Les branches frissonnaient doucement entre les doigts du vent. Valse courtoise et harmonieuse qui emplissait l'espace d'une poétique magie. Offrant feuilles et pétales aux lueurs enivrantes du jours, les majestueux arbres du jardin royal se laissaient aller à la beauté du moment. Délicieuse touche d'un après-midi printanier. Pause abreuvante et silencieuse dans un palais grouillant de monde et de tourments. Mais ces tourments n'atteignaient pas mère nature et la splendeur de ses fleurs. Non. La folie de ces hommes n'était qu'une parenthèse dans l'infini cours de son existence.
Appuyé contre le renflement dur de la fenêtre, les bras nonchalamment croisés sur son torse, Édouard avait abandonné son regard dans l'immensité verdoyante qui s'étalait devant lui, de l'autre côté de la frontière de verre. Ses pupilles irisées suivaient avec une fascination à peine déguisée la danse envoutante des oiseaux dans le ciel et des pivoines dans les parterres. La fraicheur de la bise se devinait sur sa peau. S'il ne pouvait y gouter, il aimait se l'imaginer. Tout comme ces parfums, ces odeurs pures et sauvages qui jaillissaient de la terre pour embaumer le cœur et soulager l'esprit. Oui. Tout cela le fascinait. Il aurait pu s'y perdre, divaguer, se laisser porter par cette douceur tranquille qui saisissait superbement les jardins. Mais il ne pouvait pas. Non. Quelque chose agrippait son cerveau. Une idée désagréable. Des pensées ennuyeuses qui grignotaient d'un appétit féroce la placidité apparente de sa figure. Cette idée portait un nom, ou peut-être deux, voire trois. Il se pinça la lèvre.
Son cœur n'avait cesser de battre frénétiquement depuis ce matin. Un bouillonnement étrange, constant et terriblement épuisant. Jamais jusqu'alors il n'avait ressenti pareille excitation et fatigue. Ses muscles se souvenaient encore du feu qui s'était emparé d'eux alors qu'il se dressait face à son père. Sa gorge brulait encore de ces mots qu'il avait prononcés. Son âme accusait toujours l'explosion de ce courage que personne n'avait soupçonné. Oui. Il tremblait. Il tremblait d'une guerre qu'il avait à peine menée. Il frissonnait face à ce brasier tout juste allumé. Son corps tout entier était une torche, nerveuse, palpitante, prête à s'enflammer une nouvelle fois.
Le regard stupéfait de son père flottait encore dans son esprit. Une ombre. Un fantôme qu'il n'aurait jamais pensé apercevoir un jour. Ce souverain, dur, sévère, implacable, ce souverain qui l'avait tant de fois fait trembler d'effroi, ce souverain avait flanché. Le temps infime d'un instant. Une poignée de secondes misérables. Mais ce fut une poignée de trop. Édouard l'avait vue, cette once de peur, touche imperceptible de faiblesse. Son père n'était plus un monstre, ni une machine implacable. Son père était un homme, un vieillard. Un pauvre roi épuisé sous le poids de sa couronne et face à qui il était possible de se dresser. Ses cris et ses colères n'étaient rien devant à ce regard. Si Édouard n'en connaitrait jamais l'amour, alors il y provoquerai la peur.
Les lèvres du jeune prince se froissèrent en une moue sceptique. La peur. Il l'a connaissait. Il l'avait si souvent côtoyée. Mais serait-il capable de la susciter ? Après tant d'années à plier face à son joug terrible, comment pouvait-il prétendre lui faire face ? Il n'avait pas les armes, ni la carrure. Pourtant il avait l'envie. Une étincelle s'était allumée dans le fond de son cœur. Une étincelle dont il ignorait tout de l'existence. Cette étincelle avait un regard bleu et un atroce sourire éclatant. Une déferlante, un typhon violent et imprévu qu'il devait à tout prix protéger. Chérir. Garder. Car cette étincelle était tout ce qu'il n'avait jamais espérer avoir. Une once de tendresse, une poussière de réconfort, une épaule protectrice, une perle d'amour.
D'amour...
« Ah ! Enfin je vous trouve ! On m'avait bien dit que vous vous cachiez ici ! »
La porte s'ouvrit dans un fracas brutal et assourdissant. Violement tiré de ses pensées confuses, Édouard sursauta, faisant aussitôt volte-face. L'image du noiraud s'arracha de sa mémoire pour laisser place à celle menue et élancée d'une princesse. Éléonore.
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Un prince presque charmant
RomanceÉdouard est le prince du royaume de Troye. Un prince tout ce qu'il y a de plus banal. Beau, riche, pourri gâté... bref, banal. Enfin, a quelques détails près... car son père le déteste et son royaume court à sa perte. Mais tout va bien. Oui tout va...