Chapitre 61 (fin ?) : Crépuscule

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Le ciel était voilé d'une pâleur pourpre. Une chaleur du soir aux éclats de flammes. Délicieuses langues de feu venues lécher une voute d'ordinaire si bleue. La brise était légère. Tiède mais pas humide. Un brin enveloppante. Elle transportait avec elle des effluves de pins et de bois, des odeurs de mousses chaudes et d'herbes tendres. Parfums de crépuscule qui préparaient la terre à son lent et profond sommeil. Sur les branches des arbres les oiseaux ébouriffaient leurs plumes colorées. Le soleil ne s'était pas encore couché.

Caché au creux des collines verdoyantes, sur les rives du fleuve Hono, Troya siégeait en ville sacrée. La foule ne faisait plus masse dans ses larges avenues. Les portes de la cité menaçaient de fermer. Sur les pavés encore chauds venaient s'user les talons des hommes et les jupons des femmes. Un libraire fermait le volet de sa boutique tandis qu'un marchand de légumes tentait d'épuiser son stock de navets rassît. Une carriole tirée par un immense cheval au crin couleur paille barrait la large rue. Sur les trottoirs gambadaient une bande d'enfants aux vêtements bariolés et aux nez crouteux. C'était une soirée comme une autre. Le peuple de Troye s'apprêtait à aller souper. Les murmures de la ville étaient calmes. Pas l'ombre d'un frisson ni l'étincelle d'une révolte. Dans une ruelle sale, un ivrogne brisa sa bouteille vide contre un mur. Un corbeau s'envola.





« Sir, le roi Marioti et sa cour ont quitté le palais.

-       Je sais. J'avais fait préparer une escorte afin de les raccompagner jusqu'à la frontière.

-       Elle est partie avec eux.

-       Parfait. Et qu'en est-il des émissaires de Saäm ? Ils m'avaient fait part de leur départ prochain.

-       Ils nous ont quitté également.

-       Une bonne chose de faite. Je ne supportais plus leurs figures d'hypocrites.

-       Vous avez cru à leurs explications ?

-       Pas le moins du monde. Je ne suis pas dupe. Ces sales chiens étaient simplement venus voir si leur poulain menait à bien sa mission.

-       Ces hommes sont des barbares.

-       Je confirme. Et si tu n'avais pas été là, dieu sait ce que ce mercenaire aurait pu accomplir...

-       Cet assassin ne fera plus jamais de tort à quiconque.

-       Et cela pour notre plus grand bonheur... Je transmettrais mes amitiés à Saäm sous peu. Je crois que lui et moi avons beaucoup de chose à nous dire. »





La fleur glissa le long de la tige. Des doigts habiles venaient séparer le pédoncule des sépales, précipitant l'amas de pétales dans un panier d'osier. Une mosaïque de couleurs pastelles se formait doucement dans le récipient de fortune, comme une poignée de confettis que venait doucement agiter le vent. Les hampes s'enroulaient les unes aux autres, s'enlaçant dans cette douceur estivale, guidées par la souplesse agile de ces mains qui les caressaient. À une pâquerette se mêlait un pissenlit auquel se liait un lilas que venait sceller la tendresse molle d'une violette. La fillette sourit. La couronne était belle. Une ficelle de paille vint nouer le tout. Elle posa son diadème d'innocence sur le sommet de son crâne. Les rayons couchant du soleil donnaient à sa chevelure blonde et sauvage des reflet de blés dorés. Krista secoua la tête. Elle se releva en riant. Un écureuil faisait sournoisement danser sa queue touffue à quelques mètres d'elle. Son rire fut emporté par la brise.

Assise sur un rondin de bois, les mains enfoncées dans un bac débordant d'eau, une femme écoutait en silence ces éclats de bonheur enfantins. Un sourire simple et doux étirait son visage travaillé par le soleil et la fatigue. Les couleurs pourpres du soir teintaient sa peau d'une légère nuance cuivrée. Une mèche de cheveux noire retombait sur son nez. Léger soupir. Son dos vint se coller contre le mur de pierre blanche. La poussière souilla ses vêtements. Sans que ce détail ne la fasse sourciller plus que cela, elle extirpa ses mains du liquide verdâtre. L'air lui était doux. Presque agréable. Une soirée de printemps qui aurait pu être calme s'il n'y avait eu cette angoisse ni cette crainte dans le creux de son regard. Deux iris sombres qui se mirent à fixer l'horizon. Un horizon vide. Un horizon qui s'assombrissait doucement, instant après instant. Telle une fatale chute vers le néant. La femme ferma les yeux. Elle imagina une caresse sur sa peau, un baiser sur ses lèvres. Deux pupilles bleues comme la glace se matérialisèrent dans son obscurité. Deux océans de liberté. Mais elle ne savait plus. Elle ne savait plus à qui ce regard délicieux et aimé appartenait. Maria ouvrit les yeux. Une voix d'enfant criait son nom dans le lointain.





Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant