé. Tout avait changé. Lui le premier. Car il pouvait parler à présent. Il n'était plus une ombre ni un pantin pathétique, il était devenu un prince. Le chemin à parcourir restait long, mais il avait commencé à avancer. Et ce simple détail lui paraissait déjà incroyable.

Un souffle de vent frais et humide vint balayer les quelques mèches qui chatouillaient son front. Un amas de boucles brunes et sauvages qui vinrent rapidement se mêler aux vagues lissées de sa chevelure. Secouant la tête, il rouvrit les yeux. Devant lui, en contrebas de la minuscule colline, se dressait la bâtisse boisée et imposante des écuries. La ligne d'arrivée de sa courte marche, la raison de son réveil si matinal. Son cœur eut un frisson d'excitation angoissée.

Si Édouard se sentait l'âme d'un homme nouveau, il restait encore quelques pathologies dans son existence qu'il ne parvenait à soigner, ni même à nommer. L'une d'entre-elles avait un sublime regard océan. Quoi qu'il puisse subvenir, quel que soit la vague de courage qui l'habitait, son cœur ne pouvait s'empêcher de trembler à la simple mention de son nom. Adrien. Le mystère restait encore trop grand. Adrien. Qu'avait fait cet homme de si particulier pour l'angoisser et la fasciner à ce point ? Il avait envie de le voir. Mais il redoutait leur rencontre. Pourquoi ? Diable d'homme. Ce devait être un magicien. Un sorcier. Il ne savait pas. Il ne parvenait tout simplement pas à le sortir de sa tête. Ni de son corps d'ailleurs.

L'idée avait torturé son esprit durant toute la journée, allant jusqu'à occuper ses rêves et ses cauchemars les plus terribles. Cette envie atroce de le voir. Ce désir de le contempler, de lui narrer ses exploits, son courage. Ce besoin irrépressible de lui raconter ce qu'il était enfin parvenu à accomplir, grâce à lui et son sourire. Le remercier. L'enlacer. Qu'en savait-il encore ? Et puis il y avait cette peur. La crainte de paraître ridicule. L'angoisse d'être brutalement rejeté. Pour quelle raison ? Il ne savait guère. Il n'y avait pas besoin de raison.

Ses pas entamèrent leur descente inéluctable vers l'objet de ses tourments. Son souffle s'était fait plus fort, et ses tremblements plus saccadés. Mais il les contenait. Il les cachait. Rien, non rien n'aurait pu le faire reculer à présent. Ni cette peur étouffante, encore moins ces angoisses insensées. Désormais, il ne voulait plus flancher.

Quelques chevaux gambadaient dans le pré, non loin du grand bâtiment. Édouard fit balayer son regard. Personne parmi les créatures. Personne devant la grande porte. Personne au niveau des abreuvoirs. Il fit le tour. Son esprit se trouva envahi par une crainte soudaine. Et s'il n'était pas là ? Cela lui parut pire que tout. Il pressa le pas.

Des coups. Le bruit de fer que l'on frappe. Les grognements étouffés d'un homme en plein effort. L'odeur de la sueur et du métal encore chaud. Tout proche. Le jeune prince fronça les sourcils, s'aventurant dans la gorge sombre et odorante du bâtiment. Il y avait du monde dans le fond. Deux hommes. Un cheval.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant