Chapitre 42 : Sans regrets

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Les vitraux rouges de la fenêtre teintaient l'espace d'une douce couleur pourpre. Soupçon de magie en des lieux si sombres et poussiéreux. Au plafond, le grand lustre doré illuminait vainement un espace vide. Savoirs, poésies et récits de vies s'entassaient sur des étagères. Concentré pressé de connaissances. Mystères envahis par le temps et la poussière. Vaste bibliothèque aux recoins encore incertains. Le soleil brillait dans le ciel, giclant sa lumière trop pure contre les carreaux. C'était le début d'un bel après-midi.

Avachi sur son siège, les mains triturant avec nervosité les pages usées de son carnet, Édouard ruminait une colère silencieuse. Ses pupilles vertes fixaient sans relâche et sans même les voir un rayonnement de malheureux grimoires. Son cerveau bourdonnait. Sentiment étrange de rancune et d'impuissance qu'il connaissait trop bien et pourtant si peu. Secouant la tête, il étouffa un lourd soupir.

Il n'était parvenu à rien. Depuis la veille, depuis que cet inévitable scandale avait éclaté, il n'était parvenu à rien. Pas de nouvelle information. Pas de confidence ou de découverte. Il avait beau errer, questionner, supplier, tout restait vague, beaucoup trop vague. On en faisait un secret d'État. Il y avait de quoi, en effet, mais tout de même, il était le prince ! Personne ne daignait lui fournir le moindre détail. Il se mordit les lèvres, ruminant un juron silencieux. Maudit roi, maudit père ingrat ! Un jour, il savait qu'un jour il lui montrerai. Un jour cet homme méprisable regrettera d'avoir tant cherché à le mettre à l'écart. Un jour oui. Mais pas aujourd'hui. Définitivement pas aujourd'hui. Nouveau soupir. Sa tête bascula lourdement sur le dossier.

Face à lui, assise de l'autre côté de l'épaisse table, Éléonore était toute portée à son ouvrage. La tête inclinée au-dessus d'une feuille de papier, le visage dissimulé par une cascade de cheveux bruns, elle laissait sa plume fine et délicate glisser habilement sur le grain du parchemin. Son écriture gracieuse s'étalait sur le manuscrit, gorgeant la blancheur malade du billet d'une encre bleue et profonde. Relevant la tête, Édouard contempla un instant l'accomplissement sérieux de l'ouvrage. Cette main princière et frêle qui s'afférait si scrupuleusement à la tâche. Le titillement discret d'une lèvre. Le foncement radieux d'un sourcil. La jeune femme glissa une mèche sombre derrière son oreille, dévoilant la douceur appliquée de son visage. Ainsi concentrée, la belle princesse semblait devenir une tout autre personne. Édouard gardait le silence. La prestance si studieuse de son amie l'impressionnait. Comme à chaque fois.

Un billet pour sa mère. La jeune femme en écrivait un par jour. Mission fastidieuse que lui avait confiée la souveraine. Elle voulait tout savoir des préparations et de l'organisation du mariage. Elle voulait être tenue au courant du moindre détail, de la couleur des fleurs aux saveurs du gâteau. Tout. Sans exception. Mission inutile et bien ennuyante. Mais mission que s'imposait de respecter la princesse. Bien plus qu'un simple bulletin informatif, ces lettres étaient avant tout un moyen pour la reine de garder un regard sur les agissements de sa fille. Chaînes invisibles mais pourtant bien présentes. La prison dorée d'une princesse ne s'effondrait pas si facilement.

-    Vous l'avez informée de l'affaire ?

Éléonore sursauta. Détachant son attention de son ouvrage, elle releva la tête vers son importun interlocuteur. Édouard papillonna un instant des yeux. Il ne savait pas même pourquoi il lui avait posé cette question. Ennui. Curiosité. Agacement. Voulait-il réellement savoir ? Il l'ignorait.

Haussant les épaules, la jeune femme replia son billet. Elle paraissait avoir terminé. Ou presque. Un infime soupir s'échappa de ses lèvres rosées.

-    Je ne crois pas qu'elle ait besoin de moi pour apprendre ce qu'il se trame ici...

Détournant le regard, elle tendit le bras pour saisir une enveloppe. D'un mouvement de doigt rapide, elle décacheta le pli afin d'y inscrire quelques mots illisibles. Ceci fait, elle s'employa à enfourner sa précieuse lettre à l'intérieur.

Un prince presque charmantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant