Un prince presque charmant

Chapitre 26 : Empereur des maladresses

L'allure rapide et le pas décidé, Edouard avançait prudemment entre les troncs tortueux. À chaque nouveau mètre franchi, ses bottes s'enfonçaient un peu plus dans la terre humide et souple des bois. Son cœur battait à toute allure dans sa poitrine. Un soupçon d'angoisse qui lui tordait l'esprit. Pourtant, malgré ses craintes, malgré cette peur infatigable qui agrippait ses entrailles, pour rien au monde il n'aurait fait demi-tour. Non. Rien au monde. Il s'était longuement répété la scène, il avait douté, songé, pensé, avait passé une nuit entière à se morfondre d'inquiétude, mais sa décision était prise. La tête droite, ses émeraudes vertes fixées devant lui, il avançait avec une assurance qu'on ne lui connaissait pas. Il avançait, tout simplement.

Le lourd sac qui lui sciait l'épaule se balançait naïvement contre ses hanches. Dans le ciel, le soleil avait entamé son inéluctable chute. C'était le milieu de l'après-midi. Après avoir passé quelques heures complices en compagnie de la princesse, il s'était brièvement changé avant de quitter au plus vite ce palais en effervescence. Si le roi n'arrivait que ce soir, tout se devait d'être parfait pour l'accueillir, lui et sa royale invitée.

Sous le regard médusé des domestiques, le jeune prince s'était extirpé par la porte des cuisines afin de rejoindre les écuries. Perché au sommet de sa ridicule colline, il avait longuement hésité à descendre. Quelques interminables minutes s'étaient ainsi écoulées tandis qu'il fixait silencieusement la baraque de bois. Peut-être était-ce une erreur. Peut-être ne voudrait-il pas le voir. Peut-être que Monsieur Jean était là. Il ne savait pas. Mais le tintement sourd d'un clocher le ramena à la raison. Il n'avait pas une montagne de temps devant lui. Agrippant fermement la hanse de son sac pour se donner un soupçon de courage, il avait dévalé la colline. Adrien n'était pas là. Monsieur Jean était occupé un ferrer une nouvelle bête. Super.

Les rayons du soleil vinrent chatouiller son visage. Sur son crâne, ses mèches brunes se tintèrent de somptueux reflets dorés. Il arrivait. Eclipsant peu à peu les branches sombres des arbres, une clairière d'un vert affolant se matérialisa devant lui. Au centre de cette humble clairière, une chaumière. Le cœur du jeune prince redoubla de vitesse. Un frisson grisant d'excitation et de terreur s'empara de lui. Oui. Il arrivait.

Ses grandes jambes franchirent rapidement les derniers mètres. Le vent qui soufflait sur son visage portait jusqu'au creux de ses oreilles des éclats de voix insouciantes. Il contourna la petite demeure de pierre. Les voix se faisaient plus distinctes.

« ... comme ça ! Énorme ! Et super longue ! Avec des broderies de partout ! J'te jure j'ai cru c'était une princesse tellement elle était belle ! Et pis là, elle s'approche et tout, moi j'me dis elle va chez le bijoutier de derrière, mais non ! Elle arrêtait pas de me fixer avec un sourire, et pis après elle... Aïe ! Purée ! Je me suis coupée.. ! »

Assises sur deux rondins de bois, une bassine de cuivre entre les jambes, Maria et Krista étaient occupées à décortiquer une montagne de haricots verdâtres. Le doigt glissé entre ses lèvres roses, la petite fille trépignait sur place tandis que sa mère, une ride inquiète sur le front, la rabrouait gentiment.

Edouard se planta à l'angle du mur, brusquement mal-à-l'aise de perturber cette complicité familiale. Il était venu, sans songer un seul instant que ces personnes qu'il voulait visiter puissent se trouver affairées à d'autres activités. Des activités qu'il n'aurait jamais pu imaginer. Debout, droit dans ses bottes contre la paroi de pierre, il se senti affreusement encombrant.

Le visage froissé dans une moue plaintive, Krista releva la tête pour libérer plus aisément quelques flots de jurons disgracieux. Ses grands yeux sombres se posèrent presque automatiquement sur la silhouette cachée derrière le mur. Elle poussa un hurlement de bonheur.