Le front collé à la surface froide et humide de la vitre, le regard perdu dans un horizon de tristesse douloureuse, Edouard s'était enfui dans ses pensées. Son esprit n'était plus qu'un lac de nuages sombres et épais. Il lui semblait vide, emplit de grisaille, couvert de ronces et rongé par le froid. Plus rien n'y remuait. Pas une once de vie, ni même un soupçon de fièvre. Ce n'était plus qu'un trou béant. Un gouffre glacial dans le fond de sa mémoire. Sa conscience tout entière l'avait quitté. Lentement, elle s'était extirpée de cette désagréable prison de chair en quête d'un monde plus doux. Un monde dénué de cette blessure silencieuse. Un monde où elle n'aurait plus à souffrir sans en comprendre les raisons.
Mais sa quête était veine. Aucun lieu, aucune réalité ne semblait en mesure d'apaiser ses douleurs. L'univers entier avait été envahi par cette noirceur terrible qui le hantait. Comme baignant dans les ombres, sombrant entre des chagrins toujours plus noirs, le jeune prince n'arrivait pas à trouver la paix. Son âme torturée hurlait en silence sa détresse.
Il était revenu détruit de son altercation avec Adrien. Les paroles dures et les regards terribles que lui avait lancées le garçon avaient eu l'effet de mille coups de poignards. Il se souvenait de tout. Chacun de ses gestes. Le moindre de ses mots. Tel un fantôme il hantait son esprit. L'étincelle de ses pupilles. Le ton meurtri de sa voix. Sa silhouette disparaissant sous les branchages. Tout. Comme un mauvais rêve, un cauchemar impitoyable qui ne cessait de l'habiter. À la manière d'une terrible ritournelle, la scène se répétait dans sa mémoire. Cruelle, sans pitié, elle s'amusait à torturer son cœur.
Une erreur. Il avait commis une erreur. Une erreur fatidique. Une erreur irréparable. Il avait osé parler. Oui. Il avait osé défaire le lien qui scellait ses lèvres et barricadait sa mémoire pour prononcer quelques paroles maudites. Des paroles interdites. Il avait été un imbécile. Il aurait dû se taire, comme toujours. Il aurait dû garder le silence, calmer les émois de son esprit. Empêcher la fuite de ces questions insolentes pour ne jamais voir scintiller cette larme de tristesse dans le regard d'Adrien.
Mais il n'en avait pas été capable. Non. Il n'avait pas été capable de se retenir. Pas même un tout petit peu. Et il avait fait du mal. Encore. Il avait blessé. Il avait déçu. Tel le monstre qu'il était. Ce monstre répugnant, cette créature égoïste qui ne vivait que pour détruire ceux qui l'entourait. Cet enfant non-désiré. Ce prince déchu. Cet échec de la nature. Une fois de plus, il n'avait été que lui-même. Son cœur se serra douloureusement dans sa poitrine.
Contractant sa mâchoire, il se mordit les lèvres. Un goût de sang se répandit dans sa bouche. Un goût âcre et métallique. Une douleur à la saveur nouvelle. Il préférait celle-là. Elle avait un sens, une origine. Elle avait une raison d'être. Il pouvait la panser, la guérir. Il pouvait faire en sorte qu'elle disparaisse. Pas comme cette autre. Cette autre douleur, profonde et inexplicable. Cette peine impitoyable qui creusait en lui un puit toujours plus profond de désespoir. Il ne la comprenait pas. Ce démon qui dévorait son cœur et dont il ne saisissait ni le sens, ni la raison. Jamais encore il n'avait enduré pareils tourments. Jamais auparavant son âme n'avait subi semblables supplices. Tel un poignard qu'il ne parvenait à retirer, le chagrin tissait en lui des chaînes douloureuses.
Pourquoi avait-il ainsi mal ? Qu'avait ce garçon de si particulier pour que ces paroles et ses regards soient plus terribles encore que ceux de son père ? Il n'était pas roi, il n'était pas noble. Il n'était rien. Un homme. Un simple garçon d'écurie. Alors pourquoi souffrait-il de la sorte ? Pourquoi y portait-il autant d'importance ? Que décelait ce sourire de si merveilleux pour que jamais il ne désire le voir s'éteindre ?
Un soupir empreint de lassitude chagrine s'échappa de ses lèvres. Un aveu de faiblesse. Des cernes creusaient son visage. Il devait être malade. L'approche du mariage, la présence de son cousin, l'angoisse de ses découvertes. Oui. Ce devait être cela. Sous la pression des évènements, son esprit dérangé s'était cherché un bouc émissaire. Une cuve dans laquelle déverser ses peines et ses misères. Adrien n'était que la victime de son cerveau torturé. Il avait cherché une cause à tous ses malheurs, et les yeux bleus du garçon présentaient les meilleures qualités.
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Un prince presque charmant
RomanceÉdouard est le prince du royaume de Troye. Un prince tout ce qu'il y a de plus banal. Beau, riche, pourri gâté... bref, banal. Enfin, a quelques détails près... car son père le déteste et son royaume court à sa perte. Mais tout va bien. Oui tout va...