Chapitre 40 : Un Simple Ami

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Le vent venait s'écraser sur son visage, poids imposant et libérateur d'un plaisir nouvellement retrouvé. Le cri des cieux sifflait dans le creux de son oreille, accompagnant le grondement lourd d'un galop et les gazouillements enjoués de la nature. Les mains agrippées aux rênes de l'animal comme cramponnées sa propre vie, Édouard s'évadait. Il s'envolait, sur la croupe d'un étalon libéré à vive allure. Il s'échappait, accompagné par le rire irrésistible d'une jeune femme en fuite, la taille enlacée par l'étreinte affolante d'un noiraud impatient. Oui, il s'enfuyait, et son esprit troublé n'avait pas tardé de suivre le même exemple.

Ils avaient réussi. Le jeune prince peinait à y croire. Ils avaient réussi. L'épreuve s'était révélée pathétique, leur performance avait brillé par sa misère et ce n'était qu'une question de temps avant que son père ne s'aperçoive de leur honteuse trahison, mais ils avaient réussi. Ils étaient là, tous les trois, bel et bien vivants sur leurs fougueux destriers, et ils se précipitaient vers une destination tout aussi radieuse que prometteuse.

Les images venaient s'échouer en morceaux dans son esprit. Il se remémorait la scène. Lui, Éléonore à ses côtés, prétextant une soudaine envie de promenade après un copieux déjeuné, le tout sous le regard réprobateur du vieux roi. Oui il se souvenait, leur aventure au cœur des écuries, les chevaux pansés patientant gentiment, la présence silencieuse d'un noiraud absent, les questions naïves du palefrenier. Il se revoyait encore, paradant ridiculement au centre de la cour, la princesse à sa suite, s'approchant doucement des portes de sa liberté. Il se remémorait les mots prononcés, face à ce garde à l'esprit hagard, presque benêt, lorsqu'il lui avait demandé le plus naturellement du monde d'ouvrir la grille pour aérer l'intérieur du cloître. Le regard médusé du pauvre bougre hantait encore sa mémoire tandis qu'il lui lançait un « mille mercis mon ami » sous les rires insolents d'Éléonore. Oui, tout lui revenait. La silhouette gracile d'Adrien sur le bord de la route. Son regard brillant de bonheur et son sourire qui embrassait la vie. Tout tournait dans sa tête. La sensation de ses main pressées sur son ventre, la chaleur de son torse contre son dos, la moiteur agréable de son souffle dans son cou. Tout.. Trop... Il ne parvenait plus à réfléchir. Son regard s'était perdu dans une immensité verte, les oreilles bercées par un rire irrépressible. Son âme baignant dans un lac de douceur envoutant.

Le plan avait été agencé par Adrien. Un plan tout simple, presque idiot. Un plan auquel le jeune héritier n'avait pas paru croire une seule seconde. Un plan qui avait fini par s'avérer fructueux. Le noiraud aurait à préparer les chevaux dans la matinée, les plus beaux et les plus fougueux. Puis il s'éclipserait. Reviendrait alors aux deux nobles la lourde tâche de se faufiler dans les écuries, de s'assoir sur leurs fidèles destriers puis, après de stratégiques et habiles manœuvres, de se diriger vers la grande porte du palais afin de disparaitre à leur tour. Le tout était de parvenir à s'échapper sans rameuter la garde ni déclarer de scandale. Édouard ne savait si cette dernière close du contrat avait été remplie, mais ils avaient retrouvé le noiraud, et cela était bien tout ce qui comptait à l'instant.

Éléonore fit cingler le cuir de ses rênes, prenant du même fait les devants de la course. Toujours fermement agrippé au torse puissant du prince, Adrien apostropha la jeune femme d'une charmante manière, avant d'enjoindre son preux cavalier de presser l'allure. Se trouver relégué au second rang par cette honteuse noble au comportement discutable ? Sans façon ! Elle ne s'avait pas même quel était leur destination !

Les chevaux virèrent de bord, abandonnant les sentiers sombres et arborés des bois pour s'épanouir dans une vaste étendue de verdure. Le soleil venait caresser la tige des plantes, constellant le pré d'une farandole de paillettes étincelantes. Au centre de cet inattendu spectacle se dressait une timide chaumière. Chancelante, frissonnante, ses parois de craie paraissaient crouler sous le poids du temps. Le couple princier s'avança. Leurs montures avaient ralenti l'allure. Au-devant de la pauvre demeure se dessinaient deux silhouettes. Deux silhouettes tout aussi discrètes qu'impatientes. Deux silhouettes qui vinrent percuter la pupille du jeune prince. Son cœur eut un battement ravi. Jamais il n'aurait cru que la vision de ces deux créatures puisse souffler en lui une telle onde de bonheur. Il pressa le pas de l'animal. Les mains d'Adrien encerclaient toujours sa taille.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant