Le coeur battant et le souffle court, Edouard grimpa quatre à quatre les marches du grand escalier. Chacun de ses pas marquait la moquette rouge de son passage par une légère trace de boue. Un véritable petit Poucet. Le premier venu aurait par ailleurs aisément pu retracer son chemin depuis la porte de l'arrière cuisine jusque dans le grand salon tant il y avait de tâches. Mais cela était loin d'inquiéter le jeune prince, qui, entrainé par sa course, déboula à toute allure dans le vaste couloir. A vrai dire une seule chose le préoccupait réellement à cet instant précis. Une unique idée qui se répétait en boucle dans son esprit. Vite. Il devait faire vite. Personne ne devait le voir. Encore moins son père. Sous aucun prétexte.Dehors, le soleil était bien haut dans le ciel. Il faisait beau et clair. Quelques rayons éclatants filtraient à travers les grandes baies vitrées, illuminant de leur chaude lumière les vastes murs de pierre. Cette lumière douce et radieuse réchauffait quelques peu la froideur du lieu. C'était agréable. Pur. Presque chaleureux pour ce château si froid.
Enfin, le jeune homme tourna à l'angle du mur, découvrant le dernier corridor. Mais il s'arrêta soudainement, laissant échapper un juron silencieux. A l'autre bout du couloir, deux femmes en robes noirs, tabliers noués autour de la taille, étaient prostrées devant sa porte. L'une d'entre elle avait les bras chargés d'un lourd plateau.
- Humpf... Râla la plus âgée en posant une main noueuse sur sa hanche, Quel empoté tout de même..! Cela doit être la quatrième fois que je tambourine contre sa porte. Il pourrait au moins daigner me répondre, tout Prince qu'il soit !
La plus jeune, un tissu à carreaux usé retenant sa lourde chevelure brune, hocha fébrilement la tête sans prononcer un mot. Elle se tortilla sur elle-même pour tenter de stabiliser quelque peu le plateau équilibriste qui menaçait de s'effondrer sur le sol. La tasse et la tellière s'entrechoquèrent.
Empoté. Il était un empoté. Un voile de fatigue avait recouvert le visage du jeune prince. Il passa une main épuisée dans ses boucles folles. Si même les femmes de chambre s'y mettaient, il allait finir par s'encastrer dans un mur, il ne voyait pas d'autre solution. Avançant de quelques pas, il se racla bruyamment la gorge pour signaler sa présence. Les deux femmes sursautèrent et se retournèrent aussitôt. En le voyant, la plus vieille ouvrit de grand yeux surpris. Ses joues rougirent et elle se recula honteusement pour le laisser passer, tête baissée. A ses côtés, la plus jeune, bouche entrouverte, s'inclina maladroitement devant lui.
- Monseigneur...
Avec un sourire tout autant gêné que poli, le jeune prince hocha respectueusement la tête. Quel spectacle effarant. Tout n'était que paraitre, sourires de circonstances et bonnes manières. Cela en devenait désespérant. Que ce serait-il passé s'il n'avait pas été prince ? Aurait-il eu droit à ces mêmes douceurs et à ces regards gonflés de manières sur-jouées ? Non. Il n'était pas si stupide. S'il n'avait pas été ce fameux prince, c'est comme un moins que rien qu'il aurait été traité. De la même manière que son père le considérait en somme. Et au lieu de les ruminer dans son dos, cette vieille femme lui aurait craché ses quatre vérités à la figure. Enfin, cela aurait sans doute été pour le mieux au final...
Il étouffa un soupir las et tourna le buste. Mais alors qu'il allait tendre la main vers la lourde porte, la plus âgée se jeta sur la poignée. Edouard eut un mouvement de recul surpris. Encore une de ces mises en scène absurde de domestiques entièrement voués et soumis à leur seigneur ? Il n'en doutait plus. Avec un sourire gauche, elle ouvrit en grand les battants de la chambre puis s'écarta, non sans une révérence appuyée.
- Si vous voulez bien vous donnez la peine... déclara-t-elle d'une voix mal-assurée.
Le prince la considéra quelques instants. Le bras maigre et fripé de la vieille femme tremblait légèrement dans les airs. Quelques mèches de cheveux abimées s'échappaient de son chignon grisonnant. Elle avait l'air faible et fatigué. Des cernes creusaient son regard terne et affable. Le jeune noble détourna le regard. Pourquoi juger ainsi une pauvre femme qui ne faisait que répéter ce qui était gravé dans les moeurs depuis la nuit des temps ? Murmurant un léger « merci », il s'engouffra dans la pièce, suivit de près par les deux femmes.
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Un prince presque charmant
RomanceÉdouard est le prince du royaume de Troye. Un prince tout ce qu'il y a de plus banal. Beau, riche, pourri gâté... bref, banal. Enfin, a quelques détails près... car son père le déteste et son royaume court à sa perte. Mais tout va bien. Oui tout va...