Chapitre 30 : Intrigue

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L'esprit baignant dans une mer d'amertume, l'acidité des regrets rongeant douloureusement la plaie béante qui crevait son âme, Edouard avançait à pas lents à travers l'ombre sombre de la sylve. La semelle crantée de ses bottes venait lourdement gratter le sol boueux de la forêt. Il avait mal. Son cœur hurlait à la mort. Ses tripes suppliaient qu'on leur assigne la sentence ultime. Tel un serpent, le chagrin se rependait sournoisement dans sa chair, torturant avec un plaisir cruel les tréfonds meurtris de son être. Sa gorge voulait crier, ses entrailles désespéraient de laisser exploser leur peine. Dans le creux gonflé de ses paupières, des torrents de larmes affligées tentaient illusoirement de libérer leur colère. Mais rien ne vint. Ses lèvres restèrent obstinément closes. Sa cornée rigoureusement sèche. Son visage tristement figé. Tel un fantôme, le pathétique prince de Troye déambulait misérablement dans les bois silencieux. Sans but ni sens. Son esprit malheureux en proie à un tourbillon insatiable de tourments.

La figure sans vie du noiraud hantait ses pensées. Sa peau plus pâle qu'à l'ordinaire. Son regard empli de crainte et de colère. Le sifflement haineux de ses paroles. Cela avait été comme une claque, une bourrasque sèche et violente. Edouard se l'était prise en pleine figure. Il avait encaissé. Encore et encore. Refoulant difficilement les relents découragés qui menaçaient d'assiéger son être. Il avait encaissé oui, sans parvenir à riposter. Adrien ne lui en avait pas donné le temps. Il avait préféré les flots glacials de la rivière aux paroles désespérées du prince. Plutôt mourir que de l'écouter. Edouard vint rageusement mordre sa joue. Encore une fois, il s'était montré pathétique.

Une plainte étouffée gonfla dans sa gorge. Qu'avait-il encore fait ? Ou plutôt, que n'avait-il pas encore fait ? Il aurait pu s'exprimer, il aurait pu s'imposer, hausser la voix, l'empêcher de partir. Il aurait tout simplement pu agir dès le départ, là-bas, dans ces fichues écuries. Mais non, il n'avait rien fait. Silencieux. Passif. Muet. Comme à son habitude, il s'était contenté d'écouter sans rien dire. Écouter sans chercher à répliquer. Et pour finir, comble du désespoir, il avait fui. Magnifique exploit.

Ravalant un sanglot douloureux, le jeune noble s'enfonça un peu plus dans les bois. Les rayons doux du soleil déclinant filtraient chaleureusement à travers les épais branchages, teintant l'écorce sombre des arbres d'une rassurante lumière dorée. Au loin, grignotée par des feuillages verdoyants, l'imposante muraille du palais royal commençait lentement à se dessiner. Un souffle las traversa le corps affligé du prince. Il arrivait.

- Faudra vraiment qu'on me donne le nom de l'imbécile qui a fait ce trou ! On n'est pas des donzelles, bougre de diable, comment je suis censé passer moi ?!

Edouard se figea brusquement. Son sang se glaça dans ses veines. Il y avait quelqu'un. Là. À quelques mètres de lui. Tout près du mur.

- On n'est p'têt pas des donzelles, mais toi t'es gros comme un bœuf ! Si tu t'empiffrais un peu moins, ça passerait sans soucis.

Un grognement agacé parvint jusqu'aux oreilles du prince. Ce dernier se plaqua contre le tronc blanc d'un bouleau. Ce n'était pas « quelqu'un ». Ils étaient deux. Deux ombres bruyantes et menaçantes. Deux ombres aux voix dures et graves. La respiration du jeune prince se coupa. Il osa un coup d'œil craintif.

- Et puis pourquoi ils sont aussi lourds ces sacs ?! De la fichue paperasse ça ne devrait pas me casser le dos comme ça !

Deux hommes. Le premier, massif, agitait dans les airs trois épaisses sacoches en toiles. Face à lui, les poings juchés sur ses hanches, un second personnage secouait la tête d'un air affligé. Sur le tissu de leurs vêtements scintillait un blason qu'Edouard aurait pu reconnaitre entre milles. Le blason de la garde royale. Un frisson inquiet parcouru son corps.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant