Chapitre 7 : une rencontre

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    Allongé sur son lit, les bras en croix, Edouard fixait le plafond d'un œil vide. Sur le sol, filtrant à travers les rideaux, des taches de lumière chaude éclaboussaient généreusement le parquet ciré. Il n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Il ne voulait pas que cette journée atroce ce finisse. Il ne voulait pas qu'une autre, pire encore, ne débute. Non. Il voulait rester là. Ne pas penser. Ne pas réfléchir. Ne rien faire. Se cacher éternellement derrière ces douces et protectrices couvertures de soie.

    Il savait déjà ce qui allait se passer. Il savait déjà parfaitement de quelle manière son père allait à nouveaux le sermonner de sa conduite ô grand dieu inacceptable de la veille. Il entendait déjà les ricanements insupportables de son cousin venir lui irriter l'oreille, les paroles pompeuses de cette reine d'opérette gonfler son orgueil. Tout ce remue-ménage, cet excitement permanent. Il les connaissait déjà. Cette journée, il l'avait déjà vécue. Maintes fois. Elle serait comme les autres... Encore, et encore...

    Il n'en pouvait plus. Il n'en voulait plus. D'ailleurs, il n'en avait jamais voulu. Fuir, ne serait-ce qu'un instant, partir, juste quelques heures. Respirer, être libre... Juste un moment de bonheur, avant de replonger dans cette réalité triste qui le désespérait.

    Le chant joyeux d'un oiseau vint tinter contre son oreille. Un chant pur, innocent. Ce fut comme une décharge. Une révélation. Edouard se redressa aussitôt. Oui, il allait partir. Il allait s'échapper de cette prison dorée. Il jeta un rapide coup d'œil à l'imposante horloge qui trônait dans le coin de la pièce. 6 heure. Il était encore tôt. Il aurait le temps de revenir avant même le royal réveil de son monarque de père. Un frisson d'excitation parcouru son corps. La perspective de cette liberté, même éphémère, l'animait dangereusement. Il bondit de son lit. D'un pas qui se voulait discret, il traversa à la hâte la vaste pièce et se dirigea vers la penderie princière. Son cœur s'était mis à battre plus fort. Il n'avait jamais fait cela auparavant. Fuir, braver les règles. S'habiller seul. Pathétique.

    Doucement, tentant vainement d'éviter de faire grincer la lourde porte de bois, il ouvrit l'imposant habitacle dans lequel avaient été minutieusement empilés et ordonnés une quantité incroyable de vêtements. Son regard parcouru rapidement les morceaux de tissus. Ils étaient tous beaux et superbement brodés. Des pierreries parsemaient ses cols, des décorations envahissaient les poches. Un soupire s'échappa de ses lèvres. Comment autant de richesses et de babioles, toutes plus inutiles les unes que les autres, pouvaient-elles s'accumuler pour une seule personne ? D'un geste agacé, il saisit un pantalon de toile brune et une chemise blanche des plus simple puis, après avoir à la hâte enfilé une paire de bottes usées, il sorti de l'appartement.

    Le palais était encore endormi. Pas un bruit ne raisonnait à travers ses grands couloirs vides et froids. Les grands rideaux avaient pourtant tous déjà été tirés et les rayons du soleil commençaient à réchauffer les grands murs blanc.

    Edouard déambula distraitement le long des immenses corridors du château. Il voulait sortir. Il voulait courir. Maintenant. Mais personne ne devait le voir. Personne. Si jamais son père apprenait ce qu'il avait fait, si jamais il savait qu'il était une nouvelle fois sorti sans son accord... Il ne donnait pas cher de sa peau. Même si c'était une peau de prince... Entre les mains du roi, il n'était plus qu'un idiot stupide de la pire espèce. Après avoir réfléchi quelques instants, le jeune homme fini par se diriger vers les cuisines. Là-bas se trouvait une porte donnant directement sur les jardins. Une porte discrète, à l'abri des regards. Il ne devait pas y avoir grand monde à cette heure-là. Du moins, il l'espérait.

    Le talon de ses bottes claquait sur le carrelage. Edouard grinça des dents. Discrétion ! Il avait traversé la Grande Salle et se trouvait à présent dans les quartiers des domestiques. Des éclats de voix commençaient à lui parvenir aux oreilles. Et mince. Le prince retint une plainte. Il y avait quelqu'un. Ou plutôt, il y avait plusieurs personnes qui bavardaient dans la cuisine. Avec toute la discrétion dont il était capable, le prince s'approcha de la porte et risqua un coup d'œil à l'intérieur. Deux femmes. Tabliers blancs, manches retroussées. Elles pétrissaient une épaisse pâte brune, de la farine dans les cheveux. Des cernes creusaient leurs visages potelés et quelques gouttes de sueurs perlaient sur leurs fronts gras. Elles avaient l'air épuisées. Mais elles riaient quand même, ensembles, d'un rire complice, joyeux. Cela arracha un sourire au jeune noble. Il retira sa tête de l'encadrement et se colla de nouveau contre le mur. Il souffla sur une de ses boucles qui lui retombait sur le nez. Bon c'était bien mignon tout cela mais comment allait-il faire pour sortir à présent ?!

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant